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« Les États-Unis d’Europe sont déjà en construction »

[image:1,l]À l’heure de la crise, les institutions européennes peinent à résoudre une situation qui semble s’aggraver d’évènements en évènements et à contenir un effet domino qui partirait de la Grèce pour atteindre l’Espagne, l’Italie, le Portugal, jusqu’à provoquer l’explosion de l’Europe.

Face à cette configuration qui ne semble pas pouvoir aboutir sur quelques jours meilleurs pour l’Europe, nombreux sont ceux qui souhaitent la voie de l’intégration maximum, celle d’un État supranational qui ferait de l’Europe une véritable fédération politique.

Docteur en Histoire et spécialiste de la question européenne, Christophe Réveillard est membre de l’UMR Roland Mousnier [École doctorale Moderne et contemporaine Paris-Sorbonne Paris IV – Centre d’Histoire de l’Europe et des relations internationales]. Il vient de rééditer aux éditions Ellipses une version actualisée de ses Dates-Clefs de la Construction européenne. Selon lui, la crise que traverse l’Europe aboutira nécessairement à un changement institutionnel. Néanmoins, l’union supranationale, souvent imaginée comme un remède pour l’UE est, dans les faits, déjà en place, grâce au Traité de Lisbonne et au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance.

Ne resterait alors qu’à créer les institutions adéquates, mais les 27 pays peuvent-ils vraiment vivre ensemble sur un pied d’égalité ?

Une fédération européenne pour sortir de la crise ?

L’Europe semble dans l’impasse et l’idée de créer une « fédération européenne » à la tête de tous les États composant l’UE est avancée comme solution à la crise. Qu’en pensez-vous ?

Christophe Réveillard : Il y a une crise systémique qui ronge l’Union européenne et la gouvernance européenne et ceux qui préconisent un changement ont au moins la volonté de faire bouger les lignes parce qu’il y a un véritable problème de fond à régler.

Mais finalement, cette vision volontariste du « toujours plus d’Europe » est déjà en marche depuis longtemps.

Le Traité de Lisbonne qui reprend quasiment intégralement le Traité constitutionnel, sans les symboles européens, est déjà un cadre fixe d’intégration européenne.

D’autre part, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire est un corset de gouvernance économique fondé sur le pacte budgétaire qui engage très profondément la coordination économique des pays de l’UE.

Nous sommes déjà rentrés dans un processus d’intégration extrêmement poussé. Désormais, il suffirait de dépasser l’échelon gouvernemental, parce que dans les faits, la gouvernance supranationale, via le contrôle budgétaire, financier, monétaire donc économique, est déjà en place.

À terme, si rien ne change, l’Allemagne qui se trouve en position de force grâce à son économie en bonne santé face à des pays en détresse, ne finira-t-elle pas par se lasser d’une Union Européenne qui lui coûte cher ?

Christophe Réveillard : N’oubliez pas cependant que l’Allemagne connaît un déficit budgétaire de plus de 30 milliards d’euros et un endettement largement supérieur aux critères de Maastricht. Pour le débat sur le maintien dans la zone euro, il y a deux ans et demi, l’Allemagne s’est posé cette question. Le gouvernement a réfléchi et a pesé le pour et le contre de l’opportunité pour l’Allemagne de rester dans la zone euro. Finalement, Angela Merkel a clos le débat en confirmant que l’Allemagne avait toute sa place dans l’Union européenne, tant les intérêts commerciaux allemands sont importants pour elle, la plupart de ses échanges commerciaux étant réalisés au sein de l’Union européenne.

Les Allemands ont donc tranché et ont décidé, dans leur intérêt, de rester, tout en imposant aux pays en difficulté une discipline budgétaire très stricte.

Désormais, la question à poser est la suivante : quels sont les intérêts respectifs des États membres ? Car dans les faits, le Pacte de stabilité, la coordination et la gouvernance imposent une rigueur telle aux États qu’ils sont nombreux à être menacés de récession. C’est le risque que le remède tue le patient.

Eviter un phénomène de contagion

La sortie de la Grèce de la zone euro semble se confirmer. Ne va-t-elle pas ouvrir la voie à d’autres pays comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, ce qui conduirait à un éclatement de la zone euro ?

Christophe Réveillard : la sortie de la Grèce n’est plus une surprise et c’est une situation qui a largement été anticipée par les investisseurs et les opérateurs institutionnels. Cette anticipation représente d’ailleurs un premier pas vers la sortie de la Grèce.

