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Espagne: la rue à l’assaut de la politique de Mariano Rajoy

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« Quieren arruinar el pais… », « Ils veulent ruiner le pays… » Avant d’entamer notre entretien, Carlos Lopez, le secrétaire général de la FETE-UGT, la branche « éducation » de l’Union générale des travailleurs, un des deux principaux syndicats espagnols et le plus radical, me tend un tract. « Rendez-vous à 19h30 à Banco de España… »

Les syndicats en tête

19 heures 30. Place Cibeles, là où se tiennent tous les grands rassemblements populaires madrilènes, là où, il y a à peine trois semaines, une foule en délire, fière comme jamais, célébrait la victoire de la Roja sur la Squadra Azurra en finale de l’Euro 2012 de football. Au milieu de la place, la statue de la déesse Cibeles, patronne de la capitale espagnole. D’un côté, l’imposant Hôtel de ville, tout en pierre blanche. De l’autre, plus sombre, le siège de la Banque d’Espagne. Le siège symbolique tant, désormais, nul ne peut ignorer que la véritable « Banque d’Espagne »  ne se trouve pas ici mais à Francfort au quartier-général de la Banque centrale européenne, euro et crise obligent…

Face aux pouvoirs, comme promis par le syndicaliste, le cortège syndical se met en place. Ils défileront en tête, UGT, CCOQ… « Seuls les syndicats disposent des moyens nécessaires pour organiser – et exprimer – le mécontentement social, » assurait Carlos Lopez. Le déploiement est imposant. Sur les 500 premiers mètres du large Passeo del Prado, de Banco de España à Neptune – l’autre patron de Madrid – les militants affluent en une foule compacte. Les banderoles sont de sortie : « Ils veulent ruiner le pays », « Démocratie, où es-tu ? » Les drapeaux, plutôt, rouges, sont là aussi. Et puis, il y a les mégaphones, les cornes de brume, les sifflets et les pétards. Rien de plus ordinaire pour une manifestation syndicale. De Neptune à Sol, comme de République à Bastille.

Face au Congrès, le concours de l’opposant le plus déterminé

A Neptune, la foule est tout aussi compacte, mais plus diverse déjà. La Guardia civile a bloqué, de grilles en fer, l’accès à la Carrera de San Jeronimo où, 100 mètres plus haut, les députés sont enfermés dans leur Congreso de los diputados. L’heure du vote sur le nouveau plan d’austérité prévoyant 65 milliards d’économies sur deux ans approche et le président du gouvernement, Mariano Rajoy, absent des débats du jour, doit venir voter.

Un instant, on pourrait imaginer que l’atmosphère se tend. Le cortège de l’UGT ferroviaire débarque. Comme leurs collègues de la SNCF, les militants de la Renfe sont parmi les plus radicaux et les plus démonstratifs. De l’autre côté, sur les marches du Prado, les mineurs leur font face. La semaine dernière, aux termes d’une longue marche de protestation à travers le pays, ils se sont heurtés violemment aux forces de l’ordre, dans l’épisode le plus violent depuis le début de la contestation. Au concours de l’opposant le plus déterminé, ils sont sans doute en tête.

Une colère citoyenne

Depuis Neptune, le flot de manifestants se poursuit vers la grande gare d’Atocha. Les drapeaux des syndicats se font de moins en moins nombreux. Les pancartes deviennent plus artisanales et les slogans plus spontanés… « Les syndicats n’ont pas de stratégie indépendante. Les partis d’opposition sont silencieux. Les socialistes du PSOE ont échoué et ouvert la voie au gouvernement Rajoy. Les syndicats sont les seuls derrière le peuple, » avait assuré Carlos Lopez. Derrière, devant, peu importe. Les Espagnols et leur ras-le-bol, les voilà…

Un autre kilomètre jusqu’à la gare d’Atocha. Les preuves d’un mécontentement populaire, motivé par les effets perçus de cette crise, elles sont là. Un mouvement spontané, comme une pulsion, semble-t-il, pulsion de peur. La peur, on le sait n’est pas toujours la meilleure conseillère… « Bota Rajoy, vota Hollande… » En gros, « Bottez Rajoy dehors, votez Hollande » On voudrait leur expliquer, leur dire que c’est évidemment plus compliqué. A quoi bon, là et maintenant ? S’ils aiment à y croire, si cela leur fait du bien, à quoi bon jouer les Cassandre ?

