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A quoi va servir le nouveau Brevet unique européen?

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L’adoption d’un Brevet unique européen annoncé lors du Sommet européen des 28-29 juin 2012 est une mesure qui fait suite à trente ans de négociation entre les pays membres. Chacun semblait d’accord sur son principe, mais jamais sur ses modalités. Salué par Michel Barnier, Commissaire européen en charge du marché intérieur, cet accord est présenté comme « une avancée considérable pour la compétitivité des entreprises. Il va réduire très fortement les coûts de protection ». Certes, nous ne pouvons que nous réjouir de ce qui est une nette avancée.Toutefois, revenons sur les origines du Brevet européen, première version, afin de mieux comprendre pourquoi ce nouveau cadre, qui part d’un principe louable -renforcer l’innovation européenne-, bute sur une complexité de mise en oeuvre qui ne peut qu’inquiéter…

La propriété intellectuelle européenne, un état des lieux 

Le Brevet européen est en vigueur depuis 1978. Son concept de base est celui d’un brevet conférant une protection « à la carte » : après une procédure centralisée de dépôt et un examen menés en trois langues officielles (anglais, allemand, français) par l’Office Européen des Brevets (OEB) dont le siège est à Munich. Un brevet est délivré et ses effets sont alors identiques à ceux d’un brevet national dans les Etats où l’auteur de l’invention souhaite valider et protéger ses droits. Le titulaire de ce brevet est ainsi complètement libre de ses choix et ce jusqu’à la fin de la procédure d’instruction par l’OEB.

Mais ce système extrêmement souple qui – on le comprend – a connu un très grand succès ( actuellement près de 250 000 dépôts ) avait deux grands défauts : son coût d’une part, et son usage compliqué en cas de lutte contre des contrefaçons apparaissant dans plusieurs pays de l’Union Européenne d’autre part.

Le coûteux usage des multi-traductions

Au plan financier, des traductions du brevet délivré devaient être fournies dans les pays qui, tels que l’Espagne et l’Italie, ne reconnaissaient pas la langue officielle du brevet lors de sa délivrance. Même en limitant leur nombre, le titulaire du brevet qui voulait acquérir des droits dans ces pays se voyait donc obligé de supporter de multiples et coûteux frais de traduction.

La non-concordance des juridictions nationales

Quant à l’exercice des droits en cas de contrefaçon, il se faisait encore au niveau national, de sorte que des actions en justice distinctes devaient être introduites dans chacun des pays concernés, ce qui entraînait des dépenses élevées et une grande insécurité juridique, car les tribunaux nationaux pouvaient prendre des décisions divergentes, voire opposées.

Le nouvel accord du Brevet unique européen

Le nouvel accord a pour ambition d’apporter des solutions à ces problèmes.

Le régime des traductions est nettement allégé : le brevet européen tel que délivré ne devra plus être traduit que dans les trois langues officielles ( anglais, allemand, français ). Des traductions automatiques par des moyens électroniques seront prévues dans d’autres langues. L’Espagne et l’Italie ont refusé d’adhérer à l’accord, mais leurs ressortissants continueront à bénéficier du régime d’un brevet européen ( à l’ancienne ) comme décrit ci-dessus.

Le rôle de la Cour Européenne des Brevets

Une Cour européenne sera instituée pour régler les litiges sur les brevets européens dans l’ensemble des pays de l’Union concernés par les contrefaçons ( il n’y aura plus de frontières pour les procès concernant une invention liée à une nouvelle tablette de lecture ou à un moteur de voiture électrique… ). Toutefois, il a fallu trouver des compromis sur la nouvelle organisation judiciaire européenne et, si la solution trouvée n’est pas une « usine à gaz » , on ne peut pas dire qu’elle soit simple ! Elle traduit en réalité les difficultés rencontrées pendant très longtemps pour établir un système plus unifié, approuvé par le plus grand nombre d’Etats. La ligne médiane du plus petit dénominateur commun étant loin de faire l’unanimité, les pays membres ont imaginé un système à plusieurs niveaux.

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Une organisation complexe entre Paris, Munich et Londres

C’est Paris qui accueillera le siège de la juridiction, ainsi que le bureau de son président. Quant à l’administration, elle sera localisée à Munich, ce qui n’est pas illogique, si l’on songe que l’OEB s’y trouve déjà. Pour tenir compte des susceptibilités des Etats, ainsi que de leurs traditions judiciaires, la Cour Européenne comprendra des chambres installées respectivement en France, Allemagne, Angleterre et ayant chacune une spécialité selon la nature technique du litige : textile et électricité pour Paris, ingénierie et mécanique pour Munich, métallurgie, chimie et pharmacie pour Londres.

Des interrogations sur la mise en oeuvre du Brevet européen

Comment sera appliquée la répartition prévue, s’il y a des recouvrements entre les domaines techniques du brevet ? On sait qu’il existe une classification internationale des secteurs techniques. Or, il est très fréquent que plusieurs classes différentes soient affectées à un même brevet. Qui tranchera en cas de différend ? Le président de la Cour ? Les parties au procès auront-elles leur mot à dire ? D’une manière plus générale, quels seront les véritables pouvoirs de ce « président parisien » ? Les Chambres comporteront-elles des juges techniciens en plus des magistrats habituels, comme c’est déjà le cas en Allemagne, mais pas en France, ni en Angleterre ? Une question qui a des conséquences sur les coûts de procédure…

Vers une uniformisation jurisprudentielle

Des règles strictes de procédures uniformes devront s’appliquer aux Chambres spécialisées sachant, par exemple, qu’actuellement un procès en contrefaçon de brevets dure au maximum deux demi-journées en France, un peu plus en Allemagne, et deux semaines en Angleterre ( qui pratique notamment les interrogatoires et contre-interrogatoires de témoins et d’experts ).

Un premier pas important, mais insuffisant

Pour conclure, on peut saluer le résultat obtenu lors du dernier Sommet européen de Bruxelles, même si l’on ne peut pas encore parler de solution idéale en Europe avec un brevet de type « un pour tous, tous pour un ». De plus, comme le diable se niche dans les détails, les actions en contrefaçon de brevets ne seront pas simplifiées d’un coup de baguette magique par la création de la nouvelle Cour Européenne, aux règles qui ont laissé en suspens certains paramètres.

Alors qu’une étape importante a été franchie dans l’ « union »  de la mise en oeuvre du Brevet européen, nous sommes encore loin de « la fédéralisation »  souhaitée par de nombreux professionnels, nécessaire pour qu’une véritable politique de protection et de dynamisation de l’innovation voit le jour en Europe de manière totalement unifiée. 

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