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Général V. Lanata: «La Nation reste très proche de l’Armée»

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Samedi 14 juillet 2012. Ce sont 4950 hommes et femmes des trois armées et de plusieurs unités de la Sécurité civile qui s’élanceront peu après 10h sur les Champs-Elysées. Pas de réductions d’effectifs pour le cru 2012.

Béret bleu sur le tête, les hommes du bataillon français ayant servi récemment dans les rangs de la force des Nations unies au Liban (Finul) ouvriront la marche pour saluer le « rôle primordial » de l’ONU « dans la gestion des crises mondiales ». 241 chevaux, 450 véhicules et 82 motos participeront aussi défilé au sol. Et 66 avions, dont deux appareils britanniques, et 32 hélicoptères survoleront la capitale pour un défilé aérien toujours aussi impressionnant.

Le 14 juillet, c’est aussi la célébration, une fois par an, du lien unique entre la Nation et son Armée. Cette année, le thème choisi est celui des armées « au service de la Nation et de la paix dans le monde ». D’où, cet hommage particulier rendu aux casques bleus qui servent sous l’égide de l’ONU mais aussi à toutes les troupes rentrant d’opération extérieure (Opex).

Comment se porte l’armée française ? Quels sont les défis auxquels elle doit faire face ? Nous avons souhaité interroger un expert des questions militaires, ancien chef d’État-major de l’armée de l’air, le Général Vincent Lanata. Entretien.

JOL Press : Dans quel état d’esprit se trouve l’armée française en ce 14 juillet 2012 ?

Général Vincent Lanata : L’état d’esprit de l’Armée n’a pas fondamentalement changé. Aujourd’hui, les armées sont composées d’hommes et de femmes qui servent leur Patrie avec courage et force. S’ils risquent leurs vies au combat, c’est parce que la Nation les y envoie. Ce ne sont pas les militaires qui décident de mener telle ou telle opération, c’est la Nation. L’exécutif donne l’ordre, sous le contrôle du Parlement, et les militaires l’exécutent.

Dans ce cadre, l’état d’esprit de l’Armée varie peu et certainement pas en fonction de tel ou tel événement politique, même – et surtout – une alternance à la tête de l’Etat.

Il est certain pourtant que l’on ressent une certaine inquiétude, liée à la conjoncture économique. Les armées savent qu’elles vont être touchées par les inévitables restrictions budgétaires. Il y aura très certainement des coupes claires dans le budget de la défense et les militaires se demandent lesquelles.

Le départ anticipé d’Afghanistan 

JOL Press : Quel jugement portez-vous sur le retrait des troupes d’Afghanistan et sur les conditions de son déroulement ?

Général Vincent Lanata : La décision de retirer les troupes françaises du théâtre afghan a été prise par la majorité précédente et elle devait intervenir à partir de 2013.

La décision de l’avancer de quelques mois, et de l’entamer dès cet été, ne change pas fondamentalement le déroulement de ce retrait. Certes, un peu plus de temps aurait peut-être permis davantage de sérénité.

JOL Press : Ce retrait d’Afghanistan comporte-t-il des particularités ?

Général Vincent Lanata : La spécificité est liée au fait qu’il s’agit d’un théâtre lointain. C’est la première fois, sous la Vème République, que la France intervient aussi loin, aussi longtemps. En Afghanistan, nous avons souffert de ne pas avoir un support immédiat, de base arrière assurée. Avec le Pakistan, nous savons qu’il convient d’être prudent et donc nous sommes contraints de transiter par les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale.

On n’intervient pas en Syrie comme en Libye

JOL Press : Autre crise, la Syrie. Une intervention est-elle envisageable ?

Général Vincent Lanata : S’il devait y avoir une intervention militaire, elle n’aurait rien à voir avec celle conduite en Libye. La Syrie est un pays très puissant, disposant d’une armée très forte. On n’intervient pas en Syrie comme en Libye. Il faudrait déployer des moyens considérables. Un débarquement, c’est impossible. Une « No Fly zone » serait inefficace puisque c’est l’armée de terre syrienne qui commet les principaux massacres.

De plus, en Libye, nous nous sommes appuyés sur une coalition. Là, en l’occurrence, il n’existe pas de consensus. La Russie et la Chine sont opposées à toute intervention internationale. De plus, le risque de mettre à feu et à sang l’ensemble de la région proche-orientale est plus que réel.

Et puis, aujourd’hui, il y a une autre priorité.

Il faut intervenir d’urgence au Mali

JOL Press : Laquelle ?

Général Vincent Lanata : Le Mali. Il faut intervenir d’urgence au Mali. Se crée dans cette région au nord du Mali, aux confins du Niger, de la Mauritanie, du Sénégal, un pôle de terrorisme qui ne peut qu’essaimer.

Il n’y a pas de dialogue possible avec ces islamistes. Ils ne feront pas demi-tour. Leur vocation est expansionniste, ils rêvent de propager leur idéologie, d’imposer leur vision rétrograde de la société.

