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Commerce de l’ivoire, une réglementation nécessaire

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Des trafics qui se ressemblent

Faire de la contrebande de défenses d’éléphants ressemble beaucoup au trafic de cocaïne. Les deux « produits » sont achetés pour une bouchée de pain, et sont ensuite vendus une fortune à l’étranger. Les deux enrichissent des réseaux de criminels internationaux. Dans le cas de l’ivoire, le produit principal est récupéré en Afrique, et vendu principalement en Chine. Les deux envoient les « mules » et les intermédiaires qui les transportent en prison. Les vrais criminels sont en revanche rarement envoyés derrière les barreaux.

Les principales différences ? L’ivoire est violemment extrait des éléphants. Sa vente a d’ailleurs fait diminuer leur nombre de manière inquiétante en Asie, et menace de mener le reste des pachydermes africains vers un sort semblable. A l’inverse de la cocaïne, l’ivoire est vendu ouvertement dans les magasins haut de gamme de Pékin et Hong Kong.

Une interdiction qui ne fonctionne pas

Tuer un éléphant pour son ivoire est interdit depuis 1989 par la Convention du Commerce International des Espèces en Voie de Disparition (signé par 175 nations). La plupart l’appellent l’Organisation du Traité CITES, prononcé « Sigh-Tees ». Cette interdiction avait permis de réduire le braconnage des éléphants, mais aussi de s’attaquer au marché de l’ivoire et des armes en Afrique.

Mais certains vices de forme juridiques permettent encore aux magasins chinois (et dans une moindre mesure thaïlandais) de vendre leurs bracelets, colliers ou figurines en ivoire qui datent d’avant l’interdiction. Beaucoup d’experts pensent que cet ivoire n’est plus en vente depuis longtemps. « Pour être honnête, il ne peut pas rester encore tout ça en stock », a déclaré William Schaedla, directeur régional de la surveillance pour le trafic de la faune en Asie. « Mais ils sont autorisés à donner cette excuse ».

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Une augmentation de la demande

Alors que la demande d’ivoire est de plus en plus importante en Asie, les nations membres du CITES se sont rassemblés du 23 au 27 juillet afin de redéfinir des règles strictes sur la vente légale de l’ivoire. Basé sur un modèle conçu par le conglomérat De Beers – qui vend des diamants, un autre produit africain associé à l’abus – le concept verrait tout l’ivoire canalisé à travers un seul monopole de vente.

Est-ce que de nouvelles lois sur la vente d’ivoire en boutique permettront d’arrêter les contrebandiers, et d’épargner des éléphants ?
Les écologistes, qui craignent que les pachydermes doivent à terme se cantonner aux zoos, sont très sceptiques. Ils posent une question plus pertinente : Peut-on criminaliser la vente d’ivoire une fois pour toute ?

« S’il y a un marché légal, il y aura des occasions pour blanchir l’ivoire illicite sur ces marchés» explique Mary Rice, directrice exécutif de l’Environmental Investigation Agency (EIA), basée à Londres. « Cela ne fonctionnera pas »

De nouveaux type d’acheteurs

Les données de l’agence montrent que lors de la période coloniale, les Britanniques étaient les plus gros acheteurs d’ivoire. Mais après la Seconde Guerre mondiale, ce marché s’est déplacé vers l’Asie. En particulier vers l’est d’Hong Kong et le Japon. Le climat économique actuel de la Chine produit désormais une nouvelle gamme d’acheteurs : des nouveaux riches, obsédés par leurs statuts.

« C’est un objet de prestige », explique William Schaedla« Si vous êtes un nouveau riche en Asie de l’est, et que vous voulez le montrer, quelle meilleure façon de le faire qu’avec une sculpture en ivoire ? »

Malgré l’insistance du gouvernement chinois, qui pense que sa surveillance du commerce de l’ivoire est suffisante, les enquêtes de l’EIA démontrent que 90% de l’ivoire vendu là-bas est obtenu de manière illégale. « La demande en ivoire en Chine est si élevée que les vendeurs trouveront toujours des moyens de revendiquer que leurs produits relèvent d’une catégorie juridique valable. »

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Des lois facilement contournables

En théorie, chaque élément fait à partir d’ivoire et vendu en chine doit s’accompagner d’un permis de la CITES confirmant son statut légal. Mais ces règles ont donné lieu à un marché de faux certificats. Des chiffres encore plus faussés par l’approbation de la CITES concernant la cession de nouveaux stocks « d’ancienne ivoire » en provenance du Botswana, de la Namibie et du Zimbabwe. Les vendeurs tirent donc pleinement parti de ces documents truqués.

« Personne ne vérifie vraiment d’où vient l’ivoire. Cela laisse la voie libre à tous les vendeurs » ajoute Schaedla.

