Site icon La Revue Internationale

Le don de sperme ou d’ovules, source de revenus

dexeus.jpgdexeus.jpg

[image:1,l]

Une motivation économique

Tandis que la crise économique en Espagne s’installe de plus en plus profondément et que le taux de chômage grimpe, de plus en plus de personnes qui doivent faire face à des difficultés financières, sont tentées de vendre sperme ou ovules pour faire quelques rentrées d’argent supplémentaires.

« Je fais cela pour l’argent » déclare Angela Fernandez, une jeune femme de 25 ans qui a déjà donné des ovules à deux reprises et s’apprête à renouveler l’expérience cet été.

Elle doit environ 5000 euros à sa banque à cause de retards de paiement pour son crédit hypothécaire. Chaque don d’ovules à la clinique de fertilité lui rapporte 1000 euros. Une somme non négligeable.

Angela Fernandez et son mari sont au chômage, comme près de 50% des Espagnols de moins de 30 ans. Pendant plus d’un an, ils ne pouvaient compter que sur les 600 euros mensuels des allocations-chômage. Insuffisant pour nourrir une famille de 4 personnes et rembourser chaque mois 200 euros pour le prêt hypothécaire qu’ils ont contracté pour acheter leur appartement de Barcelone.

La vente des ovules et du sperme est interdite en vertu du droit espagnol, mais les Centres de procréation assistée sont autorisés à payer des « compensations » aux donneurs pour la gêne occasionnée, les coûts de transport et le temps passé loin du travail.

« L’argent donné peut changer beaucoup de choses dans la vie de certaines personnes», déclare le docteur Buenaventura Coroleu, président honoraire de l’Association espagnole de fertilité (SEF) et Chef du service de médecine de la reproduction à la Clinique Dexeus de Barcelone.

Une fois acceptés comme donneurs, les hommes peuvent donner du sperme une fois par semaine pendant trois mois et recevoir jusqu’à 50 euros à chaque fois. Les femmes reçoivent jusqu’à 1.000 euros par don, mais le processus est plus long, douloureux et comporte des risques, impliquant une série de tests, des injections d’hormones, des ultrasons trans-vaginaux et pour finir une invasive « ponction » visant à extraire les ovules. Le montant des frais est quant à lui fixé par la SEF.

« Il fut un temps où cet argent n’aurait pas suffi à acheter le bon vouloir des gens, mais dans ces périodes d’extrême nécessité, tout est différent. » estime Maria Casado, directrice de l’Observatoire du  Droit et de la Bioéthique de l’Université de Barcelone.

Le nombre de dons explose

Ces compensations, en tous cas, semblent acheter le bon vouloir de bien des personnes. Les cliniques de reproduction estiment que depuis 2009, le nombre de donneurs a augmenté de 20 à 30%.

Dans certaines régions, l’augmentation est encore plus prononcée. Ainsi, Josep Lluis Ballesca, directeur du service d’andrologie (équivalent masculin de la gynécologie) de l’Hôpital Clinique de Barcelone, constate : « D’ordinaire, je recevais un ou deux donneurs par semaine, mais depuis trois mois, c’est au moins un par jour. »

[image:2,l]

Un donneur se voit garantir son anonymat. Auparavant, les donneurs étaient surtout des étudiants. En effet, les cliniques font principalement de la pub dans les universités, car un donneur idéal doit avoir entre 18 et 30 ans.

Mais, avec la crise, le profil des donneurs a changé. Ainsi, Josep Barrado, le porte-parole de la Clinique Fertilab de Barcelone, estime qu’entre 80 et 90% des hommes et entre 60 et 70% des femmes qui « fournissent » sa clinique sont désormais des adultes au chômage.

Une culture de l’altruisme ?

« La rémunération est bien sûr leur motivation-clé » explique-t-il. « Ceci dit, on observe tout de même une prise de conscience, une sensibilité nouvelle envers les futurs parents. »

Eugenia Insagaray, originaire de Vigo, a donné ses ovules pour la première fois en décembre 2011. « J’avais une entreprise, mais elle a fait faillite. » La jeune femme de 27 ans travaille maintenant comme serveuse. « J’avais méchamment besoin d’argent » précise-t-elle.

