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Et si le vertueux «modèle finlandais» tuait l’euro?

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Une déclaration qui aurait pu passer inaperçue. Vendredi 7 juillet, la ministre finlandaise des Finances, la social-démocrate Jutta Urpilainen a affirmé au quotidien financier Kauppalehti que son pays refusait de payer les dettes des autres pays de la zone euro et s’opposait à la responsabilité collective face aux difficultés rencontrées par certains Etats : « La responsabilité collective pour les dettes (…) et les risques d’autres pays n’est pas ce à quoi nous devons nous préparer ».

La Finlande est-elle sur le point d’abandonner l’euro ?

Une déclaration sans ambages à l’interprétation incertaine. Selon le quotidien Kauppalehti, cette déclaration de la ministre pourrait signifier que la Finlande « ne s’accrochera pas à l’euro à n’importe quel prix et est prête à tous les scénarios », y compris à abandonner la monnaie unique européenne.

Un porte-parole de la ministre, Matti Hirvola, a cependant démenti cette analyse du quotidien en déclarant que « toute affirmation selon laquelle la Finlande allait quitter l’euro est simplement fausse ».

Dans son interview de vendredi, Jutta Urpilainen souligne d’ailleurs que « la Finlande s’est engagée à être un membre de la zone euro » et que « l’euro est bénéfique pour la Finlande ».

Les positions intransigeantes de la Finlande

Dans le quotidien Helsingin Sanomat de la veille, la même Jutta Urpilainen avait toutefois reconnu que la Finlande « représentait une ligne dure » à l’égard des plans d’aides financières. « Nous sommes constructifs et nous voulons régler la crise, mais pas à n’importe quelles conditions », affirmait-elle.

Helsinki a fait part de sa réticence à permettre au Mécanisme européen de stabilité (MES) d’acheter des obligations sur le marché secondaire dans le cadre de l’accord intervenu la semaine dernière lors du sommet européen des 28 et 29 juin à Bruxelles où ont été annoncées des mesures fortes destinées à soutenir les pays actuellement chahutés par les investisseurs, Espagne et Italie en premier lieu.

L’an dernier, Helsinki avait exigé et obtenu, lors du deuxième plan d’aide à la Grèce, de conclure un accord bilatéral avec Athènes lui garantissant de récupérer les sommes avancées. Jeudi, la Finlande a annoncé l’ouverture prochaine de négociations bilatérales avec l’Espagne pour l’obtention du même type de garanties en échange de sa participation au plan de sauvetage des banques ibériques.

La dimension historique et culturelle de la maîtrise des finances publiques

Si la Finlande, ancienne possession russe, a choisi d’adopter la monnaie unique – à la différence du Danemark ou de la Suède -, c’était une volonté d’affirmer fortement son caractère européen. Encore fallait-il qu’elle n’y perde pas l’essentiel…

La stabilité des finances publiques est devenue une part essentielle de la culture économique finlandaise après la terrible crise du début des années 1990. Entre 1991 et 1995, tous les pays nordiques ont connu une crise profonde de leur modèle d’Etat providence. La Finlande est particulièrement touchée.

Fin des années 1980, le pays connaît une forte croissance, alimentée par une dérégulation rapide du secteur financier.  L’effondrement de l’URSS donne un coup d’arrêt brutal à la croissance : la Finlande était la porte des produits soviétiques vers l’ouest et l’arrêt du commerce avec l’ancien bloc communiste entraîne des faillites qui fragilisent les banques. Ces dernières cessent de prêter et la croissance passe de 5,4% en 1989 à – 6,1% deux ans plus tard. Rapidement, les excès du secteur financier durant les années 1980 rendent sa survie impossible.

L’Etat doit venir à la rescousse. Dès lors, le mistigri de la dette est transféré à l’Etat et la crise économique devient une crise de la dette. Les comptes publics passent d’un excédent de 6% en 1989 à un déficit de 8% en 1993. Cette même année, la Finlande perd son triple A et est dégradée de deux crans.

Le souvenir douloureux de mesures énergiques

Le gouvernement d’Helsinki décide alors de prendre des mesures énergiques : c’est le fameux plan du printemps 1995 qui a réduit notamment l’indemnisation du chômage et réformé le système de retraite, tout en augmentant les impôts. En vertu de la théorie économique et du principe de « destruction créatrice », les entreprises en difficulté n’ont pas été sauvées et les investissements se sont dirigés vers les entreprises en pleine croissance, notamment dans les technologies. Le secteur financier a été redimensionné et simplifié : aujourd’hui trois acteurs, dont aucun n’est contrôlé par des capitaux finlandais, occupent le marché.

La défense du « modèle finlandais »

En 1997, la Finlande se qualifiait pour l’euro, la méthode avait fonctionné. Mais, le souvenir de ces années rigoureuses reste fort à Helsinki. Du coup, le pays, un des plus vertueux de la zone euro avec un déficit public en 2011 de 0,5 % du PIB, veut absolument éviter le retour du risque bancaire et souverain.

Comme l’économie finlandaise est petite – 180 milliards d’euros de PIB -, la prise de risque vis-à-vis des grands pays endettés de la zone euro représente une charge considérable pour la république nordique. D’où le refus de s’exposer.

Un exemple qui montre, une fois de plus, l’importance des histoires et cultures nationales dans la réaction aux épisodes économiques que traversent les pays européens. 

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