Site icon La Revue Internationale

Mon expérience avec la Reine Elizabeth II

4600294345_89f1136b97_z.jpg4600294345_89f1136b97_z.jpg

[Image:4,f]

Une profession pas comme les autres

Voici un avant-goût édulcoré d’une profession dont beaucoup rêvent, sans jamais pouvoir prétendre l’exercer. Et pour cause, la Reine incarne à elle seule :

– un symbole national

– une représentation d’une grandeur passée

– un point de repère dans un monde en perpétuel changement

– elle doit vouer une réelle passion pour la joaillerie, les balades en calèche  et délivrer des discours rédigés des mains de personnes à qui elle s’oppose

– elle doit avoir pour loisirs l’équitation et les ballades sous les pluies battantes des régions isolées d’Écosse

– Sans compter que pour ce « poste », la retraite n’est pas une option possible

Cela fait 60 ans que la Reine Elizabeth II remplit ces nombreuses missions, et, hormis une période épineuse suivant la mort de la Princesse Diana, la souveraine effectue son « travail » remarquablement bien.

Une empreinte sur l’inconscient collectif

Rien d’étonnant que les Anglais rêvent de la souveraine, comme le chantent les Pet Shop Boys. En effet, selon un curieux sondage, le rêve le plus souvent évoqué en Angleterre est celui de prendre le thé avec la Reine.

La raison d’une telle fascination et influence sur le subconscient collectif anglais est liée, en partie, à son règne fluvial, mais également à la nature de sa fonction. Elle représente l’archétype jungien par excellence, une impression dans l’inconscient collectif britannique.

Un emploi qui fait réellement rêver ?

Ses devoirs officiels quotidiens sont faciles à dénombrer : la Reine est chef d’État, et rencontre d’autres chefs d’État lorsque ces derniers sont en visite au Royaume-Uni. Cette facette de l’emploi est un peu étrange, j’imagine, vu que la plupart d’entre eux sont élus démocratiquement, alors qu’elle a hérité de sa position.

À chaque Noël, elle délivre un discours à ses « sujets », transmis à la télévision et à la radio. Pour certains, il s’agit d’un devoir patriotique de suivre ce programme royal, alors que quasiment aucun d’entre eux ne serait capable de vous dire de quoi le discours relevait, 48 heures plus tard.

Elle voyage dans le pays afin d’y exercer ses devoirs civiques, tels que l’ouverture de nouvelles bibliothèques, et dans les pays du Commonwealth lorsqu’elle est en visite d’État.

Elle a également un rôle politique. La Reine tient une réunion hebdomadaire avec le Premier ministre bien que, dans les faits, elle ne peut influer directement aucune décision politique. [Image:2,l]Elle ouvre chaque nouveau terme parlementaire en lisant un discours rappelant le programme législatif de son gouvernement. Les Lords assemblés et les représentants parlementaires peuvent simuler la découverte de ce discours, mais rien ne changera le fait que ces mots prononcés devant les notables ne sont pas les siens. Ce qu’elle pense réellement des discours qu’elle lit, nul ne le sait. Imaginer ses pensées est un autre passe-temps auquel les Anglais se livrent – éveillés ou endormis.

C’est une infatigable, immuable routine et cela fait 60 ans qu’elle s’y prête.

Une prison dorée 

[Image:1,f]Les gens parlent souvent des présidents comme vivant dans leur bulle. Un éventuel « problème » lorsque l’homme en charge de diriger le pays, s’éloigne de plus en plus de plus de la réalité. Cependant, le président a eu du temps hors de la « bulle » pour forger ses opinions. La Reine, elle, a vécu dans un cocon royal depuis sa naissance et toute porte de sortie a été définitivement fermée lors de son 10ème anniversaire, quand son père, George VI, prit la place de son frère Edward VIII au trône. Étant l’enfant aîné de George VI, et n’ayant aucun frère, son destin fut scellé depuis ce jour.

Les « garden party », mises en scène d’un portrait de famille

La bulle dans laquelle la Reine vit est un monde étrange. Dans les années 1990, j’ai assisté à l’une des « garden party » de Buckingham Palace. Ce n’est pas aussi exclusif que ça en a l’air.

