Site icon La Revue Internationale

La saga de Lo Fu-chu: mafia, crime et politique

5488506545_acf0ef2817_z.jpg5488506545_acf0ef2817_z.jpg

[Image:2,l]

Les nombreux chefs d’accusation du politicien fugitif

L’ancien député taiwanais Lo Fu-chu est célèbre pour quelques titres. « A la tête de l’un des plus grands syndicats du crime » et « s’amuse à agresser les députés de l’opposition » en sont quelques-uns. On peut désormais rajouter une autre donnée à la liste : « fugitif ».

En effet, l’ancien roi des comités judiciaires ne s’est pas rendu à la police pour purger sa peine de quatre ans de prison, pour blanchiment d’argent et délit d’initiés, fin avril dernier.

« Cela fait plus d’un mois qu’il est aux abonnés absents. On pense qu’il doit être en Chine maintenant. [Le gang de Lo], Voie Céleste est présent là-bas et il a des investissements dans l’hôtellerie et le divertissement à Shanghai et Beijing, » a dit un représentant du Bureau Criminel d’Investigation, qui a préféré rester anonyme.

De nombreux observateurs disent que le scandale autour de Lo Fu-chu – qui a attaqué de manière particulièrement violente une députée femme pendant une séance filmée en direct, et est accusé d’avoir enlevé, bandé les yeux, déshabillé, puis enfermé dans une cage de chiens, jeté sur le bord de la route une autre députée – est un autre exemple gênant de l’interaction entre le crime organisé, la politique et les grosses corporations dans l’île-république.

La politique et la mafia font bon ménage

« Certains criminels sont devenus des politiques élus travaillant pour les institutions taiwanaises. Cela leur donne accès à des informations confidentielles concernant les offres de travaux publics et agricoles, et la mise en vigueur de lois, » a dit Lo Shiu-hing, un expert en criminologie renommé, travaillant pour l’Institut d’Éducation de Hong Kong. « Le gouvernement achète leur soutien, [mais] essaye ensuite de réduire leur participation au niveau de la population, afin qu’ils puissent amasser le maximum de votes dans leurs circonscriptions. »

L’arrivée du crime organisé dans la politique n’est pas un phénomène unique à Taiwan. Hong Kong, Macau, l’Italie, les États-Unis et la Russie ont leurs propres histoires de gangsters voulant leur part du gâteau. Ce qui rend la situation à Taiwan unique, cependant, est que les gangsters n’achètent pas seulement les politiques – ils en font partie.

La corruption aux fondements de l’État taiwanais

Parris Chiang, un ancien député et président du Bureau National de Sécurité, dit que cette tendance remonte à Tchang Kai-Chek, qui a débarqué à Taiwan avec son armée déchue en 1949, après avoir perdu une guerre civile sanglante sur le continent chinois.

« Tchang Kai-Chek, est arrivé au pouvoir avec l’aide de gangsters, en Chine. Quand il a perdu contre Mao Tsé-Toung, certains gangsters sont arrivés à Taiwan [avec lui], » poursuit Chiang.

La Chine voit Taiwan comme une province rebelle, et a juré d’employer toutes ses forces, si nécessaire, afin de la ramener sous ses ordres.

Le combattant et dictateur de la guerre froide, CTchang Kai-Chek, s’est rendu compte que son nouveau parti Kuomintang (KMT) à Taipei était majoritairement constitué de Taiwanais qui avaient migré dans l’île de la Chine des siècles plus tôt. Il a rétabli l’ordre en imposant la loi martiale, créant une machine sécuritaire sanguinaire et travaillant avec les gangsters les plus puissants, selon Chiang.

