Site icon La Revue Internationale

La question des femmes tunisiennes face à la légitimité démocratique

[Image:1,l]

Islamisme modéré, un oxymore ?

Comment conjuguer le droit des femmes et la légitimité de l’élection du parti islamiste Ennahda à l’Assemblée ? Pour Souhayr Benhassen, présidente de la Fédération Internationale de la ligue des Droits de l’Homme (FIDH), toute la question est de savoir combiner « légitimité populaire » et « légalité constitutionnelle. »

Pour Alexandre Adler, historien et journaliste, « un islamisme modéré est envisageable, même un fascisme modéré est possible, tout est dans la nuance ». Aucun mouvement ne peut être figé.

Mais la plupart des interlocuteurs du colloque ne partagent pas son avis. Pour Gérard Canales, l’ancien président de la Chambre Interdépartementale des Notaires de Paris, une théocratie est par nature incompatible avec la démocratie. De même, Antoine Sfeir explique que par nature, « l’islamisme est un extrémisme, il est donc absurde de parler d’un extrémisme modéré » . C’est une contradiction dans les termes.

Wassila Tamzali, ancienne directrice des droits des femmes à l’UNESCO, explique que sur le terrain, il y a confusion entre Islam et islamisme. Pendant les élections, les gens ont voté pour un parti islamiste en pensant que c’était leur devoir de musulman. Pour elle, si « les salafistes sont des monstres crées par les régimes autoritaires, les islamistes ont les mêmes ambitions, seulement plus déguisées ». Souhayr Belhassen affirme en effet que Ennahda, qui se revendique islamiste modéré, et les salafistes, islamistes radicaux, ont les mêmes buts, mais emploient des stratégies différentes. Les premiers seraient de fins stratèges pragmatiques alors que les seconds, « purs », affirmeraient ouvertement – et parfois violemment-, leurs idées.

Un apprentissage de l’universalité des droits et de la démocratie

La présidente de la FIDH continue en expliquant que les islamistes ont développé un rejet et une xénophobie face à l’Occident, du fait du soutien à Ben Ali (et Moubarak, par la même occasion) pendant les années de dictature. L’élite moderniste laïque se voit menacée et critiquée pour tout. « La société est coupée en deux, une véritable lutte des classes se met en place », développe-t-elle. « Laïc est un gros mot pour les islamistes, cela veut dire athée. Ils n’ont pas eu l’apprentissage, la culture de la laïcité, comme en France. Il faut une éducation à l’universalité des droits. » Enfin, « l’humanité a le même destin, » et c’est pour cela que le sort des femmes en Tunisie, en Egypte et dans tous les pays où elles sont en danger, nous concerne tous. Hors, aucune référence à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de l’ONU n’a été faite dans aucun projet de Constitution, sauf celui de l’Association tunisienne des Femmes Démocrates. Elle explique que le problème n’est pas tant celui d’un complot islamiste que celui de l’ignorance profonde des élus. « La démocratie, ça s’apprend, même si ça met du temps, » affirme-t-elle.

Les enjeux sous-jacents à la cause féministe

Ainsi pour Souhayr Belhassen, « les femmes ne sont que la partie visible de l’iceberg : le problème est plus vaste, c’est celui de la société civile et de l’universalité des droits humains, c’est-à-dire des mêmes valeurs à préserver et une solidarité internationale à maintenir ».  Tout l’enjeu est la reconnaissance des droits de l’homme universels et non occidentaux.

Souhayr Belhassen rappelle que la chute des dictatures en Tunisie, en Egypte et en Libye est « quelque chose d’exceptionnel » car les révolutions ont permis de « revisiter le paradigme du monde arabe comme immunisé à la démocratie. » Elle parle même d’une « nouvelle chute du mur de Berlin. » La Tunisie représente un « véritable laboratoire qui contribuera à changer le siècle. Le rôle de la société civile est d’y croire. » Et ce qui est remarquable, c’est que les femmes sont dans la rue, de la Tunisie au Bahreïn notamment, d’où Souhayr Belhassen revenait.

La Tunisie a été pionnière de trois façons différentes : elle est le premier pays à arriver à la phase postrévolutionnaire, à avoir tenu des élections démocratiques et à avoir élu un parti islamiste, Ennahda. Elle est ainsi « l’écho sonore de la révolution », pour reprendre les mots de Victor Hugo cité par Christian Charrière-Bournazel, ancien Bâtonnier du Barreau de Paris et observateur judiciaire pour la FIDH depuis 1981.

Souhayr Belhassen énonce les trois défis auxquels la société tunisienne fait face: le test démocratique (il ne faut pas retomber dans l’autoritarisme que soutiennent les pays du Golf), économique (« le miracle tunisien n’est qu’un mirage ») et la jeunesse, qu’elle illustre par la citation d’Antonio Gramsi, particulièrement appropriée aux phases transitives que connaissent les pays de la révolution de jasmin : « Il y a crise lorsque le monde ancien ne veut pas mourir et que le monde nouveau ne veut pas naître. »

>Revenir au Dossier Spécial 

Quitter la version mobile