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Les droits de douane, une notion rétrograde ?

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[image:1,l]Réindustrialiser une zone géographique en restant dans les règles du commerce international peut se révéler extrêmement complexe. En effet, la seule solution que semblent avoir trouvés les politiques réside dans l’application de droits de douane à l’entrée du marché que l’on souhaite protéger, hier l’État-Nation, aujourd’hui l’Europe ou autre grand agrégat économique. Mais cette vison, outre le fait qu’elle soit aujourd’hui contestable, dans le contexte des accords commerciaux supranationaux et peut donc être attaquée devant les instances en charge de leur gestion, apparaît comme risquée et rétrograde.

Rétablir les frontières nationales pour assurer la préservation de l’emploi : une mesure risquée et rétrograde

Risquée car elle présente la notion de frontière comme une notion protectrice : comment dans ce cadre faire comprendre aux citoyens que l’intégration économique globale est une bonne chose pour la croissance, et la productivité des entreprises locales, alors même que l’on supporte pour générer de l’emploi et donc aussi de la croissance (tant il est vrai que l’essor économique de la planète s’est quoiqu’on en dise construit sur l’extraordinaire développement du commerce mondial) une mesure qui va à l’encontre de cette intégration mondiale. Il est clair que les extrêmes de tous bords auront tôt fait de s’emparer de ce qui pourrait être lu comme une certaine schizophrénie.

Rétrograde, car prônant le retour de la Nation comme valeur centrale de l’économie. Or chacun sait que dans un monde aux technologies intégrées, l’autarcie est une chimère : selon l’organisation mondiale du commerce, les échanges internes aux firmes représentent aujourd’hui 33 % des échanges. En d’autres termes, produit-on localement tous les composants pour construire ne serait-ce qu’une voiture ? Bien sûr que non. A-t-on aujourd’hui hui la capacité de produire localement tout ce qui peut être souhaité par les agents économiques ? Ne serait-ce qu’en raison de l’absence de ressources rares ou de capacité à recycler les ressources rares dans notre pays et même en Europe, la réponse et la aussi négative.

Encourager la production locale pour relancer la croissance

Le modèle de Robert Reich, même s’il est controversé, montre que la création de valeur locale sur une voiture, ne représente plus, aujourd’hui, qu’un bon tiers de sa valeur totale. Il s’agit donc de trouver des méthodes pour accroître la création locale de valeur d’un bien – ou d’un service – pour conserver de l’emploi à proximité du marché cible.

À cette fin, il existe un moyen compatible avec les règles du commerce mondial qui – outre cette protection des emplois locaux – pourrait stimuler l’investissement de proximité : utiliser les consommations d’énergies et les coûts annexes liés au transport comme référence à une mesure économique, une taxation certes mais qui ne serait pas un droit de douane, car ne s’appliquant pas uniquement à l’entrée sur le marché concerné.

Dans ce cadre, plus le produit viendrait de loin, plus il aurait consommé d’énergie globalement (et non rapporté au tonnage transporté) et plus les coûts de transits étant important, plus la taxation serait forte ; cette méthode ayant l’avantage, par rapport à une assiette assise sur diverses émissions (carbone, dérivés soufrés, oxydes d’azote…), d’être fondée sur des données connues : les consommations par navire, moyen de transports, les coûts des transitaires, etc… En outre, ce type d’outil présente l’intérêt collatéral de motiver à l’investissement et l’innovation dans les transports, car une réduction des consommations impacterait directement la potentielle taxation.

Des mesures économiques et fiscales calculées sur la difficulté de produire un bien et d’atteindre la cible

Quoiqu’il en soit, ce n’est donc plus l’entrée ou non dans un marché mais la distance au marché et la méthode d’acheminement choisie pour accéder au marché qui serait déterminante. Par ailleurs, cette taxation touchant indifféremment importations et autres marchandises, elle ne créerait pas d’emblée une distorsion de concurrence combattu à juste titre tant par l’Union européenne que par l’OMC. En revanche, elle constituerait une réponse peut-être adéquate à certaines pratiques de dumping fiscal et social. 