Depuis, elle a donné à deux reprises. Elle estime toutefois que ses motivations ont changé. « Je suis devenue consciente du point auquel cela aide d’autres femmes. […] C’est douloureux, vous perdez deux jours de travail, mais même sans la compensation, je le referais. »

Pourtant, le fait que bien des donneurs soient motivés par des raisons financières a déclenché un débat éthique en Espagne. Certains experts appellent ainsi à la suppression de toute compensation financière, au même titre que pour les dons d’organes, afin d’éviter l’émergence de donneurs professionnels.

« D’un point de vue légal, c’est hypocrite d’interdire le commerce des [organes et fluides] humains, tout en autorisant des compensations financières pour les donneurs » estime pour sa part Josep Lluis Ballesca.

Dans bien des pays, y compris en France, ce genre de dons n’est pas rémunéré. Au Royaume-Uni, les donneurs reçoivent jusqu’à 750 livres (environ 900 euros) en compensation d’une éventuelle perte financière liée au don. Aux États-Unis, où le marché est moins réglementé, les femmes peuvent recevoir plusieurs milliers de dollars pour un don, et certains affirment que cela ne suffit pas, tant les risques et les inconvénients sont nombreux.

Josep Lluis Ballesca pense quant à lui que le fait que l’Espagne ait le plus haut taux de donneurs d’organes du monde indique l’existence d’une culture de l’altruisme dans le pays, ce qui rendrait inutile l’existence de rétributions.

« Peut-être que nous aurions une pénurie pendant un certain temps, mais finalement, je suis persuadé qu’avec un peu d’éducation et de sensibilisation, nous nous en sortirions très bien. »

Mais, Buenaventura Coroleu désapprouve cette affirmation. Pour lui, abolir les compensations financières ferait considérablement diminuer le nombre de donneurs, à un point tel que les cliniques espagnoles, qui fournissent 75% des donations d’ovules en Europe selon la SEF, seraient incapables de répondre à la demande des femmes.

Ainsi, à la clinique Dexeus, 50% des clientes sont étrangères. Elles sont attirées par les faibles prix, ainsi que par le libéralisme des lois espagnoles. Les femmes célibataires et les couples lesbiens sont autorisés à accéder aux procédures de procréation assistée, contrairement à des pays comme la France.

Des risques de consanguinité ?

Avec une telle demande, il existe aussi des craintes que les donneurs ne soient pas surveillés suffisamment afin de s’assurer qu’ils n’engendrent pas plus de six enfants – une limite fixée par la loi espagnole pour éviter la consanguinité.

[image:3,l]

Des experts appellent à l’établissement d’un registre national des donneurs. Celui-ci avait été proposé dans la loi de 1986 sur la reproduction assistée, mais jamais implémenté. Dans la situation actuelle, les cliniques sont forcées de croire les donneurs sur parole lorsqu’elles leur demandent s’ils ont déjà donné, à quelles cliniques et combien de fois.

Une situation difficile pour les cliniques, comme l’explique José Antonio Castilla, médecin à la clinique Mas Vida Reproduccion de Séville. « En cas de dépassement du nombre de dons autorisés, c’est la clinique qui est tenue responsable. Soit, mais le problème, c’est que nous n’avons absolument aucun moyen de savoir si un patient ment et nous met dans une situation d’illégalité. »

Sans registre officiel, les médecins soulignent qu’il est tout à fait possible pour un homme de donner son sperme à chacune des 150 cliniques spécialisées en Espagne, et ainsi d’engendrer des centaines d’enfants. Lorsque nous avons contacté le Ministre de la Santé pour lui demander pourquoi un tel registre n’avait pas été créé, il a refusé de répondre.

En France ou au Royaume-Uni, la limite d’enfants par donneur est fixée à 10. En Allemagne, elle est de 25. Aux Etats-Unis, la loi est plus permissive : le pays est divisé en zones, et un donneur ne peut engendrer « que » 25 enfants pour 800 000 habitants de sa zone. Ce qui veut dire qu’en théorie, rien n’empêche un donneur d’engendrer une dizaine de milliers d’enfants…

Pourtant, alors même que la crise économique incite certains à devenir « donneurs professionnels », les médecins croient qu’en raison de la limite imposée de six enfants (au moins pour chaque clinique, chacune tenant son propre registre) et le fait que la population espagnole a tendance à être peu mobile, il est peu probable que l’Espagne ne soit un jour confrontée à un cas tel que celui qui a été révélé dans la région de Washington l’année dernière, dans lequel au moins 150 enfants ont été conçus avec le sperme du même donneur.

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

Quitter la version mobile