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Les journalistes nuisent-ils à l’image de l’Afrique ?

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L’éthique du journaliste remise en question

Est-ce que nous voyageons à travers le continent pour mieux connaître le territoire et ses habitants ? Est-ce que nous écrivons sur les situations politiques et économiques pour que nos lecteurs puissent comprendre ce qui se passe en Afrique ? Ou est-ce que nous débitons seulement des clichés faciles et encourageons les préjugés ?

Dans « Comment ne pas écrire sur l’Afrique », un article publié sur le site Foreign PolicyLaura Seay, professeur adjointe à l’université américaine de Morehouse College (Atlanta, États-Unis), qui se proclame écrivaine de longue date sur l’Afrique, déplore la couverture médiatique étrangère de l’Afrique. Cela la « hérisse », selon ses propres mots.

Les journalistes responsables d’une vision erronée de l’Afrique ?

Laura Seay, sous le pseudo twitter de @texasinafrica, se plaint des reportages sur l’Afrique, pleins « d’histoires qui tombent dans des stéréotypes pernicieux et de lieux communs qui déshumanisent les Africains… bourrés d’erreurs factuelles, d’analyses incomplètes et de stéréotypes ». « Pourquoi y a-t-il tant de mauvais reportages sur l’Afrique ? » se désespère-t-elle.

Les journalistes ne sont pas tous les mêmes

Il convient toutefois de nuancer. Mettre tous les journalistes étrangers dans le même panier, en les considérant comme des racistes imbéciles est un raccourci facile pour faire la morale, mais c’est surtout un procédé rhétorique de bas niveau.

Bien sûr, certains journalistes manquent de rigueur dans leurs articles et dans leurs attitudes. Certains arrivent en Afrique la tête remplie de notions erronées, mais faire une généralisation d’un tel comportement est d’une absurdité nonchalante.

L’avis des universitaires est-il objectif ?

Laura Seay est une des nombreux universitaires qui s’attaquent à la couverture médiatique de l’Afrique par les Occidentaux. Le grand problème de ces commentateurs : ils sont absents et leurs opinions émanent d’une tour d’ivoire qui s’est séparée de la réalité du terrain il y a bien longtemps.

Quand j’écris que les peuples des monts Nuba sont terrifiés par les bombardiers de Khartoum (capitale du Soudan), ce n’est pas parce que j’ai lu un article sur la psychologie des raids aériens ou parcouru des tomes académiques remplis de notes de bas de pages et de références, c’est parce que j’ai été dans la boue à leurs côtés quand les bombes tombaient. J’ai vu la terreur sur leurs visages et je l’ai moi-même ressentie.

La connaissance du terrain

La plupart des correspondants étrangers écrivent en se basant sur la connaissance qu’ils ont acquise sur le terrain.

Une clarification préventive, puisque Laura Seay s’intéresse tout particulièrement à la couverture du conflit dans les monts Nuba : lorsque je me suis rendue sur les lieux, c’était avec les rebelles de l’Armée populaire de libération du Soudan, et non avec Ryan Boyette que j’ai rencontré par hasard sur place, et le soutien que j’ai reçu de l’organisation d’aide humanitaire américaine Samaritan’s Purse s’est limitée à la possibilité de partager une de leur tentes dans le camp de réfugiés de Yida, et pour laquelle j’ai dû payer.

Je vis et travaille en Afrique depuis 2004, plusieurs de mes collègues y ont sont depuis aussi longtemps, voire plus. Par contre, Laura Seay n’a passé que huit mois au Congo en l’espace de deux ans, alors que ce pays est son domaine de spécialisation. Un autre pays est également une de ses « aires d’expertise » : la Somalie, où, selon son CV, elle ne s’est jamais rendue.

Des journalistes investis dans leur mission

Nous les journalistes, nous nous rendons sur place, certes pour des durées généralement trop courtes, mais nous le faisons régulièrement, nous construisons notre connaissance des pays à chaque voyage. C’est déjà beaucoup mieux que de ne pas y avoir été du tout.

Jeffrey Gettleman, qui vit à Nairobi et travaille pour le New York Times, a gagné cette année deux des prix les plus prestigieux du journalisme, avec des reportages sur la Somalie et le Soudan, « du parachutisme » de l’avis de Laura Seay.

Des rapports biaisés ?

Elle a tout de même raison sur certains points. La collaboration entre aides humanitaires et journalistes est parfois trop proche et a elle s’en est également pris aux intrusions militaires, surtout celle organisée récemment par la US Africa command (commandement unifié pour l’Afrique dépendant du Département de la Défense des États-Unis) pour se vanter de leur assistance dans la traque de Jospeh Kony, le chef des rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA).

Il est rare de travailler dans ces conditions et ce n’est pas idéal (que ce soit pour les journalistes ou les lecteurs) mais c’est parfois nécessaire, d’une part pour réduire les coûts du voyage mais aussi parce que nous considérons qu’avoir accès à la zone est la priorité, quelles que soient les conditions. De mon expérience, faciliter la venue d’un journaliste ne garantit pas une couverture médiatique partisane.

Un groupe de journalistes, des points de vue différents

Se plaindre de ne « se fier qu’au même petit groupe » créant « une chambre de résonance » dans laquelle nous rapportons exactement les mêmes informations est tout simplement faux. Même lorsque nous voyageons ensemble, généralement par mesure de sécurité ou pour réduire les coûts, ce que nous voyons et la façon dont nous le voyons diffère d’un journaliste à l’autre.

C’est sûr que comme Laura Seay l’écrit « nous pouvons faire mieux », mais réclamer un correspondant dans chacun des 54 pays de l’Afrique est tout simplement irréaliste. Sa « solution » est « d’embaucher des journalistes locaux », mais prendre le BBC World Service comme exemple est dû soit à un manque d’information soit à un manque d’honnêteté de sa part.

Le BBC World Service, un exemple à suivre ?

Les journalistes africains de la BBC sont pour la plupart employés sur des programmes diffusés exclusivement en Afrique. Ils sont la voix de « Focus on Africa » ou « Network Africa » mais très rarement de programmes diffusés à l’international tels que « Newshour » ou « The World Today ».

Trouver des journalistes africains qualifiés n’est pas une tâche facile, déjà parce que les jeunes talents africains se dirigent vers des secteurs plus lucratifs que celui du journalisme, où les salaires sont dérisoires et les conditions de travail difficiles.

L’éthique journalistique

La plus grande critique de Laura Seay se fonde qur le constat que « certains journalistes travaillant en Afrique manquent cruellement d’une éthique journalistique ». Elle prend comme exemple Nicholas Kristof, qui est pour elle le reflet du journalisme étranger en Afrique : raciste et appliquant le principe des deux poids, deux mesures.

Elle a raison en ce qui le concerne, mais généraliser cette attitude à l’ensemble des correspondants étrangers vivant et travaillant en Afrique avec pour exemple un journaliste basé à New York est une véritable erreur.

Il appartient, comme Laura Seay, au groupe de ceux qui se disent spécialistes de l’Afrique qui se permettent de mettre seulement un pied en Afrique pour pontifier à distance. Ceci est un fait, qui ne doit pas oculter le travail courageux opéré par les reporters sur le terrain qui couvrent les conflits africains, parfois au péril de leur vie.

Global Post / Adaptation Amélie Garcia / JOL Press

 

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