Malgré les crises, l’appétit de la Chine pour l’ivoire ne cesse d’augmenter. L’année dernière était d’ailleurs une « annus horibilis » pour les éléphants africains, tués en grande partie pour le marché asiatique. En 2011, au moins 23 tonnes de défense ont été saisies  par les douaniers de toutes les nations. La pire année depuis deux décennies.

Un chiffre qui équivaut à la mort d’environ 2500 éléphants. Et le commerce continue. Dans la deuxième semaine de juillet, en Thaïlande, les douanes ont découvert une boîte en provenance du Kenya, qui contenait plus de 450 kilos de défenses. Un tel colis représente le braconnage de cinquante éléphants.

Des douanes efficaces mais pas infaillibles

Les syndicats appliquent une politique chiffrée, qui permet d’intercepter de nombreux colis. Mais les enquêtes montrent que le système chinois peut être contourné si on expédie les défenses vers des points de transit à proximité« Au cours d’une enquête en Chine, nous avons parlé à un commerçant illégal. Il nous a déclaré que même s’il perdait neuf fois sur dix ses colis, il rentrait toujours dans ses frais », précise Mary Rice.

Pire encore, comme avec la drogue, les saisies ne conduisent que rarement à des arrestations de passeurs ou de chefs de réseaux. La police des douanes asiatique ne rentre d’ailleurs quasiment jamais en contact avec leurs homologues africains pour aider à enquêter sur l’origine de ces réseaux. On attrape souvent l’intermédiaire, qui peut éventuellement prendre la condamnation d’une simple « mule », ce qui les empêche de remonter à la source.

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Des sanctions trop faibles

D’autres écologistes, comme Richard Vigne du Centre de Conservation de Ol Pejeta, au Kenya, pensent que les sanctions en Afrique sont trop faibles. Dans un éditorial qui date du mois de mai dernier, Richard Vigne relate deux procès se tenant en même temps. L’un concernant un voleur de mouton, et l’autre une équipe de braconniers d’éléphants. Ces derniers ont extrait l’ivoire de l’animal avec une lame, et ne sont condamnés qu’à une amende de 180 dollars. Le voleur de mouton a en revanche pris sept ans de prison. La population des éléphants d’Afrique ne peut plus subir de pertes. Bien que la conservation des pachydermes commence à porter ses fruits, et leur nombre lentement à se redresser, la CITES estime qu’il ne reste plus que 740 000 éléphants sur le continent.

« Ils tirent sur ces animaux, les plaquent au sol, et il faut espérer que l’animal soit déjà mort avant qu’ils s’attaquent à leurs défenses », explique Rice.

Des chiffres inquiétants

Les chiffres actuels ne représentent qu’une fraction de la population des éléphants d’Afrique en 1930, où elle était estimée entre 3 et 5 millions, selon le World Wildlife Fund. Les acheteurs chinois aimeraient d’ailleurs importer plus de défenses d’Asie si le braconnage (et la destruction de leur habitat naturel) n’avait pas autant réduit leur nombre. La WWF estime qu’il ne reste plus que 30 000 éléphants d’Asie, contre 100 000 en 1900.
Le commerce de l’ivoire, qui nage en eaux obscures, a poussé la CITES à envisager une sorte de monopole, qui s’appellerait l’Organisation Centrale de Vente d’Ivoire. Comme le cartel de diamantaires De Beers, l’organisation tentera de dominer le marché et de fixer les prix. Mais au lieu de chercher du profit, ce monopole sera supervisé par la CITES et les recettes aideraient à la protection des éléphants.

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Un nouveau point de départ

Le concept, encore en discussion, permettrait de rendre tous les envois d’ivoire illicites, sauf pour les colis livrés par l’organisation. Ce contrôle pourrait assouvir la demande, faire baisser les prix et éloigner les magasins de leurs partenaires illégaux. Du moins en théorie. Selon les dossiers de la CITES, l’organisation ne vendrait que de l’ivoire obtenu de morts naturelles, de chasses sportives sanctionnées ou des éléphants tués car ils présentaient un danger sur les établissements humains.

« Cela semble avoir de nombreux effets bénéfiques pour la conservation de l’espèce… La valeur de cet ivoire devrait être réinvestie dans les zones dont il provient », d’après la proposition écrite par la CITES.

Mais cette proposition est sans engagement et doit être considérée « comme un point de départ pour une discussion ». Les écologistes comme Mary Rice trouvent qu’un tel monopole, fondé sur le modèle des cartels de diamants, est « choquant », et stimule encore plus la demande asiatique« Il ne nous parle pas des défaillances du modèle De Beers, qui n’a jamais arrêté de vendre des blood diamonds (les diamants du sang). La demande ne fait qu’augmenter »,  a-t-elle ajouté. « Nous sommes en train de parler d’une ressource rare, qui vient d’un animal vivant. Ce n’est pas un simple minéral ».

Global Post/ Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

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