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Barack Obama face à son destin

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Le 27 juillet 2004, un jeune élu du Sénat de l’Etat de l’Illinois, connu de ses seuls électeurs et des initiés des cercles dirigeants, électrise la Convention nationale démocrate de Boston : « Il n’y a pas une Amérique progressiste et une Amérique conservatrice, il y a les Etats-Unis d’Amérique. » En un discours, le destin de ce talentueux quadragénaire semble scellé : à n’en pas douter, celui-ci sera, un jour, le premier Président afro-américain des Etats-Unis.

En novembre de la même année, George W. Bush défait son challenger John Kerry et entame un second mandat. Pourtant, l’irruption de Barack Obama, désormais élu au Sénat de Washington, sur la scène politique nationale américaine, et sa mise en orbite présidentielle à partir de 2007, contribuent à rassurer, aux Etats-Unis comme ailleurs, tous ceux qui sont convaincus de la nécessité – et de la possibilité – d’une alternative à la politique néo-conservatrice dans un monde traumatisé par les attentats du 11-Septembre et la théorie du « choc des civilisations »…

Jeune et multiculturel, à l’image de l’Amérique post-moderne ?

Comme John Fitzgerald Kennedy en son temps, Barack Obama est un homme politique neuf, mais surtout jeune. Né en 1961, il a à peine plus de 45 ans lorsque, le 10 février 2007, il déclare sa candidature à l’investiture démocrate pour la présidentielle de 2008. Comme Bill Clinton, le mari d’Hillary – archi-favorite de ces primaires face à laquelle il semble ne devoir que jouer le rôle de faire-valoir avant d’être, éventuellement, son colistier puis son vice-président -, il est issu d’un milieu modeste et ne dispose pas d’une vaste fortune personnelle.

Mais, par-dessus tout, Barack Obama est le symbole de l’Amérique multiculturelle, multi-ethnique, ouverte sur le vaste monde. Fils d’un Kényan noir et d’une Américaine blanche du Kansas de souche irlandaise, il est né à Hawaï.

En 1963, son père est accepté à Harvard. Il part seul et, une fois diplômé, retourne au Kenya, où il fonde une nouvelle famille. Barack ne le reverra qu’une fois, à 10 ans, avant sa mort accidentelle en 1982.

Ann Dunham, sa mère, s’est remariée en 1965 à un étudiant indonésien, Lolo Soetoro, qui regagne à son tour son pays en 1966. Ann l’y rejoint l’année suivante. Barack y passera 4 ans jusqu’à ce que, âgé de 10 ans, sa mère le renvoie chez ses grands-parents à Hawaï. Des années qui suivront, le petit-fils gardera pour « Toot », Madelyn, sa grand-mère, une affection filiale. Décédée le 3 novembre 2008, il lui aura manqué un seul jour pour voir son Barack Président.<!–jolstore–>

Un profil personnel ambigu

D’abord la question religieuse… depuis le début de l’aventure présidentielle de Barack Obama, cette question est devenue l’obsession de la droite dure, néo-conservatrice et islamophobe : le 44ème président des Etats-Unis est-il – ou, plutôt, a-t-il été – musulman ?

Son père l’était, son beau-père l’était aussi et c’est d’ailleurs, sous la religion de celui-ci – le javanisme, une branche indonésienne de l’Islam – qu’il aurait été inscrit à l’école publique par sa mère lors de son séjour à Jakarta. Ses grands-parents maternels étaient chrétiens et sa mère se revendiquait agnostique, même si elle était, dit-on, par nature tolérante et idéaliste. Une chose est sûre : Barack n’est pas musulman.

D’autres incertitudes planent sur son identité… incertitudes sur les circonstances exactes de sa naissance, sur sa nationalité, sur son itinéraire académique. Barack Obama est-il bien né sur le territoire américain et était-il éligible à la présidence des Etats-Unis ? En 2008, le Président avait été contraint de présenter son bulletin de naissance : né à Honolulu, sur l’île d’Oahu, dans l’État d’Hawaï, Etats-Unis d’Amérique. Et régulièrement la polémique refait surface.

