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Le miracle économique estonien

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Le bon élève de la zone euro

Seize mois après avoir rejoint une Euro-zone de plus en plus vacillante, l’Estonie a fière allure. Sa croissance, de 7,6%, est 5 fois supérieure à la moyenne européenne. De plus, le petit pays balte est le seul membre de la zone euro à pouvoir se targuer d’avoir un budget excédentaire. La dette nationale, elle, ne représente que 6% du PIB, contre 81% dans la « vertueuse » Allemagne ou 165% en Grèce.

Les clients se pressent dans les boutiques au design nordique ou dans les restaurants tendance de la capitale, Tallinn, tandis que les entreprises high-tech se plaignent de ne trouver personne pour combler leurs postes vacants. Nous sommes loin de la morosité ambiante du reste de l’Europe.

Cette réussite est d’autant plus remarquable que le pays fut l’un des plus durement touchés par la crise financière économique. En 2008-2009, le pays a souffert d’une récession de 18% ! Plus que la Grèce au cours de ces cinq dernières années.

L’austérité comme solution ?

Comment le pays a-t-il rebondi ? Pour Peeter Koppel, responsable stratégique des investissements chez SEB Bank, la réponse tient en un mot : « Austérité. Austérité, austérité, austérité ». Certainement pas une réponse qui conviendrait à nombre d’Européens plus aux Sud, eux qui endurent depuis trois ans les conséquences du régime rigoureux de leurs gouvernements.

Lors d’une récente conférence regroupant des parlementaires européens et nord-américains à Tallinn, Peeter Koppel s’est vu brocardé par les Français et Italiens lorsqu’il a suggéré que l’Europe devait se préparer à une « inévitable » baisse des standards de vie, de la sécurité de l’emploi voire des salaires. Un mal selon lui indispensable afin de sortir de la crise de la dette.

Alors que les coupes dans les dépenses gouvernementales ont provoqué grèves, émeutes et chutes de gouvernement un peu partout en Europe, les Estoniens ont accepté, sans coup férir, les mesures d’austérité les plus brutales. Mieux, ils ont même réélu les dirigeants qui les ont imposées.[image:3,l]

« Ce fut très dur, mais nous y sommes arrivés » explique le ministre de l’Économie, Juhan Parts à Global Post. « Tout le monde a dû donner un petit peu. Les salaires issus du budget de l’État ont tous été baissés. 20% pour les ministres, 10% pour la plupart des fonctionnaires ». Celui qui fut aussi Premier ministre de 2003 à 2004 ajoute : « En temps normal, de telles mesures destinées aux fonctionnaires, aux policiers auraient été extrêmement impopulaires, mais je pense que les Estoniens ont bien compris que, lorsque les revenus diminuent, il faut s’attendre à voir les dépenses faire de même. »

En plus de couper dans les salaires du secteur public, le gouvernement a répondu à la crise de 2008 en augmentant l’âge de départ à la retraite, en rendant plus difficile le remboursement des dépenses de santé ou encore en réduisant la sécurité de l’emploi. En bref, il a pris toutes les mesures accueillies avec tant de colère lorsqu’elles ont été proposées en Europe occidentale.

L’Histoire comme explication

L’Histoire du pays peut expliquer en partie pourquoi les Estoniens sont si aptes à serrer les dents face à l’austérité. Comme ses voisins baltes, qui se remettent d’ailleurs eux-aussi bien de la crise, le pays est sorti du joug soviétique il y a 20 ans. Pour les citoyens les plus âgés, les souvenirs douloureux de l’occupation russe rendent plus facile l’acceptation des sacrifices d’aujourd’hui. Chez les plus jeunes, il existe une certaine une idée selon laquelle, au sein d’une petite nation de 1,3 million d’habitants, l’unité est indispensable en temps de crise. Et que c’est sur cette unité que reposent les libertés et les opportunités de leur génération. Peeter Koppel explique : « En Europe de l’Ouest, les gens n’ont jamais vraiment expérimenté de baisse des standards de vie depuis la fin de la guerre. L’austérité est indispensable, mais elle ne fait pas partie de leur culture. C’est ce qui nous différencie : nous, nous avons été capables de comprendre cela. »

Mais il y a des ombres au tableau. Le salaire moyen net (697 euros) est parmi les plus faibles de la zone euro et le taux de chômage, de 11,7%, reste au-dessus de la moyenne de celle-ci. Quant à la restauration de l’économie, elle reste vulnérable aux ondes de choc de l’écroulement du bloc euro au Sud.

Une nation « start-up » : technologie de pointe et ambition

Néanmoins, le chômage est en baisse dernièrement, grâce au dynamisme du secteur high-tech. Les gouvernements de l’après-indépendance ont tous lourdement investi dans l’éducation scientifique et dans les technologies de l’information, attirant avec succès les investisseurs avec le label e-stonia.

Le pays a aussi prêté une attention toute particulière à l’établissement d’un environnement favorable au bon déroulement des affaires : les impôts sont faibles, tandis qu’il est facile et peu onéreux de créer une entreprise. Sa position géographique, qui permet d’accéder rapidement aux marchés russes, nordiques et allemands, a également aidé. Tout comme sa très faible dette, conséquence directe de sa rupture avec le bloc soviétique. C’est ainsi que l’Estonie brille au sein d’une zone euro en proie aux plus grandes difficultés.[image:2,l]

À la pointe de cette réussite, on trouve des entreprises jeunes et innovantes, issues de startups ambitieuses. Parmi lesquelles, le webdesigner Edicy, le service internet de transfert monétaire Transferwise ou encore le concepteur de logiciels de vente ou d’inventaire Erply. Mais la plus connue de ces entreprises est évidemment Skype et son logiciel de téléphonie en ligne. Développée par quatre « geeks » estoniens avec l’aide d’amis suédois et danois, l’entreprise a été rachetée l’année dernière par Microsoft, pour plus de 6,5 milliards d’euros. Son centre d’opérations, situé dans un parc technologique de la banlieue de Tallinn, emploie 400 personnes issues de 30 pays. Celles-ci travaillent dans des bureaux agréables et lumineux, où l’on trouve un sauna, une garderie, ou encore des cafés et salons où les ingénieurs peuvent recharger leur énergie créative.

Pour Tiit Paanenen, le directeur du centre, les Estoniens ont « une sorte de trait de caractère, qui nous fait tout simplement bien faire les choses ». Il s’explique : «  Je me suis longtemps demandé pourquoi. Je pense que c’est parce que nous sommes peu. Dans les cercles qui travaillent sur la même chose, tout le monde se connaît. Il y a une responsabilité mutuelle qui se développe. Si vous vous plantez, tout le monde est au courant ».

L’homme considère que l’Estonie elle-même fut une sorte de start-up à ses débuts. Les vieilles élites soviétiques mises hors-circuit à l’indépendance, ce sont les jeunes générations qui se sont installées au sommet des milieux de la politique et des affaires tandis que le pays se construisait une économie à partir de rien.

« Ce qui en a résulté, c’est que nous sommes très compétitifs, très efficaces. Parce que nous utilisons la technologie là où, autrement, il y aurait énormément de frais et de gâchis. » Et le cadre de conclure : « L’Estonie est déjà plus grande. Nous exerçons un impact sur le monde, et cela va se poursuivre ».

Global Post / Adaptation Charles El Meliani – JOL Press

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