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Mona Eltahawy, féministe et musulmane

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Le féminisme à l’épreuve du monde arabe 

Mona Eltahawy est née en 1967 à Port Said, en Egypte, puis a passé son adolescence en Arabie Saoudite, expérience traumatisante qui l’a « forcée à devenir féministe.» Elle poursuit ses études de journalisme à l’Université américaine du Caire. Débutant sa carrière en tant que correspondante Reuters au Caire et à Jérusalem, elle couvre ensuite la région du Moyen-Orient pourThe Guardian. Elle travaille maintenant en freelance, et collabore souvent avec les plus grands quotidiens américains, comme International Herald Tribune, le Washington Post ou le New York Times. Elle est souvent invitée sur les plateaux télévisés ou à des conférences, pour parler de ses domaines de prédilection, à savoir les femmes, l’Islam et le monde arabe. Elle a remporté de nombreuses récompenses, dont le Samir Kassir Award pour la liberté d’expression, qu’elle a reçu de la Commission Européenne en 2009, et un prix de la Fondation Anna Lindth en 2010 pour sa remarquable contribution au journalisme. On l’aura compris, Mona Eltahawy est devenue une figure emblématique de la lutte pour la défense du droit des femmes.

Son implication dans le printemps égyptien

Bien que résidant à New York, depuis son mariage avec un Américain en 2000, son coeur reste tourné vers l’Egypte, et vers sa région. Dès que la révolution contre Hosni Moubarak commence à faire rage, elle n’hésite pas un instant, et sait que sa place est au Caire, à la place Tahrir, parmi les siens. Elle en paiera le prix fort. Battue et agressée sexuellement par des forces de l’ordre, elle en ressort avec les deux bras cassés. La haine contre les femmes, elle en parle en connaissance de cause. 

Qui de mieux placé, donc, que la journaliste, ayant grandi entre l’Égypte et l’Arabie Saoudite, et maintenant citoyenne américaine résidant à New York, pour rendre compte de la situation des femmes dans le Moyen-Orient, sans faire preuve d’ethnocentrisme occidental ? Au premier rang du soulèvement contre le régime militaire égyptien, la féministe affirme que les révolutions arabes s’achèveront avec les femmes. Sans elles, elles demeureraient incomplètes, et ne constitueraient donc pas le changement socio-culturel profond que le terme « révolution » implique.

Les musulmans des pays arabes détestent-ils les femmes?

Son récent article, publié dans Foreign Policy en avril dernier, dans le cadre d’un dossier spécial sur les femmes, était volontairement provocateur, utilisant des formules « chocs » du type : « Ils ne nous détestent pas parce que nous n’avons pas de droits, mais nous n’avons pas de droits parce qu’ils nous détestent ». Le titre faisait écho ironiquement à un article paru après le 11-Septembre, qui stéréotypait les musulmans et avait contribué à l’Islamophobie, argumentant que les musulmans détestaient les américains pour leurs libertés. Le rapprochement était peut-être maladroit, mais il a eu un impact important, et Mona Eltahawy voulait ainsi ouvrir le débat. Avec ses 140 000 followers sur Twitter, nul doute qu’elle y soit parvenu.

Les faits que Mona Eltahawy pointe du doigt étant réels, la journaliste ne s’attendait pas à l’océan de critiques – et parfois même d’insultes – qui la concerne. Généralisations, monolithisme, polarisation… Nesrine Malik, dans un article du Guardian, avoue trouver maladroit l’article d’Eltahawy qui, selon elle, ne fait que renforcer les préjugés. Selon elle, la journaliste ne parle pas assez du contexte politique, des structures post-colonialistes ayant favorisé la misogynie, des réalités spécifiques à certains pays, et des nombreuses femmes – et hommes – qui font évoluer les mentalités sur le terrain.

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Une misogynie incontestable et de réels abus

S’il est possible de parler d’abus pratiqués contre les femmes sans faire appel à des termes psychologiques comme la haine, il n’est pas possible de les expliquer sans eux. C’est pourquoi Mona Eltahawy a répondu à ces attaques sans ciller. En effet, comment expliquer qu’une jeune femme violée soit obligée d’épouser son bourreau, donnant lieu à de tragiques situations, allant jusqu’à la mort, comme dans la triste histoire d’Amina Falali au Maroc, qui se donna la mort à 16 ans pour échapper à ces «noces barbares» imposées ? Comment expliquer la tragédie des quinze jeunes filles que les autorités saoudiennes ont laissé brûler dans un incendie d’école, parce qu’elles ne portaient pas le voile ? La liste des violations du corps et de la dignité des femmes, sous prétexte que les droits humains fondamentaux ne s’appliquent pas à elles, est non exhaustive. Mona Eltahawy n’en choisit qu’un éventail particulièrement représentatif. Se penchant plus particulièrement sur l’Égypte, son pays d’origine, elle dénonce la misogynie du pays : 90% des femmes ayant déjà été mariées sont excisées80% des femmes ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement, elle y compris. Elle dénonce les tests de virginité qu’un médecin a effectués, et qui n’étaient rien d’autre qu’un viol déguisé. Il sera arrêté, puis relâché, sans aucune punition.

Ces exemples sont symptomatiques d’une tendance misogyne généralisée dans les pays du Moyen-Orient, et qui va en augmentant dans les pays de la révolution de Jasmin, depuis que les Frères Musulmans sont au pouvoir. Mona Eltahawy ne manque pas d’affirmer aussi, afin d’éviter tout amalgame, que l’Islam n’a rien à voir avec ces atrocités, et que le relativisme culturel n’est pas une excuse. L’Islam est une religion qui subit une interprétation machiste depuis des siècles. Mais elle n’est pas unique, et lorsque l’on étudie le texte sacré, les violences et injustices faites aux femmes ne sont nulle part soutenues. Musulmane, elle prône un Islam modéré, et compatible avec l’égalité entre les hommes et les femmes. 

Mona Eltahawy, incarne avec courage une voix alternative pour les femmes musulmanes, qui se battent pour que leurs droits soient reconnus, dans le respect de leur religion et de leur culture. Voilà pourquoi sa parole est un message d’espoir pour toutes celles qui se sont engagées, aussi pour que les révoltes arabes ne finissent pas par se refermer contre celles-là mêmes qui ont été en première ligne des combats pour la liberté. 

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