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La face cachée des «Hindous d’Internet»

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Les « Hindous d’Internet », une nouvelle caste?

« Les Hindous d’Internet sont un véritable essaim d’abeille » a tweeté Sagarika Ghose, une célèbre présentatrice de télévision indienne. « Il viennent en masse autour de vous ».

Les « Hindous d’Internet » auquel Sagarika Ghose se réfère, est en réalité le terme inventé pour désigner tous les blogueurs et tweeteurs de droite, qui suivent les mouvements du web dans les moindres détails. Rien ne leur échappe, que ce soit la situation chez le voisin du Pakistan ou une quelconque question concernant la communauté musulmane. Acculée par les commentaires insultant ses « pensées laïques », la journaliste a finalement fermé son compte.

Les journalistes libéraux et les nombreux « netizens » (contraction de Citizen et Internet) ont sympathisé avec la journaliste exaspérée. Mais pour les gens de droite, cela a eu l’effet inverse. Depuis ce fameux « tweet », les nationalistes et les conservateurs hindous opposés au Parti du Congrès de Sonia Gandhi et de son Premier ministre Manmohan Singh, se sont rapidement multipliés, empruntant définitivement le terme de la journaliste comme patronyme.

Aujourd’hui, il y aurait environ 20 000 de ces soi-disants « Hindous d’internet ». D’après une estimation approximative d’un des membres, certains tweeteraient jusqu’à 300 fois par jour. «Vous trouverez des milliers d’internautes avec un nom qui sonne un peu comme le mien » déclare cet utilisateur dont le nom de compte est @internet_hindus. « Certains utilisent même leurs propres noms pour dire ce qu’il pensent ».

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Liberté d’expression et Inde ne font pas bon ménage

Les « Hindous d’internet » se trouvent actuellement en plein cœur du débat sur la censure en Inde, principalement en raison de leur nombre et de leur influence. Le pays traverse en effet un problème à cause du nombre grandissant de contenus controversés diffusés en ligne, qui met a mal la liberté d’expression. En avril 2011, le gouvernement indien a modifié les textes de loi concernant l’information en ligne. Ces derniers stipulent que les sites internet doivent retirer les contenus dits choquants sous 36 heures, dès la demande des autorités. Cet amendement cible principalement les contenus diffamatoires et les discours de haine. Cependant, les conditions d’identification de ces sites ne sont pas claires.

Certains disent que ces nouvelles règles imposent simplement de se plier au joug du Parti du Congrès. En décembre dernier, Kapil Sibal, le ministre des Télécommunications avait d’ailleurs rencontré en privé les cadres supérieurs de Google, Microsoft et Facebook pour leur demander de pouvoir pré-visualiser et censurer les contenus avant qu’ils n’apparaissent en ligne. Selon le Times of India, 255 des 358 demandes de suppression que Google a reçues, concernent des articles critiques envers le gouvernement.

Des journalistes inquiets

Sur le Web, de nombreux « Hindous d’Internet » pensent que Kapil Sibal a tenté de brouiller les pistes, en supprimant des déclarations dangereusement diffamatoires, mais aussi simplement politiquement incorrectes.

Les journalistes s’interrogent aussi sur la valeur de l’information en ligne. Dans un récent article du Hindustan Times, le journaliste Namita Bhandare soutient d’ailleurs que « lorsque Twitter se résume à une plateforme d’insultes et d’abus, il perd de son éclat ».

La présentatrice de télévision Barkha Dutt a soutenu les propos de son collègue de la presse écrite. Elle a déclaré que « tapis en ligne, le plus souvent derrière l’anonymat, ces internautes sont des propagateurs de haine et de violence ». Bien qu’aucun de ces journalistes n’ait ouvertement prôné la censure, leurs commentaires sont la preuve que ces « cyber-intimidateurs », qui abusent des libertés du web, opèrent un véritable changement dans la culture de l’information.[image:3,l]

« Le gouvernement a peur de nous » explique Suvendu Huddar, un entrepreneur de 33 ans qui vit à Bombay, et se fait également appelé « internet_hindu » en ligne. « C’est la raison pour laquelle ils veulent contrôler les libertés sur Internet grâce à des outils dangereux, qui arriveront très bientôt ».

