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Est de la RD Congo : Paul Kagamé dans l’œil du cyclone

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Le Département d’État a récemment annoncé la suspension de son aide militaire[1] au Rwanda, en réaction à un rapport onusien sur la situation en cours dans la région des Grands Lacs africains. En effet, selon les experts des Nations Unies, le président Paul Kagamé soutient la rébellion dans la partie orientale de République Démocratique du Congo, en lui fournissant « des armes, du ravitaillement militaire et de nouvelles recrues ».

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En ayant pris la décision de geler l’aide militaire au Rwanda, certains analystes estiment que les États-Unis ont mis fin à l’idylle, qui avait débuté il y a une quinzaine d’années, avec le président rwandais. Ainsi le soutien au groupe rebelle dénommé Mouvement du 23 mars (M23) a-t-il poussé Washington à appeler, par le truchement de la porte-parole de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, à « la fin des violences dans l’Est de la République Démocratique du Congo » et à ce que « cesse tout appui extérieur » aux insurgés congolais.

Le Mouvement du 23 mars

Les éléments du M23 sont issus du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP)[2] de Laurent Nkunda. Cette ancienne rébellion, montée de toutes pièces par les Tutsis avec la bénédiction de Kigali, avait sévi dans la région du Kivu. Ces mutins s’opposent aux Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), depuis mai 2012, dans le Nord-Kivu frontalier du Rwanda et de l’Ouganda. Sous la direction du général Sultani Makenga[3], ils reprochent au président congolais, Joseph Kabila, d’être revenu sur les accords de paix. Ainsi réclament-ils, plus précisément, l’application du traité ayant été signé le 23 mars 2009[4].

Le spectaculaire changement d’attitude

Le soutien du Rwanda aux différentes rébellions dans la partie orientale du Congo-Kinshasa n’est pas une nouvelle découverte pour le Département d’État. L’ancien sous-secrétaire d’État américain aux affaires africaines sous l’administration Clinton, l’ambassadeur Herman Jay Cohen, a souvent évoqué la thèse du partage des ressources congolaises comme solution à la crise qui paralyse la région des Grands Lacs africains. Cette hypothèse a d’ailleurs été reprise par Aldo Ajello, l’ex-représentant de l’Union européenne dans cette partie de l’Afrique, et amplifiée par Nicolas Sarkozy, à l’époque président de la République française. Pourquoi ce changement spectaculaire du Département d’État ?

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Les pressions croissantes des organismes non gouvernementaux sur l’extermination des populations, donc le génocide dans l’indifférence totale, qui est en train de se dérouler à l’Est de la République Démocratique du Congo, commencent à produire ses effets. La diaspora congolaise, en ce qui la concerne, s’active davantage. Elle ne cesse de dénoncer publiquement – aussi bien à Paris, à Bruxelles, à Londres, au Québec qu’à Washington – la complicité des parrains de Paul Kagamé dans les violations des droits fondamentaux de la personne humaine et dans les crimes perpétrés dans la région du Kivu en vue du pillage des minerais, de l’expropriation des terres et de l’annexion d’une partie du territoire congolais au Rwanda.

Les différentes rencontres organisées en toute discrétion par l’ambassadeur Donald Boyd Easum[5], pour sensibiliser le Département d’État sur la problématique congolaise, ont également joué un rôle déterminant dans l’attitude de Washington. Celle-ci a entraîné, dans la foulée, une réaction similaire de la part de quelques pays occidentaux à l’encontre du Rwanda.

Les conséquences du rapport des Nations Unies

Pour l’ambassadeur John Campbell, membre éminent du Council on Foreign Relations, les experts onusiens « [ont] apporté les preuves de l’implication du Rwanda dans l’Est de la République Démocratique du Congo ». La crédibilité du rapport des Nations Unies qui a été publié le 26 juin 2012 ne pourrait qu’avoir, à en croire le diplomate américain, un « impact sur la relation » entre Washington et Kigali. D’après le patron du bureau de la Justice criminelle internationale au Département d’État, Stephen Rapp, le président rwandais pourrait un jour être poursuivi pour « complicité » de crimes de guerre perpétrés dans un pays voisin. L’Allemagne et Pays-Bas[6] ont emboîté le pas à l’administration Obama. Ils ont de facto suspendu, pour les mêmes raisons, leur aide au développement qui était accordée au Rwanda. Il en est de même pour la Grande-Bretagne qui a menacé de fermer le robinet de l’aide allouée au pays des milles collines.

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Privé le Rwanda de l’aide militaire ne suffira pas à stabiliser la région. Il faudra obliger Paul Kagamé, par tous les moyens, à permettre le dialogue inter-rwandais. De plus, la présence des éléments des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) dans la région du Kivu a toujours servi de prétexte aux agresseurs pour déstabiliser la République Démocratique du Congo. Il faut donc maintenir la pression pour éviter que le soufflé ne retombe. Des sanctions doivent être prises en vue de la réparation des dégâts collatéraux et de la condamnation des crimes dus à la guerre oubliée, à dessein, qui ne cesse d’hypothéquer l’avenir des Congolaises et des Congolais. L’enrôlement des enfants par la force, les humiliations – notamment les violences sexuelles –, le sang versé et les vies sacrifiées du simple fait d’être nés Congolais méritent que justice soit rendue aussi bien localement, régionalement qu’internationalement.

Documentation

Congo-Kinshasa : le degré zéro de la politique – L’Harmattan, Paris, 2012 ;

La République Démocratique du Congo, un combat pour la survie – L’Harmattan, Paris, 2010 ;

– Nicolas Sarkozy et Paul Kagame : les noces franco-rwandaises.


[1] Soit une enveloppe modeste de 200 000 dollars.

[2] Dont les éléments ont été intégrés, après la mascarade de l’arrestation de Laurent Nkunda au Rwanda, dans l’armée nationale congolaise depuis le 23 mars 2009.

[3] Ce dernier est en réalité sous les ordres du général déserteur Bosco Ntaganda, inculpé en 2006 par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre.

[4] Accord relatif au retour des réfugiés congolais qui sont au Rwanda, à une bonne démocratie, et à la confirmation des grades des éléments du CNDP intégrés dans l’armée nationale congolaise.

[5] Ancien sous-secrétaire d’État chargé de l’Afrique sous les administrations Nixon et Ford.

[6] Cinq millions d’euros d’aide au développement, en ce qui concerne le Pays-Bas.

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