Le milliardaire Donald Trump – désormais fervent soutien de Mitt Romney -, à l’origine des premières rumeurs sur la nationalité de Barack Obama, n’avait pas tardé à ouvrir un autre front, celui de son parcours universitaire : le futur Président aurait été un mauvais étudiant à Columbia et les circonstances de son admission à Harvard seraient floues. Mauvais élève et pistonné, Obama ? Sa biographie officielle indique qu’il a fait ses études avec l’aide de bourses et d’emprunts, et qu’il a été le premier Afro-américain en charge de la revue de la prestigieuse faculté de droit d’Harvard dont il a été diplômé en 1991…

Michelle, sa belle et son atout-cœur

Un père noir et kényan ne fait pas, à proprement parler, de Barack Obama un Afro-américain, descendant de générations d’esclaves et victime de l’Amérique ségrégationniste. La conscience de sa négritude s’exprime dans ses premiers choix professionnels. A l’été 1985, une fois achevées ses études à l’université de Columbia à New York, il choisit de travailler comme organisateur communautaire dans le quartier noir défavorisé de Bronzeville à Chicago. Pendant deux ans, surnommé «Baby Face» par les pasteurs locaux, il aide les résidents à défendre leurs intérêts. En 1988, après un séjour linguistique en Europe, il effectue son premier séjour au Kenya sur les traces de ses racines paternelles, africaines mais pas américaines.

En 1992, il épouse Michelle Robinson, juriste originaire de Chicago rencontrée en 1989 dans le cabinet d’avocats où il travaille – il aurait été le stagiaire de cette avocate associée, renommée. Ils se marient et c’est elle, dont le père était un fervent militant politique, qui l’introduit dans la communauté afro-américaine ainsi que dans les sphères démocrates. Elle propulse ainsi sa carrière politique en militant ardemment pour sa première élection au Sénat de l’Illinois en 1996. Depuis, elle reste à ses côtés son premier soutien et son premier atout lorsqu’il s’agit de défendre le bilan de son premier mandat présidentiel auprès de militantes féministes ou de responsables afro-américains quelque peu déçus.

Barack Obama, la mise en orbite express du candidat parfait ?

Dès l’annonce de sa candidature à l’investiture démocrate en février 2007, Barack Obama bénéficie d’un appui médiatique, immédiat et massif et c’est au terme de la campagne la plus chère de l’histoire américaine – 5 milliards de dollars – qu’il accède à la présidence. Comment a-t-il pu mobiliser sur son nom et sa personnalité, méconnus, de tels soutiens financiers ? Comment a-t-il pu réussir le pari incroyable de faire chuter la maison Clinton ? Comment est-il parvenu à convaincre Hillary, si peu de temps après l’avoir défaite, de devenir son soutien le plus loyal – puis d’être, pendant quatre ans, sa fidèle Secrétaire d’Etat ? Autant de manifestations d’un redoutable talent politique, mais aussi de preuves, pour certains, d’une sorte de conspiration orchestrée par des lobbys surpuissants.

Barack Obama entre deux Amériques

N’en déplaise aux élites libérales – de gauche – des bastions démocrates des deux côtes, l’Amérique reste, pour une large part, profondément conservatrice de cœur. Les succès passés de George W. Bush et sa popularité d’ex-président l’attestent tout autant que les percées électorales du Tea Party aux élections de mi-mandat de 2010 ou de Rick Santorum et Newt Gingrich lors des dernières primaires républicaines.

Mais, n’en déplaise tout autant aux bigots de l’Ohio ou de l’Utah, l’Amérique est aussi désormais profondément multiculturelle, multiethnique, plurilingue et pluriconfessionnelle. Impossible désormais, sans risquer l’aventure sociale, de ne pas reconnaître cette diversité et de la traduire dans les faits démocratiques.

