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Les principaux enjeux du second tour

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Abstention record, renforcement de la bipolarisation et la perspective d’une majorité de gauche : c’est ainsi que l’on peut synthétiser les résultats du 1er tour des élections législatives, dimanche 10 juin. Pour autant, ce second tour ne saurait être qu’une simple formalité et il peut encore réserver, si ce n’est une surprise – celle d’un renversement complet de tendance et d’une défaite de la majorité présidentielle -, une gamme de résultats aux conséquences considérables sur la capacité de François Hollande et de son gouvernement à traduire sur le plan législatif la volonté de changement sur laquelle le candidat socialiste s’est appuyé pour remporter la victoire le 6 mai dernier. Au-delà, c’est aussi l’atmosphère et l’évolution de la vie politique française, au cours des cinq prochaines années, qui est en jeu à travers la composition de la nouvelle Assemblée.

Une improbable cohabitation

Les sondages ne font pas l’élection. Pour autant, la perspective d’une cohabitation semble s’être estompée. Au-delà de l’équilibre des forces au plan national – qui voit l’UMP faire jeu égal, autour de 35%, avec le Parti socialiste et ses alliés radicaux, verts et citoyens -, l’observation des résultats, circonscription par circonscription, tend à confirmer l’hypothèse d’une victoire de la gauche.

Certes, dans l’histoire de la Vème République et des précédentes, nous avons assisté à des renversements de tendance entre les deux tours. Ainsi, en 1967, les Gaullistes semblaient-ils assurés de remporter une large majorité au soir du 1er tour. La semaine suivante, le Général de Gaulle échappait de peu à une défaite humiliante et ses partisans ne comptaient plus qu’une voix de majorité. En 1997, après la dissolution décidée par Jacques Chirac, le RPR et l’UDF paraissaient encore en mesure, a fortiori avec le recours à Philippe Séguin, d’éviter, au moins de justesse, cinq années de cohabitation. La semaine suivante, la gauche plurielle mobilisait, le Front national usait de son pouvoir de nuisance et Lionel Jospin gagnait les clés de l’Hôtel Matignon. Plus près de nous, en 2007, l’UMP doit à une communication approximative sur, notamment, la TVA sociale la perte d’au moins 50 sièges. Sans conséquence compte tenu de l’avance dont disposait le parti du Président Nicolas Sarkozy.

Malgré une campagne assez terne et souvent hors sujet – on pense notamment au « Trierweilergate » provoqué par le tweet anti-Ségolène Royal de celle qui fait office de Première Dame, Valérie Trierweiler -, François Hollande devrait pouvoir compter sur une majorité parlementaire.

Une majorité absolue pour les socialistes ?

Toutes les majorités parlementaires ne se valent pas. Le Parti socialiste disposera-t-il à lui seul de la majorité absolue – 289 sièges – comme ce fut le cas en juin 1981 dans la foulée de l’élection de François Mitterrand à l’Elysée ? Devra-t-il compter sur ses alliés radicaux, citoyens et verts avec lesquels la rue de Solferino a signé des accords électoraux et dont des représentants, souscrivant aux 60 propositions du Président Hollande, siègent déjà au gouvernement ? Au regard des résultats du 1er tour, le scénario le plus probable est que l’une de ces deux hypothèses se réalise – le PS aurait donc la majorité seul ou la frôlerait d’une quinzaine de voix.

Un risque de surenchère de la gauche de la gauche ?

Un résultat inférieur des socialistes et de leurs principaux alliés les obligerait à dépendre pour la constitution d’une majorité des élus de la gauche de la gauche, la petite quinzaine de parlementaires du Front de gauche, communistes et mélenchonistes. On peut prédire que ceux-ci se montreront bien moins dociles que leurs prédécesseurs de la mandature 1997-2002. Dans le détail, le PCF pourrait se montrer plus bienveillant que le Parti de gauche – mais rien n’est moins sûr tant on sait que le mouvement social, peut se révéler plus exigeant et plus mobilisé face à un gouvernement de gauche et qu’aucun des partis de la gauche de la gauche ne voudra prendre le risque de paraître courber l’échine face à des Hollandistes considérés comme « sociaux traitres ». Dans tous les cas, cela affecterait la ligne politique générale du gouvernement Ayrault et pourrait influer sur le profil de son éventuel successeur, sans doute plus à gauche.

En 1988, pour échapper à l’emprise du PCF, François Mitterrand était parvenu à rallier des centristes prêts à l’ouverture. Les faibles scores du Modem et le positionnement des radicaux valoisiens de Jean-Louis Borloo ou encore du Nouveau Centre et des centristes de l’UMP rend peu probable une telle alternative. Sauf dans l’hypothèse « peu française » du recours à l’Union nationale.

Un remaniement : de quelle ampleur ?

