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L’Allemagne attrape le virus de la zone euro

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Alors que la crise de l’euro s’aggravait, l’Allemagne apparaissait à l’abri, havre de prospérité et de tranquillité.

Le chômage y a reculé, les exportations ont explosé. Le moteur de l’économie européenne  semblait immunisé contre les sévères contractions économiques et autres spirales de la dette, autant de maux qui touchent, l’essentiel de ses voisins, les uns après les autres.

« L’Allemagne a cru pendant longtemps qu’elle resterait invincible face à la crise, » estime Sebastian Dullien, professeur d’Economie internationale à HTW Berlin – Université des sciences appliquées.

L’état de grâce pourrait bien être fini. Les dernières nouvelles économiques montrent une Allemagne sur le point d’attraper le virus de la zone de l’euro.

Un ralentissement économique qui affecte tous les secteurs

Les chiffres sortis vendredi dernier montrent que les exportations de l’Allemagne ont chuté en avril, un recul de 1,7%, en accélération par rapport aux – 0,8% constatés en mars. Les importations aussi suscitent des inquiétudes. Après la prise en compte des variations saisonnières, elles ont chuté de 4,8%, la pire baisse en deux ans, signe d’un possible ralentissement de la demande domestique.

Ces statistiques préoccupantes viennent s’ajouter à d’autres mauvaises nouvelles annoncées la semaine dernière. Les commandes industrielles allemandes ont baissé en avril, à une allure que les Allemands n’avaient pas connu depuis novembre 2011. L’indicateur IFO business climate a chuté en mai, pour la première fois depuis six mois, alors que naissaient des inquiétudes sur une possible accentuation de la crise en Espagne et Italie.

Cerise sur le gâteau… l’effondrement de l’industrie automobile, observé à travers l’Europe, a commencé à toucher l’Allemagne. La production a baissé de 17% en mai, par rapport à l’année dernière, alors que les exportations ont diminué de 13%.

Le problème des pays émergents

L’Allemagne n’est pas seulement affectée par le ralentissement économique en zone euro – 40% des exportations. Ses revenus provenant des marchés émergents pourraient aussi devenir incertain. La croissance en Chine, par exemple, ralentit, avec JPMorgan Chase tablant sur 7,7% – contre 8% jusque-là.  

« Le raisonnement en Allemagne a pour l’instant été de considérer que tant qu’on n’a pas besoin d’écouler notre marché dans la zone euro car on peut toujours compter sur les marchés émergents, on est sauf, » explique Dullien. « C’est complètement dingue que les Allemands croient que leur économie puisse être indépendante de la zone euro. »

L’Allemagne peut résister

Malgré ces inquiétudes – renforcées la semaine dernière lorsque Moody’s a abaissé le note de six banques allemandes –, la situation de l’économie nationale est loin d’être dramatique. Des milliards ont été placé en sécurité dans les caisses des banques, et nombreux sont les investisseurs et épargnants européens qui ont placé leur argent en Allemagne, malgré un rendement souvent négligeable.

Selon la Banque centrale européenne (BCE), les dépôts en Allemagne ont augmenté de 4,4% par rapport au 30 avril de l’année dernière. Sur la même période, les dépôts en Grèce, en Espagne et en Irlande ont diminué de 6,6%. Les épargnants de ces pays sont terrifiés à l’idée que leurs économies nationales puissent imploser, craignent une sortie de la zone euro et l’introduction d’une monnaie fortement dévaluée. Un scénario catastrophe.  

Précautionneux, ils suivent l’exemple des gros investisseurs, qui ont réduit le taux d’intérêt sur les obligations de dix ans de Berlin à son niveau le plus bas.

Les euro-obligations sont-elles souhaitables?

Les pays en plus grande difficulté espèrent que l’Allemagne profitera des taux d’intérêt bas pour aider à collectiviser la dette de la zone euro, par l’émission d’obligations financières conjointes, rendant moins cher l’emprunt pour les autres pays. Cependant, le gouvernement allemand craint qu’une telle mesure retire toute pression pour réduire les déficits, engager des réformes structurelles et augmenter la compétitivité des pays périphériques.

Une difficulté ne saurait être sous-estimée. Dans un tel scénario, les taux auxquels l’Allemagne emprunte sur les marchés obligataires augmenterait, à son tour, inéluctablement. « Si l’on avait des euro-obligations, alors l’Allemagne ne serait plus aussi fiable pour les investisseurs internationaux et elle perdrait inévitablement son triple A, » estime Bert Van Roosebeke, un expert en politique économique au Centre pour la politique européenne, basé à Fribourg.

Même sans euro-obligations, celui-ci juge que l’Allemagne finira par être regardée comme un risque plus important : « L’Allemagne finira par ne plus être fiable pour beaucoup de pays, et ce de plus en plus. Cela n’aura pas un effet positif sur son classement. Je ne pense pas que l’Allemagne arrivera à rester immunisée. »

Angela Merkel, entre préoccupations politiques et convictions économiques

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Les craintes de voir son statut remis en cause par la mutualisation des dettes de ses partenaires européens, voilà le principal argument qui a poussé le gouvernement allemand à refuser, jusque-là, l’émission d’euro-obligations. En effet, 80% des Allemands s’opposent à une telle mesure. La chancelière Angela Merkel en est bien consciente et ne perd pas de vue la difficile échéance électorale qui se profile l’an prochain.

