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L’argent achètera-t-il la présidentielle américaine?

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L’argent, au cœur de la campagne présidentielle

S’il y a bien un thème qui passionne l’électorat américain, c’est l’argent : qui en a, qui n’en a pas, et comment les gens réussissent à en gagner. Dans la course à la présidentielle de cette année, l’argent pourrait bien devenir le facteur déterminant du résultat.

Si c’était le cas, ce n’est pas une bonne nouvelle pour le candidat démocrate, Barack Obama. Le brillant leveur de fonds de 2008 avait pu refuser l’argent des plus grands contribuables pour sa campagne car il affluait de donations de la part de la classe moyenne. Mais il est désormais coincé dans une lutte avec un opposant qui a fait de l’argent le pilier principal de sa campagne pour la Maison Blanche.

Mitt Romney, le « gros poisson »

Mitt Romney, le candidat républicain pour qui la nomination n’était pas jouée d’avance, est un homme très riche – l’un des plus riches candidats à la présidence que les Etats-Unis ont connu dans leur histoire. Il clame sa réussite haut et fort, disant qu’en effet, sa capacité à créer de l’argent lui apporte un atout considérable pour diriger le pays.

Mais des questions se posent sur la manière dont il a obtenu tout cet argent, ce qu’il en a fait, et comment les lois nationales semblent avantager Romney et les autres « gros poissons ».

Le 12 juillet, le Boston Globe révélait que Romney était resté le directeur général de Bain Capital trois ans plus longtemps qu’il ne l’avait prétendu. Cet article avait provoqué un incendie de critiques, et inspiré la directrice adjointe de campagne d’Obama, Stephanie Cutter, à appeler Romney « le candidat le plus dissimulateur à briguer la présidence depuis Richard Nixon, » rapporte Politico.  

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Des soupçons pèsent sur les finances de Romney

La nouvelle arrive après toute une série d’accusations et rumeurs sur les finances de Romney. Elles ont été mises en avant par une enquête publiée dans le Vanity Fair de ce mois-ci. Un manque de transparence dans sa gestion financière, explique l’auteur Nicholas Shaxson, a rendu l’enquête difficile : entre ses différents comptes à l’étranger, les paradis fiscaux, et quelques pratiques comptables douteuses, Romney aurait pu accumuler, et conserver, sa richesse.

Personne n’accuse Romney d’illégalité, au sens propre du terme. « Romney… est certainement un remarquable acrobate financier, » écrit Shaxson. « Mais une analyse minutieuse de ses affaires financières et économiques révèle aussi un homme qui, comme d’autres titans de Wall Street, n’a pas de scrupules à entrer dans des zones floues. »

Le problème de la législation qui avantagerait les très riches

L’une des choses qui en a gêné beaucoup est la manière que Romney a d’éviter de payer les lourdes taxes auxquelles se plient le reste des Américains. Romney dit lui-même : « Je paye toutes les taxes qui sont requises légalement, pas un dollar de plus. » Donc s’il y a bien une chose qui cloche chez les hommes les plus riches qui ne sont taxés qu’à 15%, c’est la législation.

Mais, à ce propos, Shaxson cite Lee Sheppard, qui contribue à la publication économique Tax Notes : « Lorsque tu te présentes à l’élection présidentielle, il vaut mieux que tu aies l’air de trop payer de taxes, au lieu de courir après chaque astuce pour en payer moins. Ça fait vraiment vulgaire, » dit Sheppard.

Citizens United : la Cour Suprême se corrompt-elle ?

Mais les astuces pour contourner la loi et les failles de la législation ont été monnaie courante dans cette élection. Il suffit de voir la pagaille que sont devenues les finances de campagne.

On a beaucoup parlé notamment de « Citizens United, » la décision de la Cour Suprême fièrement revendiquée – certains diraient tristement célèbre – qui a levé toute limite et régulation sur les dépenses de campagne.

Les entreprises sont désormais, grâce à la loi, considérées comme des personnes, avec les mêmes droits que ceux des individus dans le Premier Amendement. Cela signifie que toute tentative de régulation de leurs dépenses pour des raisons d’activisme politique revient à limiter leur droit d’expression.

Cette décision n’a pas eu beaucoup de succès à gauche. « J’accepterai que les entreprises soient des individus lorsque le Texas en exécutera une, » est devenu l’un des slogans phares des manifestations qui s’opposent à Citizens United.

La Cour Suprême pencherait républicain  

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Ceux qui sont pour ou contre la décision se divisent presque parfaitement selon l’appartenance politique. Les Républicains ont tendance à être en faveur de Citizens United, qui permet aux riches patrons des entreprises de leur verser des montants illimités d’argent. Les Démocrates, qui se reposent plus sur des petits donateurs et des campagnes de porte-à-porte, y sont généralement opposés.

