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Louise Beaudoin : «La jeunesse québécoise sonne le réveil»

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JOL Press : Comprenez-vous la colère des étudiants ?

Louise Beaudoin : Oui, je la comprends. Mon impression est que le gouvernement québécois, dans un premier temps, a laissé pourrir cette situation et se retrouve, depuis, dans l’incapacité de régler cette crise. Le comportement du gouvernement du Premier ministre Jean Charest m’a étonnée. Ainsi, à deux reprises, alors que des ministres avaient accepté de rencontrer des représentants des étudiants, les discussions ont été interrompues.

Pourquoi le gouvernement a-t-il fait ça ? Peut-être parce que, depuis six mois, il cherche le moment le plus opportun pour convoquer des élections. En vertu des institutions québécoises, les élections ne se déroulent pas à termes fixes. Peut-être s’est-il dit que ce désordre pourrait lui profiter et lui permettrait de faire une campagne sur le respect de la loi et le maintien de l’ordre ?

Non aux lois liberticides

Respect de la loi et maintien de l’ordre, justement. Quel jugement portez-vous sur la loi 78, adoptée par la majorité libérale pour, notamment, encadrer le droit à manifester ?

Louise Beaudoin : Le parti auquel j’appartiens, le Parti québécois, s’est opposé de toutes ses forces à ce projet de loi. C’est un texte nocif qui porte atteinte au fonctionnement de notre vie démocratique.

D’un côté, le gouvernement met en avant la liberté d’étudier des étudiants non-grévistes. Mais, si lors d’une Assemblée générale des étudiants – à laquelle tous les étudiants sont invités à participer -, la majorité vote en faveur de la grève, le fait majoritaire doit être respecté. C’est un fondement même de la démocratie.

Ensuite, cette loi organise des limitations du droit d’association et de manifestation, des libertés essentielles dans notre société.

Pour une vaste concertation sur l’avenir du système éducatif

Partagez-vous les revendications des étudiants grévistes ?

Louise Beaudoin : Le Parti québécois s’engage, dans un premier temps, à annuler la hausse décrétée des frais de scolarité.  Ensuite, l’argument que défend l’opposition est qu’il convient d’organiser une vaste concertation sur l’avenir du système d’éducation, en particulier de l’enseignement supérieur.

De notre point de vue, proposer une augmentation de 75% – pour cinq ans – des frais de scolarité est une hérésie. Ceux-ci, au maximum, de mon point de vue, devraient être indexés sur l’augmentation du coût de la vie.

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Le modèle québécois au coeur du débat

C’est donc bien un modèle de société qui est en jeu ?

Louise Beaudoin : Oui, la nouvelle mode – d’inspiration libérale et anglo-saxonne – est de transformer l’usager-contribuable en utilisateur-payeur. Et on commence à dire que chacun, en plus de ses impôts, doit payer pour les services publics qu’il utilise, comme par exemple ses études.

C’est le modèle québécois qui est en jeu, une certaine conception du Québec qui prévaut depuis la Révolution tranquille des années 60. Le ressort de ce modèle, c’est la solidarité nationale et la volonté qu’il y ait, chez nous, le moins d’inégalité possible. L’essentiel doit passer par l’impôt qui, au nom d’un principe d’équité, est assez progressif au Québec.

Ce mouvement, devrait-il profiter à l’opposition et au Parti québécois en particulier ?

Louise Beaudoin : Jean Charest n’est pas né de la dernière pluie. Il n’a fait qu’une chose dans sa vie, de la politique. Tous les vieux trucs, il les connaît. Selon moi, il compte en appeler à la prétendue « majorité silencieuse », celle qui s’offusque devant la télévision de voir les étudiants manifester plutôt que d’étudier, qui craignent les débordements, la violence. Jean Charest va tenter de se présenter comme un rempart contre le chaos. Or, ce n’est pas le chaos.