Neuf, jeune et métis, ouvert sur le monde, Barack Obama, par son élection, a incarné un espoir formidable aux Etats-Unis comme ailleurs autour du monde. Un espoir que l’élection d’Hillary Clinton, bien qu’elle eût été la première femme présidente des Etats-Unis, n’aurait pu susciter – tant elle aurait aussi été le symbole du contrôle du pouvoir par certaines élites washingtonienne, et le rappel des affres de son président de mari.   

Le président Obama, condamné à décevoir ?

La portée symbolique de son élection a été telle que l’on peut se demander si elle ne condamnait pas Barack Obama à décevoir. Diplomatie, économie, questions de société, les exemples ne manquent pas…

Six mois après son entrée à la Maison-Blanche, en juin 2009, Barack Obama, en visite au Caire, prononce un discours présenté comme refondateur des relations entre l’Occident et le monde musulman. Idem dans son discours d’Oslo en décembre de la même année lorsqu’il vient y recevoir un prix Nobel de la Paix, si prématuré. Des paroles qui ne seront pas suivies d’actes – ou si peu. La situation au Proche et au Moyen-Orient a été bouleversée au cours de son mandat, mais c’est plus en raison de l’inertie de ses politiques irakiennes et afghanes et sous les effets du Printemps arabe de 2011 – moment où il a brillé par son inaction.

Serpent de mer de la vie politique américaine depuis les années 1960 et la mise en place des programmes Medicare – assurance santé en faveur des personnes âgées – et Medicaid – assurance santé en faveur des plus démunis -, la réforme du système de santé aura empoisonné le premier mandat de Barack Obama. Son projet : une baisse des prix des médicaments grâce à un contrôle plus étroit de l’industrie pharmaceutique ; la possibilité pour tous les Américains d’être assurés par un système géré par l’État fédéral – la « public option » – et la régulation des assurances privées. D’abord attentiste voire favorable, l’opinion publique américaine s’est retournée à partir de la fin 2009 et, un par un, de puissants lobbys se sont levés, relayés au Congrès par les Républicains.

En matière de réformes sociétales, Barack Obama n’a pas révolutionné l’Amérique. Les communautés ethniques ne sont pas mieux représentées et Michelle Obama ne ménage pas ses efforts pour convaincre, notamment, les Afro-américains de la bienveillance de son mari. La question de l’égalité hommes-femmes n’a pas fait l’objet d’avancées particulières et, s’il s’est déclaré à titre personnel favorable au mariage gay, les droits des homosexuels relèvent des Etats.

En attendant un second mandat…

Début juin 2012, le chômage repartait à la hausse à 8,2%. Jamais un président sortant des Etats-Unis n’a été réélu avec un taux de chômage supérieur à 7,2% – depuis Franklin Roosevelt dans les années 30. Barack Obama devrait donc être battu et connaître le même destin – côté démocrate – que Jimmy Carter. Le lessivage des sortants dans la plupart des élections organisées dans les pays occidentaux depuis le début de la crise économique et financière ne plaide non plus pour sa réélection.

Et pourtant, en ce début d’été, les sondages continuent à le donner vainqueur – grâce au soutien d’Etats-clés dans cette élection. Une victoire par défaut, acquise en raison du manque d’attractivité et des contradictions idéologiques de son adversaire Mitt Romney ? Rien ne serait pire.

Une réélection de Barack Obama, le 6 novembre prochain, dépendra sans doute de sa capacité à instiller de nouveau du rêve dans l’esprit d’une majorité d’Américains et à les inciter, comme dit son slogan, à « parier sur l’Amérique ». Son pari sur l’Amérique, c’est aussi un pari de l’Amérique sur le fait que Barack Obama, détaché des contingences de basse politique qu’impose une réélection, pourrait enfin, véritablement et durablement, au cours des quatre prochaines années, changer l’Amérique

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