Samedi 2 juin, nombreux sont les Égyptiens à avoir réagi violemment à l’annonce du verdict du procès Moubarak. Reconnu complice du meurtre de manifestants pendant la révolution de l’an passé, l’ancien dictateur a été condamné à la prison à perpétuité. Une sanction jugée insuffisante par une partie de la population égyptienne qui aurait souhaité le voir condamné à mort.
[image:1,l]La décision est importante. C’est la première fois, depuis le début du printemps arabe, que l’un des dirigeants renversés est condamné. Il n’empêche qu’elle a déçu les Égyptiens. Un verdict qui risque bien de compliquer une présidentielle d’ores et déjà sous tension.
846 manifestants tués en 18 jours de révolte
La joie des Égyptiens, en apprenant qu’Hosni Moubarak, 84 ans, avait été condamné à la prison à vie, n’a pas duré longtemps. Elle s’est transformée en véritable rage quand le président de la cour, Ahmed Refaat, a annoncé que six hauts responsables de la sécurité avaient été acquittés. Ce sont pourtant bien les ordres qu’ils ont formulé qui ont conduit à la mort de 846 manifestants en 18 jours de révolte.
Une sentence « insuffisante »
« Je me demande où le sang des gens s’en est allé », s’est ému Ahmed Hassan, un technicien du son de 30 ans, qui suivait le procès depuis un café du centre-ville du Caire. « Qui a fait couler le sang des martyrs, si ces gens-là sont innocents ? Cette sentence, ce n’est pas suffisant ! »
L’ancien ministre de l’Intérieur, Habib Al Adly, a également été condamné à la prison à perpétuité. Une décision prise car la justice a estimé que l’homme n’a pas été en mesure « d’empêcher les tueries », et non parce qu’il était directement impliqué dans la mort des révolutionnaires.
Entre temps, les charges retenues contre les fils d’Hosni Moubarak, Alaa et Gamal, étaient abandonnées, les faits de corruption qui leur étaient reprochés étant prescrits, selon le président de la Cour.
Des réactions massives
La réaction des Égyptiens ne s’est pas fait attendre. Au Caire, sur la place Tahrir, ils ont crié leur colère. À Alexandrie et à Suez, aussi, ils ont manifesté en masse. « Nous demandons la justice. Le sang a coulé dans les rues » a rappelé Hala Suleiman Rizk, étudiante en informatique, de 19 ans. « Ils doivent mourir. Tous comme les gens morts pendant la révolution. »
Les Frères musulmans, la plus importante force politique égyptienne, ont de leur côté annoncé qu’ils participeraient, dans tout le pays, à des manifestations appelant à la révision du procès.
Protéger le régime de Moubarak
Les retombées politiques du procès étaient toujours incertaines ce samedi. Toutefois, pour les spécialistes du droit, l’affaire a soulevé de nombreuses questions quant à l’indépendance des juridictions égyptiennes.
« C’est un verdict qui a été rendu pour protéger et défendre le régime de Moubarak », a estimé Amir Salem, l’avocat des familles des victimes. « Cela signifie que nous vivons toujours sous le régime de Moubarak, et que tous les pouvoirs de ce pays continuent à se battre pour le défendre. »
« L’innocence des policiers », suscite l’indignation de la population
En un an de procès, rares sont les personnes poursuivies pour le meurtre de militants à avoir été pénalement sanctionnées. Quand les Égyptiens sont descendus dans les rues, dans une révolte sans précédent contre le régime d’Hosni Moubarak, les infrastructures de la brutale police d’État qu’il avait installée, ont été l’une des premières cibles.
Le 28 janvier 2011, les Égyptiens ont brûlé plusieurs centaines de commissariats, où nombres de leurs compatriotes ont été torturés, selon les activistes des droits de l’Homme. Plus de 150 policiers s’en sont alors pris aux manifestants. Ils ont été poursuivis pour meurtre, mais ont été presque tous été acquittés.
À présent, voilà que quatre assistants du ministre de l’Intérieur sont innocentés lors du procès Moubarak pour « manque de preuve ». Cette incapacité du pouvoir public à établir pleinement les responsabilités dans la mort des manifestants en janvier 2011 donne « le feu vert à de futurs abus de la police », a regretté l’ONG Human Rights Watch.
« Comment se fait-il que tous les policiers, d’Alexandrie, au Nord, à Aswan, au Sud, soient innocents ? » s’est interrogé Amir Salem. « Qui a tué les Égyptiens ? Ce ne sont quand même pas des extra-terrestres qui sont descendus avec des armes et ont commencé à tirer sur la population ? ». Autant d’aberrations judiciaires que la population aura du mal à tolérer.
Global Post / Adaptation Anaïs Leleux – JOL Press