« Cela a toujours été une affaire de patronage et de corruption, » a-t-il dit. « Aujourd’hui, les gangs essayent de se réinsérer en intégrant le milieu du business, comme la construction. Si l’on essaye de construire un immeuble ici, ils nous menacent, pour qu’on soit forcés de signer le contrat avec eux. Résultat des courses, leurs entreprises sont devenues les plus importantes de Taiwan »

L’économie – formelle ou informelle – contrôlée par les gangs

Le Bureau Criminel d’Investigation estime à plusieurs milliards de dollars par an la valeur des parts des trois plus grands gangs dans autant de domaines que le divertissement, la télévision, les hôtels, la récupération d’ordures, la construction, la finance et l’immobilier.

Décidément, ils touchent vraiment à tout. Leurs revenus informels leur viennent de la prostitution, du trafic de personnes, d’armes, de drogues, entre autres.

La qualité de la démocratie en pâtit

Les commentateurs disent que l’économie formelle a été construite en fonction des intérêts des politiciens qui avaient besoin des gangsters au moment des élections, afin de s’assurer la victoire. Beaucoup se demandent si, finalement, la transition démocratique et libre de Taiwan s’est déroulée de manière juste. Le lien entre mafia et politique nuit définitivement à la qualité de la démocratie taiwanaise.

« Le KMT fournissait des intérêts économiques afin de constituer toute une classe de politiciens, et les gangsters ont comblé ce manque. Ils ont ensuite participé à la création de projets de construction d’infrastructures, en échange de l’achat de votes pour leurs propres élections. » a dit Huai-Hui Hsieh, le leader du parti de l’opposition, le Parti Progressiste Démocrate (DPP).

Chao Yung-Mao, un expert de la politique taiwanaise, et professeur à l’Université Nationale de Taiwan, avait confié à GlobalPost-JOL Press en 2010, qu’environ 10 à 15% des mairies et conseils régionaux étaient composées de gangsters. Les chiffres sont particulièrement élevés dans les zones rurales et dans le sud de Taiwan, où la tradition et les réseaux d’élites sont encore importants.

Ce n’est pas rare qu’un homme politique d’envergure se présente à l’un des enterrements ou mariages extravagants des mafieux. Dans certains cas, les festivités sont tellement énormes qu’elles mobilisent la ville entière, contrainte de retenir son souffle pendant des heures.

[Image:1,l]

Les règlements de compte et la violence sévissent

Versant moins flamboyant de ce phénomène : la violence . La pire du genre ayant commencé dans la fin des années 1990, pendant une période de corruption galopante appelée la politique « de l’or noir ». Pendant cette période, les représentants élus étaient assassinés, ou même parfois, tuaient eux-mêmes.

En 2008, le fils de Lo Fu-chu, un député KMT et un poids lourd du comité judiciaire, Lo Ming-tsai, était impliqué dans des affaires de Voie Céleste, lorsque deux gangsters ont reçu une balle – fatale pour l’un d’entre eux – dans son bureau, après une soirée de karaoké. Le jeune Lo a nié tout lien avec le crime organisé.

En 2010, Sean Lien, un autre député KMT et descendant de l’ancien président du parti Lien Chen, a été abattu à la tête par une balle, lors d’un meeting de campagne. Le responsable a ensuite dit ne pas avoir visé le défunt politicien, mais un autre pour une affaire de vengeance.

Des brutes au cœur tendre

Mais à part ça, tout va (presque) bien. Malgré la corruption et la violence, certains experts disent que les gangsters-politiciens dans les localités font preuve de bonne gouvernance car ils sont capables de faire pression sur le vote national afin de favoriser l’investissement dans les infrastructures et les services dans leur propre communauté.

« Dans cette partie du monde, la participation du gouvernement aux niveaux locaux n’est pas à la hauteur et le manque est comblé par les gangsters Ils peuvent persuader le cœur et l’esprit des gens dans leur circonscription car ils se battent pour leurs intérêts, » dit l’expert en criminalité, Lo Shiu-Hi.

Raisons pour lesquelles, le système d’association nin-dite entre le crime organisé et la politique à Taiwan, n’est pas prêt de s’interrompre…

Global Post / Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press

 

Quitter la version mobile