« Elle est dans une position très délicate, » affirme Van Roosebeke. Pourtant, selon lui, ce ne sont pas seulement ses ambitions politiques qui poussent la Chancelière à autant de fermeté pro-austérité, malgré les pressions intenses qu’elle reçoit de l’étranger pour accepter les euro-obligations : « Je crois qu’elle est convaincue par ce qu’elle entreprend. »

Quelle est la solution la moins pire?

En même temps, poursuit-il, les Allemands commencent doucement à se faire à l’idée que l’Allemagne va devoir payer, d’une manière ou d’une autre, tout comme les pays forts, au premier rang desquels les Pays-Bas et le Luxembourg : « Cela va probablement s’opérer par des transferts indirects, sûrement via le FESF (Fonds européen de stabilité financière) et le MES (Mécanisme européen de stabilité). »

Après tout, si l’Allemagne échoue dans le sauvetage des autres économies et les laisse imploser, cela se retournera contre elle. 

Pourquoi l’Allemagne a tout intérêt à se maintenir dans la zone euro

D’après un récent sondage, seuls 43% des Allemands interrogés estiment que l’euro a causé plus de mal que de bien pour leur pays. Il est vrai que l’Allemagne a largement bénéficié de l’euro. Un avantage net est que l’utilisation de la monnaie commune signifie que les exportations en dehors de la zone euro sont bien moins chères qu’elles ne le seraient autrement.

De plus, jusque-là, l’Allemagne a plutôt bénéficié de la crise.

Si l’Allemagne sauve des pays plus faibles, elle profite aussi des intérêts sur les prêts qu’elle accorde via les fonds du FESF et le MES – et pour cela il convient que la zone euro survive et que les autres pays ne s’écroulent pas.  L’Allemagne a gagné environ 380 millions d’euros sur ses 15,17 milliards de contribution au sauvetage financier de la Grèce.

Une générosité seulement apparente

« La perception que donnent certains médias allemands d’une Allemagne toujours en train de payer est fausse, » rappelle Dullien. « Tu prêtes de l’argent à quelqu’un à un taux d’intérêt supérieur à ce que tu payes, pour moi c’est un prêt et même si la personne a besoin de cet argent incessamment sous peu, cela reste un prêt, et si tu fais un profit dessus, ce n’est pas de l’aide. »

En outre, les banques et entreprises allemandes ont réussi à réduire leur présence dans les pays périphériques, la Grèce plus particulièrement, ces dernières années. Toutefois, ils restent relativement engagés en Espagne, Italie et France.

L’Allemagne en partie fautive

De surcroît, on ne doit pas oublier que les institutions allemandes ont leur part de responsabilité dans la crise.

Les banques allemandes ont contribué à la propagation de la dette privée et souveraine dans de nombreux pays de la zone euro. Elles ont prêté à taux faibles à des banques qui en ont abusé. Ainsi, malgré le ton souvent moralisateur de ses dirigeants, l’Allemagne porte en partie la responsabilité des crises qui touchent ses partenaires.

Le rôle de la Bundesbank, banque centrale 

Alors que l’Allemagne semble avoir commencé à réduire sa présence en terme de finance privée, elle est toujours vulnérable en raison de ce que l’on appelle le système TARGET 2 – un réseau par lequel les banques payent leurs dettes transnationales. En vertu de ce système, un pays comme la Grèce, qui manque beaucoup de liquidités, emprunte souvent à des pays comme l’Allemagne, où l’argent s’accumule. Des dettes massives s’accumulent ainsi. En cas de défaut et, pire, de faillite, les pertes seraient partagées entre les banques centrales de la zone euro, alors même que la Bundesbank allemande serait de loin la banque la plus créditrice.

« En gros, la Bundesbank a écarté le risque émanant du secteur privé, » affirme Dullien. « Si la zone euro devait éclater, ce serait moins une perte pour le secteur bancaire que pour le secteur public. »

Par ailleurs, si la crise de l’euro semble désormais engagée dans une spirale incontrôlable, toute faillite d’un pays ayant bénéficié de l’appui de la Banque centrale européenne frapperait l’Allemagne de plein fouet, en raison de la hauteur de ses contributions.  

Le coût à payer serait « catastrophique » pour l’Allemagne, prévient Dullien.

L’austérité comme garantie des remboursements

L’Allemagne, ainsi que ses partenaires de la zone euro, risque de perdre des milliards en garanties des sauvetages en Grèce, Irlande et Portugal, et désormais Espagne.

L’obsession de Merkel pour l’austérité, sa détermination à mettre en place une union fiscale et, comme ces derniers jours l’ont montré, son adhésion à l’idée d’un approfondissement de l’union politique visent le même objectif : s’assurer que ces pays ne considèrent pas les prêts comme autant de chèques en blanc les autorisant à continuer à dépenser de manière irresponsable.  

Merkel joue gros

Si l’Allemagne n’agit pas au plus vite, cela risque d’être trop tard pour sauver les pays extrêmement endettés.

La vision de la Grèce quittant la zone euro après son élection cruciale du 17 juin n’est pas utopique. Si tel était le cas, et si l’on devait dire aux contribuables allemands que le sauvetage de la Grèce n’avait servi à rien, cela pourrait avoir de graves répercussions politiques.

« Il se pourrait que l’argent que l’Allemagne a versé à la Grèce soit réduit en poussière, » estime Van Roosebeke. «Cela serait une première. Après, on sera obligé de compenser cette perte dans le budget fédéral allemand. Et on verra alors comment le public réagit. »

Sans aucun doute, un tel événement chamboulerait toutes les fondations de l’économie allemande – et qu’adviendrait-il de ces milliards d’euro qui se croyaient en sécurité, bien au chaud, dans les caisses allemandes. 

Global Post / Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press

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