JOL Press : Quelles formes pourraient prendre cette intervention ?

Général Vincent Lanata : Là encore, il faut mettre sur pied une coalition, s’appuyer sur l’Union africaine et les Nations Unies. Car, il ne s’agit pas juste de conduire une opération commando. Il faut aller sur le terrain, intervenir massivement pour reprendre le pays et le débarrasser de ces fanatiques.

La France doit agir dans le cadre de coalitions

JOL Press : La France a-t-elle toujours les moyens d’être aussi présente sur autant de théâtres extérieurs ?

Général Vincent Lanata : La France a les moyens à son niveau, des moyens certes relativement limités mais puissants. Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye… autant d’exemples des capacités militaires françaises. Dans le dernier exemple, il ne s’est écoulé qu’une heure entre le moment où le président Nicolas Sarkozy a donné l’ordre d’engager les opérations contre le régime de Mouammar Kadhafi et les premiers tirs. C’est remarquable.

La France doit avoir l’ambition de ses moyens. Encore une fois, une intervention au Mali, comme ailleurs, ne peut se faire que dans le cadre d’une coalition dans laquelle même les contributions les plus mineurs sont essentielles.

Unie, l’Europe se dotera de sa propre défense

JOL Press : Il est désormais beaucoup question d’Europe. Justement, est-ce qu’en matière de défense, la France ne se retrouve pas un peu seule en Europe ?

Général Vincent Lanata : Les Britanniques font des efforts considérables, supérieurs encore aux nôtres…

Je suis un Européen convaincu, convaincu que l’Europe se fera quelle qu’en soit l’échéance. L’unification du continent européen est logique ne serait-ce qu’au regard de l’histoire. L’Europe se forme comme se sont formés les principaux Etats européens, patchworks de territoires rassemblés autour d’un pouvoir central.

Les pays européens et leurs peuples finiront par comprendre qu’il ne mène à rien de se chamailler. L’unité sera politique. Cette entité devra avoir les moyens de sa politique et, pour cela, il lui faudra une défense. Cette défense aura une dimension transatlantique à travers l’OTAN. Mais l’Europe devra avoir sa propre force, bâtie à partir des armées européennes puissantes, dont la France bien sûr.

JOL Press : Le 14 juillet est l’occasion de célébrer le lien entre l’Armée et la Nation. Où en est-on ?

Général Vincent Lanata : Du temps de la conscription, près de 300 000 jeunes Français effectuaient chaque année leur service militaire. Qu’après 10 mois, ils aient été enthousiastes ou irrités, ils étaient passés par la défense, ils avaient appris pourquoi il fallait une défense, à quoi servait l’armée. Le lien ainsi établi demeurait, notamment à travers le corps des réservistes.

La situation est désormais différente. Nous avons été contraints de supprimer le service militaire obligatoire en raison de la réduction du volume de l’Armée. Pour le conserver, il aurait fallu en réduire la durée et tout cela aurait fini par être inutile. Pourtant – et les enquêtes d’opinion le montrent -, la Nation reste très proche des armées. Rares sont désormais les grandes déclarations antimilitaristes. L’Armée est profondément républicaine et son lien avec la Nation n’a pas été cassé, bien au contraire.

Défiler sur les Champs-Elysées, une chance et un honneur

JOL Press : Pour un militaire, défilé le 14 juillet sur les Champs-Elysées, c’est important…

Général Vincent Lanata : Au cours de ma carrière, j’ai défilé à plusieurs reprises, en vol et au sol. C’est une chance et un honneur.

Mais un défilé, c’est une véritable opération militaire. Imaginez en vol… Des appareils décollent de bases situées aux quatre coins du territoire, de Saint-Dizier, de Cambrai, d’Istres. Ils doivent se retrouver, former un petit train et passer au top – à la seconde près – au-dessus de l’Arc de Triomphe.

Au sol, j’ai défilé alors que je commandais la base aérienne d’Orange. Tout est chronométré. Nous étions stationnés à Creil et devions arriver Porte de la Chapelle à une heure précise pour être pris en charge par des motards d’un régiment du train. Ensuite, nous nous étions mis en place à 7 heures du matin pour un défilé à 10 heures. Trois heures à piétiner.

Nous avons le devoir de présenter à la Nation l’image d’une force commandée. C’est-à-dire qui défile droit et montre de l’énergie. Ce n’est pas une promenade de santé.

Il y avait derrière moi 250 hommes et femmes représentant la base d’Orange et je sais combien ils étaient heureux d’avoir défilé.

[image:2,s] Général de l’armée, Vincent Lanata a été chef d’État-major de l’Armée de l’Air. Il a notamment commandé des unités en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Qatar ou encore en Jordanie, de 1991 à 1994. Il a ensuite été chargé de mission auprès du ministre des Transports, Bernard Pons, de 1995 à 1997. Retraité du service actif, Vincent Lanata a monté deux sociétés de conseil spécialisées dans la défense et l’industrie.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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