Je juge son calcul politique dangereux. Je pense qu’il ne le gagnera pas. Il a d’ailleurs eu un avant-goût de la défaite qui l’attend lors d’une élection partielle récemment. Les libéraux ont ainsi perdu la circonscription d’Argenteuil, dans les Laurentides, au nord de Montréal, qu’ils détenaient depuis 50 ans.

Vers des élections anticipées

Vous prédisez des élections anticipées. À quelle échéance ?

Louise Beaudoin : Ce n’est pas moi qui décide. La décision relève du seul Premier ministre. Celui-ci regarde les sondages et provoquera une dissolution au moment qu’il imaginera le plus opportun. L’Assemblée actuelle pourrait siéger jusqu’à l’automne 2013 et aller aux termes d’un mandat de 5 ans. Historiquement, les mandats durent plutôt 4 ans et alors les élections auraient lieu vers novembre 2012. Jean Charest espère cependant être en mesure de dissoudre vers le 15 août et d’organiser un scrutin pour le 17 septembre après une campagne sur le thème de la loi et de l’ordre. À suivre.

Les circonstances et ce mouvement qui défend le modèle québécois peuvent sembler propices à votre parti, le Parti québécois. Si vous l’emportez, allez-vous rouvrir le débat sur l’indépendance ?

Louise Beaudoin : Notre parti, comme l’atteste son programme adopté en avril 2011, se situe au centre-gauche, proche de la gauche de gouvernement en des termes européens. C’est un parti de gouvernement. C’est aussi un parti indépendantiste. L’indépendance est notre objectif depuis la création de notre mouvement par René Lévesque en 1968.

J’espère que cette mobilisation citoyenne permettra de reposer la question de la place du Québec au sein du Canada et que les Québécois auront, à nouveau, à se prononcer sur l’indépendance.

Les dysfonctionnements du capitalisme financier

Ce mouvement semble dépasser largement dans ses motivations et dans ses enjeux le seul cadre québécois…

Louise Beaudoin : Oui, on pense aux Indignés et à tous ces mouvements à travers le monde. La vraie question, c’est comment sommes-nous arrivés à cette crise en 2008 et la véritable ampleur de cette crise ? Contrairement aux crises précédentes, même les Américains ont un mal fou à s’en remettre et on connaît la situation en zone euro…Cela montre bien qu’il y a quelque chose de dysfonctionnel dans le capitalisme financier et qu’il faut que cela change.

Cette mobilisation au Québec est en fait très saine. Il faut que le pouvoir revienne au peuple.

Hommage à la jeune génération

Au peuple, mais aussi, peut-être, aux jeunes qui dans une société vieillissante peinent à trouver leur place ?

Louise Beaudoin : Cette mobilisation est partie des jeunes, en réaction à la hausse des frais de scolarité. Mais, les manifestations, désormais, et le soutien au mouvement sont très intergénérationnels.

Bien sûr, les jeunes peuvent accuser les baby-boomers, dont je fais partie, de tous les maux. C’est vrai, c’était formidable d’approcher de l’âge adulte au moment de la Révolution tranquille, dans les années 60, tout nous semblait possible alors que, désormais, le sentiment d’impuissance domine.

Mais, ces jeunes, ils se lèvent et ils sont soutenus par des gens de toutes les générations. La jeune génération aura eu le mérite et l’honneur de sonner l’heure du réveil.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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Qui est Louise Beaudoin ?

Déléguée générale du Québec à Paris (1984-1985), Louise Beaudoin a été élue députée du Parti Québécois dans la circonscription de Chambly en 1994 et réélue en 1998. Pendant ces deux mandats (1994-2003), elle a été Ministre déléguée aux Affaires intergouvernementales canadiennes, Ministre de la Culture et des Communications, Ministre responsable de la Charte de la langue française, Ministre des Relations internationales et Ministre responsable de la Francophonie.

Elue députée du Parti Québécois dans la circonscription montréalaise de Rosemont aux élections générales du 8 décembre 2008.

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