Des contradicteurs pourront dire que le transport maritime international génère moins d’émissions carbonées que le transport routier utilisé pour les faibles distances. Certes, mais il existe une alternative au transport routier sur faible distance, et les navires fonctionnant au BFO (Bunker Fuel Oil), produisent des pollutions néfastes, tels que les dérivés soufrés (SOx), les oxydes d’azote (NOx) et bien sûr le carbone. À titre d’exemple, les émissions de CO du transport maritime étaient estimées à 1 050 millions de tonnes en 2007 et en croissance de 30 % par an.

Il est aussi vrai qu’une simple taxation sur l’éloignement du lieu de production ne pourrait suffire car elle impacterait indifféremment les biens mobiles, quelle que soit leur complexité technologique et pourrait donc avoir une action négative sur l’innovation. Par ailleurs, et même si l’on assiste ces dernières années à une hausse constante des coûts logistiques, il n’est pas certain que les producteurs choisiraient de relocaliser leur production la plus innovante au plus près de leurs consommateurs.

Établir un arbitrage entre le risque de perdre un marché et la nécessité de repenser la politique de production, des enjeux capitaux

Pour améliorer l’efficacité de la mesure économique envisagée, il conviendrait donc de coupler la taxation « à la distance parcourue » avec la complexité du produit arrivant sur le marché : plus le produit serait complexe, c’est-à-dire intégrant de nombreux composants, et disposant d’un degré de transformation important par rapport au produit brut, plus la taxation pourrait être forte.

En effet, ce qui motive une stratégie de production, c’est la création de valeur pour une catégorie donnée, de l’entrepreneur au salarié en passant par l’État… Si l’on se penche sur le cas de l’entrepreneur, il n’existe pas aujourd’hui de motivation à produire au plus près des marchés de débouchés. Tant que la valeur, en utilisant la spécialisation internationale, est plus intéressante que la production locale, l’entrepreneur n’a pas de raison de changer son fusil d’épaule. Maintenant s’il est mis en place des mesures économiques, celui-ci pourra soit choisir de répercuter le coût de la mesure économique sur son prix – on retrouve ce choix, par exemple, dans la stratégie de certains producteurs de matières premières 

du secteur de l’énergie – mais aussi décider de relocaliser et de nouveau produire au plus près. L’introduction d’un outil économique ou fiscal aura donc pour effet de proposer à l’entrepreneur d’arbitrer entre le risque de perdre un marché en raison de prix dissuasifs ou la possibilité de repenser sa politique de production, sans pour autant renier quelques éléments de spécialisation internationale. Il y aurait en effet une forte motivation à produire au loin les composants les moins onéreux/complexes, et au plus près les éléments les plus couteux : un arbitrage équilibré entre gains de productivité issus de la spécialisation mondiale et préservation de l’emploi et de la croissance de proximité.

Ce type d’introduction d’instruments dits économiques fait l’objet de nombreuses études tant en France, qu’en Europe ou ailleurs dans le monde. L’OMC s’interroge déjà sur l’impact de ces mesures sur la chaîne de valeur mondiale. Il est pourtant clair que privilégier la proximité de certaines productions serait tout aussi bénéfique pour l’environnement et le climat que pour la croissance et l’emploi…

Les politiques seuls responsables de la croissance de demain ?

Il existe de ce fait des moyens accessibles et soutenables de relancer la machine économique, ne manque finalement, que la volonté politique d’agir dans ce sens. Plutôt que de rechercher le blocage aux frontières des biens, et à l’heure où les données permettant de mieux comprendre les chaînes de valeur mondiales voit le jour (WIOD), peut-être est-il temps de trouver en Europe un consensus sur la mise en place d’un outil commun favorisant la production dans les pays de l’Union. Cela aurait aussi le mérite de poser la question de la mise en œuvre d’un socle commun de normes sociales et fiscales des partenaires de l’Union, un chantier toujours remis, que bien des pays membres se refusent à aborder alors même qu’il pourrait être leur salut.

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