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Un tour du «Monde»

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[image:1,l]Dans son dernier livre, Mon tour du MondeEric Fottorino dresse un passionnant panorama de 25 années de journalisme.

La passion du journalisme racontée au public

Le lecteur y trouvera matière à réflexion, une somme sans équivalent à ma connaissance, de la part d’un acteur de premier plan et à l’esprit subtil et tranchant. Tout d’abord sur la passion que peut engendrer le métier de journaliste.

Passion de l’information, volonté de confronter, recouper, vérifier pour réussir à raconter, à dire ce qui est, de la manière la plus fidèle aux faits. Tâche immensément difficile et tellement exaltante lorsque le journaliste a le sentiment d’y parvenir, avant les autres, mieux que les autres et de servir ses lecteurs.

Eric Fottorino décrit, avec fougue, son apprentissage du métier et les infinies joies qu’il en a retirées. Au passage il retrace beaucoup de grands moments de ces 25 dernières années, qui parleront directement à tous ceux qui les ont vécus.

À la tête du Monde

Naturellement il parle beaucoup du Monde, le journal. Et de ses relations avec Nicolas Sarkozy.

Sur ce dernier point, je me garderai d’apporter le moindre commentaire, si ce n’est pour confirmer que ce qu’Eric Fottorino relate est parfaitement plausible, si je me réfère à ma propre expérience de patron de presse. Notamment lors d’un déjeuner à l’Élysée dont jamais je n’avais fait état, jusqu’à ce qu’un livre en relate la seule version dictée par Pierre Charon, le conseiller de l’époque, tout à sa gloire et sans grand respect pour les faits. N’est pas journaliste qui veut.

Plus intéressant dans le cadre de ce Blog est le récit qu’Eric Fottorino fait des années où il a dirigé Le Monde. Non pas pour ce qu’il dit de la duplicité et des lâchetés de certains, notamment de ceux supposés représenter la rédaction. Même s’il m’a été donné l’occasion d’en voir quelques exemples comparables, parfois de la part de ceux qui avaient beaucoup bénéficié du système, je ne pense pas que ces traits de caractère soient l’apanage du milieu de la presse bien qu’ils y aient davantage de visibilité qu’ailleurs.

Beaucoup plus intéressant et riche d’enseignements à mon sens, il détaille à travers l’exemple du Monde deux points essentiels pour l’avenir de la presse, à méditer :

L’exigence de la qualité journalistique

Il montre à quel point un travail de fond sur la formule d’un journal est en mesure d’en élever la qualité et de renforcer le contrat de lecture avec ses lecteurs. Jamais à ma connaissance on avait à ce point détaillé ce que représente la conception d’une nouvelle formule, avec quelle profondeur ses concepteurs doivent plonger dans le lien entre le lecteur et son journal et avec quelle finesse ils doivent ciseler la ligne éditoriale pour qu’elle y réponde. Penser qu’il suffit de « pousser » une ligne et que les lecteurs s’en accommoderont est une magistrale erreur : tout le talent d’une équipe de rédaction est précisément, sans dévier de sa ligne, de savoir la rendre lisibleattractive et de parvenir à séduire, entraîner et retenir le lecteur, mutatis mutandis mais sans rien céder sur le fond.

Le lecteur est fidèle à une ligne éditoriale

À l’inverse, on découvre qu’à travers des errements journalistiques, motivés par la recherche de l’événement et du scoop, un grand journal de référence peut déconcerter et perdre une partie du lectorat le plus fidèle de France (et peut-être du monde). Qu’on se souvienne de l’histoire de la « chambre du Président » annoncée en Une. Le plus rassurant, finalement, est que la désaffection du lectorat prouve à quel point celui-ci est sensible à la qualité éditoriale et parfaitement capable de la reconnaître. Lorsqu’il est déçu, il s’en va, souvent sans bruit. Plus que jamais la qualité paie et est le meilleur moyen d’attirer et fidéliser. Comme le dit Eric Fottorino, le lecteur de demain ne paiera sans doute pas plus pour une information mais sera toujours prêt à le faire pour une explication.

La presse doit déployer ses contenus

En ce qui me concerne, je pense simplement que les grandes rédactions, capables de produire le plus haut niveau de qualité journalistique, doivent résolument déployer leurs contenus vers tous les supports, qu’ils soient faits de papier ou purement numériques. Le public prêt à payer « pour une explication » de plus en plus ira la chercher sur les supports les plus pratiques pour lui, ceux qu’il a toujours sur lui et avec qui il vit. Ceux-ci seront bien souvent des écrans, il n’y a aucune raison que le lecteur n’y trouve pas la qualité qu’il attend et il n’y a aucune raison pour que les journalistes « historiques » les abandonnent à d’autres, a priori moins qualifiés.

Résistance des médias traditionnels au numérique

Justement, le deuxième élément à méditer est la résistance à cette évolution, qu’Eric Fottorino trouve au sein des équipes qu’il a dirigées. À commencer par la résistance mutuelle des rédactions papier et numérique à travailler ensemble, et même tout simplement à cohabiter sous le même toit. Comment redire que le métier de journaliste est fondamentalement le même. Comme le disent les grands journalistes « the story is the boss », c’est le sujet qui va dicter la manière dont il va être travaillé. Le support n’est qu’un support : même s’il doit être adapté selon qu’il sera publié sur du papier ou un écran, le fond reste le même et provient  d’une même « matrice ». Le groupe suisse Ringier a analysé très précisément et avec beaucoup d’acuité son expérience interne du journalisme multi-supports et en conclut que la pratique du travail des journalistes a évolué (dans le bon sens) tout en restant fondamentalement fidèle à sa nature.

Le métier de journaliste reste le même

L’analyse montre un mode de journalisme fonctionnant davantage en réseau, coordonné et en équipe, plus centré sur le sujet, plus proche de l’actualité, plus rapide, plus varié, plus exigeant, plus interactif et plus digital. Jacques Pilet, autorité éditoriale du groupe, observe ce qu’il appelle un « retour au journalisme », selon lui le cœur du métier ne change pas : il est toujours de chercher, trier, donner du sens, ce qui est encore plus nécessaire lorsque les audiences sont submergées d’information en continu. Olivier Costemalle (Libération 09/06/2011) explique à propos d’une séquence passée sur Liberation.fr dans le cadre de l’affaire DSK : « Les téléphones portables permettent de tourner des images là où, naguère, on se serait contenté de l’écrit. Mais la nature du travail journalistique n’en est pas changée pour autant : il s’agit toujours d’enquêter, d’aller voir et de rendre compte ». Malgré tout, la résistance au sein des rédactions demeure, souvent instinctive, l’ancien patron du Monde l’a rencontrée, et ralentit les mutations. Pourtant, les rédactions issues de la presse papier ont tous les atouts pour réussir dans le monde numérique, à commencer par la qualité des contenus qu’elles savent produire mieux que tous les Pure Players du moment. À elles de savoir en jouer.

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