Des racines idéologiques nationalistes

Au vu des origines de ce mouvement, on se demande pourtant si les intentions de ces internautes sont aussi louables qu’ils semblent l’affirmer. De nombreux « Hindous d’Internet » affirment qu’ils n’ont pas d’affiliations politiques, excepté un profond mépris pour le Parti du Congrès. Mais la plupart semblent sympathiser avec une doctrine nationaliste ethnique appelé « Hindutva » ou « l’Hindouité », qui est l’idéologie unificatrice de la Rashtriya Swayamseval Sangh, ou « Organisation Nationale des Volontaires » (RSS), une organisation paramilitaire forte de 5 millions de membres et sa branche politique le BJP (Bharatiya Janata Party) à tendance national-hindouiste.
L’Hindutva développe une pensée en opposition avec la laïcité promue par le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru (Parti du Congrès). Il revendique que l’Inde est avant tout une nation hindoue, et qu’au lieu d’apaiser les musulmans et les minorités avec des privilèges sociaux, l’Inde devrait surtout s’atteler à promouvoir la culture hindoue.

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Le but avoué de rétablir la dignité des hindous

« Je veux que la dignité des hindous en Inde soit rétablie » explique un « Hindou d’Internet » de 23 ans, qui n’a pas encore adhéré à une quelconque organisation politique. « Nous avons eu un passé glorieux, mais les envahisseurs musulmans, les Moghols et les Britanniques ont sans cesse détruit ce sentiment de fierté. Après l’indépendance, le Parti du Congrès a perpétué cette politique. Ils ont réutilisé les lois et les actes anciennement rédigés par les Britanniques et ne se sont jamais souciés d’élaborer une nouvelle législation, qui incorporait le véritable esprit de Bharat (l’Inde). Cela s’est poursuivi avec l’apaisement des conflits envers les musulmans, alors que les hindous étaient réduits à des citoyens de seconde zone dans leur propre pays. »

Le RSS, un passé loin d’être glorieux

A plusieurs moments dans l’histoire, l’Hindutva et le RSS, un mélange entre les Boys Scouts d’Amérique et le Ku Klux Klan, ont posé quelques problèmes. L’un des principaux idéologues du RSS, Madhav Sadashiv Golwakar, a déjà ouvertement exprimé son admiration aux idées d’Adolf Hitler, principalement  au principe de « pureté » exprimé par ce dernier. Il s’en inspire d’ailleurs dans un des textes fondateurs de l’Hindutvah, en 1938 : We or Our Nation Defined » (littéralement Nous ou la définition de notre Nation).

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Ces « Kar Sevaks » ou « Volontaires » inspiré par cette idéologie, ont démoli la mosquée de Babri (datant du XVIème siècle) en 1992, provoquant d’immenses émeutes entre hindous et musulmans. De leur côté, les membres du Bajrang Dal, une organisation affiliée au RSS n’hésita pas à frapper tous les couples marchant dans la rue le jour de la St Valentin. En 1999, ces membres ont également immolé un missionnaire chrétien australien et ses deux fils. Les séparatistes extrémistes Hindutva ont été accusés à de nombreuses reprises d’avoir perpétré des attaques terroristes contre des mosquée ou des lieux saints, appartenant aux musulmans indiens.
Cependant, un nombre minime de ces « Hindous d’Internet » soutiennent des actions aussi extrêmes. Mais, il n’empêche que l’idélogie générale qu’ils défendent poursuit un but clairement avoué de promouvoir le rétablissement de l’Hindouisme comme valeur nationale en Inde... avec toutes les conséquences que cela implique.

Des activistes majoritairement jeunes et éduqués

« Les musulmans sont nos égaux dans ce pays. L’Inde leur appartient autant qu’à nous. Tant qu’ils ne se livrent pas à des activités terroristes ou à des conversions forcées, je n’ai rien contre eux » a déclaré Suresh Nakhua, un membre du BJP, qui assiste le RSS.

Selon certains sondages en ligne,  les « Hindous d’Internet » seraient essentiellement de jeunes hommes, formés professionnellement, dotés d’une bonne maîtrise de l’anglais et de l’informatique. Plus de la moitié d’entre eux auraient moins de 30 ans, et 80% posséderaient un diplôme de premier cycle ou de cycle supérieur. Enfin, deux tiers d’entre eux gagneraient plus de 10 000 dollars par an, ce qui les placent dans le haut de gamme de la classe moyenne indienne.[image:6,l]

Le danger est qu’en les qualifiant de fanatiques ou de « trolls » (terme spécifique à Internet qui désigne quelqu’un qui attise la discorde), les indiens libéraux ou « laïques » risquent de mal évaluer la colère de ces hindous. « Si il y a une véritable colère chez les partisans modérés de l’Hindutvah, pourquoi ne pas s’y intéresser ? » déclare Shivam Vij, un blogueur de gauche sur le site Kabila.org. « Dans nos médias majoritairement anglais, il est vrai que l’aile droite a peu d’écho ».

Global Post-Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

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