Chaque mois de juillet, Elizabeth II organise une série d’événements à « Buck House », comme les locaux surnomment le mythique palace. Plusieurs milliers de personnalités sont invitées à chaque réception : ambassadeurs, journalistes, parlementaires, militaires, le milieu équestre, « des amis d’amis » et relations de la noblesse royale, ou de « simples » citoyens ayant réussi à se distinguer, tous ont la chance de pouvoir se balader dans les « modestes » 20 hectares du jardin intérieur. Un havre de verdure au cœur d’un Londres densément peuplé. Le jardin inclut un lac avec des flamants roses et un pavillon où l’on pourrait célébrer un grand mariage ou une bar-mitsvah.

Les gens entrent et sont accompagnés à travers le palais jusqu’à une terrasse intérieure qui borde toute la largeur de l’édifice. Ils descendent un nombre considérable de marches d’escaliers et passent environ une heure à se balader ainsi. Les Anglais ont une réputation à tenir : le fameux flegme anglais s’exprime dans toute sa splendeur au cours de ces longues flâneries dans les jardins de « Buck House ». Cette communion avec la nature n’est surtout pas l’occasion de se faire des contacts ou débuter une conversation avec des étrangers.

Ils peuvent par ailleurs, prendre le thé, avec sandwiches et gâteaux. Le temps semble s’écouler au ralenti, à un rythme incroyablement tranquille et dans la sérénité d’une autre époque, sans être perturbé par les multiples objets électroniques qui stimulent les sens et accaparent. Dans ce cadre onirique, « Elle » apparaît au cœur d’un univers privilégié et familial. Son cercle constitue un tableau sur la terrasse afin que les milliers d’invités puissent assister à la scène. La Reine se tient un peu à l’écart du groupe. Puis un membre de la Famille Royale, habituellement le Lord Chamberlain, la conduit sur la pelouse où elle fait la connaissance de privilégiés triés sur le volet, devant une agitation non feinte de la foule qui essaye d’approcher la Reine.[Image:3,l]

L’impact de « Lady Di » sur la tradition

Au moment où j’y étais, les enfants de la Reine traversaient tous de douloureux divorces, et je me souviens m’être dit : « pas étonnant que la Princesse Diana ne veuille pas vivre comme ça ». Elle était originaire d’une des plus grandes familles d’Angleterre mais avait grandi « en dehors de la bulle ». Elle savait qu’il y avait un monde réel, bien loin du microcosme royal guindé et protocolaire. Curieusement, la mort de Diana a marqué un tournant dans le règne de la Reine Elizabeth II. Avant, sa cote de popularité avoisinait les 66%. Le mouvement républicain d’Angleterre, toujours minoritaire, a commencé à avoir le vent en poupe. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Un sondage du Guardian/ICM, publié le mois dernier, montre que la Reine et sa famille ont atteint un record de popularité. Sollicités sur la question de savoir si l’Angleterre se porterait mieux ou moins bien sans la Famille Royale, 69% ont répondu négativement. Le sondage n’a pas demandé d’avis personnels sur la Reine elle-même. Mon petit doigt inspiré me dit que le nombre dépasserait largement les 80%.

Une popularité que l’épreuve de la réalité ne peut remettre en cause

Mis à part le fait que les « moins de 70 ans » ont tendance à regarder avec admiration n’importe qui dépassant le stade des 85 ans en conservant toutes leurs capacités, la popularité de la Reine peut s’expliquer par le fait que les politiciens « classiques » sont incroyablement impopulaires, comme l’a souligné Mary Riddell dans le Daily Telegraph« Que l’esprit de l’Angleterre soit incarné par un monarque héréditaire doté d’une richesse dépassant les rêves d’avarice les plus fous, en dit autant sur l’échec des politiciens que sur le succès de la Reine. »

Être une « incarnation nationale professionnelle » est un sacré bon moyen de vivre sa vie. La prochaine fois que je rêverai d’elle, je devrai demander à Sa Majesté quel regard elle porte sur ses 60 dernières années – et essayer de me souvenir de la réponse quand je me réveillerai.

Global Post/Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press

Quitter la version mobile