Et ils refont le match…

Autre cliché en pleine foule. Après les drapeaux rouges, un autre oriflamme domine désormais le cortège. Trois bandes horizontales. Depuis le haut, le rouge et le jaune espagnol et, en bas, du violet. C’est, exhumée des placards de l’Histoire, la bannière des Républicains espagnols au temps du Front populaire et de la guerre qui s’en suivit. « No Pasaran, again! » Curieux, le poids de l’Histoire et la manière dont celle-ci s’insinue dans le code génétique de chaque peuple. Les Espagnols rejoueraient 1936 comme à Paris on pense tout de suite à 68 ou à la prise de la Bastille. Aujourd’hui, en Espagne, le danger serait donc forcément fasciste, Mariano Rajoy et son Parti populaire vite qualifiés de franquistes… et puis, pourquoi pas « couper cabèche au roi »… Comme la mémoire est en réalité courte.

La preuve aussi d’un profond désarroi face à une crise économique, financière et sociale bien réelle. Mais, celui-là et celle-ci ne sauraient justifier l’excès des comparaisons historiques rapides. Même si la crise suscite la tentation de sur-jouer, parce que la crise c’est aussi l’ennui – surtout pour nos générations du « toujours plus! » On ne va tout de même pas tout casser juste parce que l’on doit un peu moins consommer…

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Figurants ou acteurs…

Sur cette vaste scène, ils sont désormais, sans exagérer, des centaines de milliers. Ailleurs, dans plus de 80 villes à travers le pays, ils seraient tout autant. C’est un  mouvement de fond que connaît l’Espagne et, déjà, il semble promis que le pays ne connaîtra pas de trêve estivale. Le soir, ils manifesteront comme ils aiment à flâner. Et à la rentrée, ils verront…

Par un flot continu, ils sortent des étroites bouches de métro, station gare d’Atocha. Ils se rêvent sans doute acteurs, ils seront figurants. « La révolution ne se fera pas pour la télévision », peut-on lire sur une large banderole. Déjà, on en doute. Les caméras sont là, nous aussi. Une autre banderole dénonce la hausse de la TVA sur les spectacles de 8 à 21% et la menace que le gouvernement Rajoy ferait peser sur la culture espagnole. Derrière… Marisa Paradès, Juan Diego Botto et Javier Bardem… Comme dans un film de Pedro Almodovar.

L’Espagne et sa culture…  

21 heures 30. 35 degrés Celsius. Au Parque de Bueno Retiro, une Carmen en plein air. « L’amour est enfant de bohême… » Le bruit des hélicoptères et les rugissements lointains de la foule n’y changent rien. 

Après minuit, il fait déjà plus frais, mais l’atmosphère est toujours aussi chaude. A deux pas de la Puerta del Sol, les forces de l’ordre chargent. Petite charge, chargette contre mini-barricades. Le décor est beau… et on ne peut s’empêcher de penser que si les figurants manifestants l’avaient vraiment voulu, elles auraient tenu leurs barricades. La répétition est finie pour aujourd´hui…

On rejoint Malasaña, à deux pas, entre Sol et Chueca. Depuis le balcon, petit havre de fraîcheur, on entend Michaella et ses collègues qui jacassent et se chamaillent. Le plus vieux métier du monde, nous a-t-elle assuré le matin même, ne connaît pas la crise – et elle n’hésite pas à proposer le rabais. En attendant le badaud, elles – et ils – pestent contre l’hélicoptère qui, juste au-dessus, poursuit son sur-place. En fond, une chanson de Luz Casal. Comme dans un film de Pedro Almodovar.

Reportage par Franck Guillory pour JOL Press à Madrid

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