C’est sans doute cette anticipation qui permettra à l’UE d’éviter un effet domino. Les économies espagnoles et italiennes sont tellement antithétiques d’une politique de rigueur qu’en faisant sortir la Grèce de la zone euro, les responsables européens espèrent empêcher un effet de contagion.

De mon point de vue, la sortie de la Grèce ne sauvera pas la zone euro. Tant que le système n’est pas changé, s’il n’y a plus la Grèce à sauver, un autre pays prendra sa place, voyez l’Espagne, le Portugal, voire l’Italie.

Néanmoins, le problème espagnol est beaucoup plus grave que le problème grec. La masse budgétaire et la masse de déficit ne sont pas les mêmes. On passe du simple au triple et cela en fait une menace beaucoup plus grande pour l’Europe, car les budgets de l’Espagne sont beaucoup plus élevés.

S’il fallait un gouvernement pour l’Europe, quelle forme prendrait-il ?

Christophe Réveillard : même si le terme « gouvernement » n’est pas employé, l’Union européenne est actuellement gouvernée par le Conseil Européen, composé des chefs d’État ou de gouvernement des 27 pays membres. C’est un Conseil de nature confédérale qui n’a donc pas vocation, dans son essence même, à devenir supranational puisqu’il est fondamentalement intergouvernemental.

Pour mettre en place une gouvernance européenne, il faudrait donc casser le système du Conseil européen, inventer un véritable système fédéral, créer un gouvernement européen et définir un chef à sa tête, installer une Assemblée constituante et bien sûr, rédiger une Constitution fédérale ainsi que de nouvelles institutions.

Il faut savoir qu’un tel système n’a jamais existé dans l’Histoire. Nous n’avons aucun exemple de fédération politique englobant plusieurs pays sur un même pied d’égalité. Le système politique s’en rapprochant le plus est sans doute l’empire, mais dans cette configuration, il y a toujours eu un pays qui dominait les autres, un système hégémonique plutôt que fédéral.

L’intégration supranationale est proche de l’achèvement dans le Traité de Lisbonne. Ne restent que la création de la tête de « l’État » et l’établissement des symboles.

…Et bien entendu, l’accord des peuples, ce qui est plus que compromis !

Le premier État supranational de l’Histoire

Ce gouvernement placerait donc les 27 pays de l’Union européenne sur un pied d’égalité ?

Christophe Réveillard : l’Union européenne, ce sont avant tout quatre grands pays qui financent et 23 qui sont financés. Ces quatre pays représentent près de 80% du PIB de l’Union. Si l’on retire le Royaume-Uni qui ne fait pas partie de la zone euro et l’Italie qui est également en crise, ne restent que la France et l’Allemagne. Ces deux pays sont moteurs du Conseil européen. Finalement, le budget d’un État supranational, à l’échelle de la zone euro, ne serait que l’association des budgets français et allemands. C’est une vision assez simpliste de croire qu’un gouvernement européen pourrait mettre les 27 sur un pied d’égalité. La réalité politique reste celle de la puissance.

Mais finalement, à part l’intégration totale, quelle issue à la crise ?

Christophe Réveillard : la crise de la zone euro, conséquence de la crise mondiale a eu le mérite de révéler un vice interne. L’occasion d’une crise est souvent l’occasion d’une réforme. L’avenir de l’UE dans les voies qu’elle emprunte, orthodoxie budgétaire, intégration sans fin, processus de non-identification, me paraît assez sombre.

Nous sommes en pleine tourmente et pourtant nous nous lançons dans un processus d’élargissement, notamment avec l’entrée de la Croatie. C’est une véritable fuite en avant.

Pour dénouer la crise financière et budgétaire, il faudrait peut-être une crise plus importante, une crise politique.

L’option de la sortie ?

L’avenir de l’Europe semble incertain, mais pouvons-nous désormais vivre sans Union européenne ?

Christophe Réveillard : cela fait dix ans que nous sommes dans la zone euro et il est difficile de connaître les conséquences d’une éventuelle sortie.

Il ne faut pas tomber dans le fantasme, dans un sens comme dans l’autre. La puissance des nations n’a pas changé avec la zone euro et finalement la production de richesse de l’Union européenne n’est que l’addition des productions de richesses de chacun des pays membres. L’Union européenne est essentiellement fondée sur le marché intérieur dans lequel les économies des États membres ont créé un cadre d’interdépendance, mais l’UE n’a pas de croissance propre.

Il y aurait un coût évident à une sortie de la zone euro, mais il faut se souvenir aussi du coût phénoménal de la croissance molle que nous a imposé l’euro depuis sa création. C’est pourquoi il faut nuancer tous les scénarios catastrophes qu’on nous présente à l’unisson.

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