Logiquement, ce second tour devrait être suivi d’un remaniement ministériel. On imagine mal François Hollande avoir nommé Jean-Marc Ayrault pour seulement trois semaines et donc, en toute logique, Ayrault II devrait succéder à Ayrault I. Copie conforme à de rares exceptions près ou pas ? Les ministres-candidats battus devront quitter le navire. Une seule, Marie-Arlette Carlotti paraissait menacée dimanche soir dernier. Après avoir observé les premiers pas de ses ministres, les deux têtes de l’exécutif pourraient se séparer de certains. On se souvient que la défaite d’Alain Juppé à Bordeaux en juin 2007 avait entrainé un jeu de chaises musicales d’ampleur non négligeable pour la constitution du gouvernement Fillon II.

Mais, c’est l’équilibre des forces à l’Assemblée qui déterminera de l’ampleur du remaniement. L’hypothèse d’une participation du Front de gauche, ou du seul Parti communiste, n’est pas le plus probable. Comme de 1984 à 1986, c’est le « soutien sans participation » qui pourrait prévaloir – ce soutien fut-il critique, voire très critique.

Des ministres d’ouverture ? François Hollande a laissé entendre qu’il n’y était pas favorable. Comme il ne semble pas souhaiter, non plus, de ministres issus de la société civile.

Une majorité des trois cinquièmes au Congrès ?

La majorité présidentielle disposera-t-elle d’une majorité des trois-cinquièmes au Congrès, indispensable à l’adoption de projets de réforme de la Constitution par la voie parlementaire – plutôt que référendaire. Il est fort peu probable que cet objectif soit atteint. Avec 177 sièges au Sénat depuis les dernières élections sénatoriales, il lui faudrait, si tous les parlementaires prenaient part au vote, compter 378 députés, soit un gain de 150 sièges par rapport à la précédente législature. Objectif quasiment inatteignable.

Les écologistes disposeront-ils d’un groupe autonome à l’Assemblée nationale ?

Un enjeu secondaire, convenons-en, même s’il s’agirait d’une première dans l’histoire de la République. Pour cela, en vertu du règlement actuel de l’Assemblée, il leur faudrait réunir 15 élus. A eux seuls, il semble bien qu’Europe Ecologie-Les Verts ne devrait pas y parvenir – malgré un accord électoral bien favorable avec le PS. Pour autant, ils pourront sans doute compter sur des élus régionalistes ou autres divers gauche. Au pire, le règlement pourra toujours être modifié – comme cela a été le cas au Sénat.

L’enjeu pour les écologistes est non négligeable puisque cela leur permettrait de disposer de moyens autonomes pour peser sur les décisions de la majorité.

Des élus du Rassemblement Bleu Marine au Palais-Bourbon ?

Le Front National fera-t-il son retour dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Marine Le Pen, sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen et l’avocat Gilbert Collard, respectivement dans le Pas-de-Calais, le Vaucluse et le Gard, sont sans doute les élus « marinistes » les mieux placés pour l’emporter. Trois députés, c’est précisément le nombre de députés que le FN a réussi à faire élire au scrutin majoritaire depuis sa création en 1972 – il doit sa seule percée parlementaire à la proportionnelle en 1986. Dans tous les cas, les appels à un changement de mode de scrutin pour permettre une meilleure représentation des minoritaires – d’extrême-droite, d’extrême-gauche et du centre – et mettre un terme à une bipolarisation artificielle et excessive devraient s’intensifier après l’élection.

D’ores et déjà, François Hollande a promis l’ouverture d’une réflexion à partir de l’automne. Dans tous les cas, toute réforme ne saurait être – sauf improbable dissolution – effective que dans 5 ans.

Combien de femmes députées ? Quelle place pour les minorités visibles ?

Les différentes lois sur la parité ne permettent pas – scrutin majoritaire oblige – une représentation équitable des deux sexes à l’Assemblée nationale. On peut toutefois imaginer que celle-ci comptera davantage de femmes que la précédente, c’est une garantie – même si elle demeure insuffisante.

De la même manière, il devrait y avoir, sur tous les bancs, davantage d’élus issus, notamment, de l’immigration et la moyenne d’âge devrait en être plus jeune. Mais cette Assemblée nationale restera contrôlée par des hommes plutôt mûrs, plutôt notables… même si, peut-être, ils devront consentir à être placés sous la présidence d’une femme.

Combien de carrières politiques brisées ?

Cette élection, compte tenu du relatif équilibre des forces et de l’absence de « vague » – ni rose, ni bleue – ne devrait pas faire, au total, de trop nombreuses victimes. Nous serons loin des « tsunami » de 1981 ou 1993.

Mais, l’impression ressentie pourrait être inverse car le pedigree des victimes pourrait être considérable. On pense d’abord à celles dont le nom figure sur la « liste noire » de Marine Le Pen – Nathalie Kosciuzko-Morizet ou encore Jack Lang – et puis aussi à François Bayrou et, évidemment, à Ségolène Royal que « Valérie aura tuée»…

Un nouveau record d’abstention ?

La participation lors des seconds tours des deux dernières élections législatives avait été de plus ou moins 60% – 59,98% en 2007 -, soit dix points de moins qu’en 1997. Avec 57,23% de votants dimanche 10 juin, on peut légitimement craindre un nouveau plus bas historique. Cela ne viendra que confirmer la crise latente du politique – sans aller toutefois jusqu’à mettre en cause véritablement la légitimité de l’Assemblée élue. 

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