Dans un article analysant Citizens United en profondeur, publié dans le New Yorker il y a quelques mois, l’auteur Jeffrey Toobin, pointe du doigt la motivation du président de la Cour Suprême, John Roberts, dans une rubrique d’opinion. Toobin écrit : « Donc, vu que le président de la Cour a voulu modifier totalement la loi dans ce domaine, la vraie question qui a dû se poser, pour lui, semblerait-il, était à quel point il voulait aider le Parti républicain. La réponse de Roberts a été : beaucoup. »

La rhétorique du patriotisme

Les deux partis du spectre politique utilisent la rhétorique du patriotisme pour justifier leur position.

Les Républicains se cachent derrière les 50 étoiles du drapeau et brandissent la Constitution, donnant presque l’impression que ceux qui veulent empêcher que des flots illimités d’argent s’écoulent dans leurs coffres sont des monstres qui veulent limiter les libertés publiques.

Les Démocrates s’opposent, quant à eux, à « l’achat et la vente de la démocratie, » et soulignent que le processus électoral est en train d’être perverti par les montants non régulés d’argent des entreprises qui inondent le système.

Une décision qui avantage nettement Romney

La campagne de Romney lève plus de fonds en ce moment que celle d’Obama : en juin il a reçu 106 millions de dollars, contre 71 millions pour Obama.

Mais c’est juste la face visible de l’iceberg. Les « Super PACs », comités d’action politique qui soutiennent plusieurs candidats, sont vraiment là où est l’argent – et, selon certaines estimations, les Super PACs des Républicains dépassent ceux des Démocrates avec un ratio d’au moins 1 à 8.

Selon le Centre pour des Politiques Réactives, qui abrite un groupe de recherche dédié à la traque des finances de campagne, les Super PACs conservateurs ont dépensé bien plus que 109 millions de dollars, contre « seulement » 23 millions de dollars pour la gauche.

Les deux comités les plus importants – Restore Our Future, un organisme pro-Romney, et Priorities USA Action, qui soutient Obama – ont levé respectivement 16,5 millions et 14,5 millions de dollars.

La vaste majorité de l’argent venant des Super PACs va aux publicités détractrices qui saturent les ondes radio et usent la patience des électeurs.

Des organisations dites « de protection sociale » servent de façade

Tout aussi étonnant, et peut-être même absurde, sont les organisations de « protection sociale » qui bénéficient d’un statut spécial les exemptant de taxes, et leur permettant de garder leurs listes de donations secrètes.

Le conseiller en stratégie républicain Karl Rove, co-fondateur d’American Crossroads GPS, insiste sur le fait que ces organisations sont légitimes, même louables. « Crossroads GPS est une organisation de protection sociale car elle dépense la plupart de son argent pour satisfaire ses buts d’assistance sociale. C’est un groupe activiste ciblé, » a-t-il expliqué à Fox News. Peut-être que la chaîne pro-républicaine y croit, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Robert Draper, auteur contribuant au magazine du New York Times, a traité le label de « protection sociale » de « ridicule, »  à l’émission de Diane Rehm de mercredi sur NPR. « Tout ce que ces organisations font, c’est faire des publicités détractrices, » a-t-il lancé.

Avec les chiffres de l’emploi, les spots contre Obama s’en donnent à cœur joie

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Crossroads GPS a déjà produit deux spots depuis que le Département du Travail a annoncé vendredi 6 juillet que 80 000 emplois seraient créés en juin.

Le premier, avec le titre « Des excuses, » met la faute sur Obama pour la faible croissance économique du pays ; le second l’accuse d’avoir beaucoup trop dépensé l’argent public.

« Rove and company » ont récemment sorti 2,5 millions de dollars pour une campagne dans le Montana, l’Ohio et la Virginie, faisant la publicité du « New Majority Agenda, » le plan proposé par Romney pour réduire la dette et booster l’économie.

Jonathan Collegio, directeur de communication pour Crossroads GPS, a dit à Diane Rehm de NPR que son but était de lever 300 millions de dollars pour l’organisation en 2012.

Corruption ou non, une impression générale négative

La Cour Suprême a récemment décliné la proposition de reconsidérer sa décision, rejetant ainsi un cas présenté par l’État du Montana.

Le juge Stephen Breyer, qui considérait la décision du Citizens United comme une erreur, a exprimé son opposition dans le cas Montana :« L’expérience du Montana, comme celle d’autres endroits depuis la décision du Citizens United de la Cour, est le contre-exemple de la supposition de la Cour que les dépenses indépendantes ne corrompent pas ou n’en donnent pas l’impression, » écrit-il.

En effet. Cela prendra certainement beaucoup d’années, et de campagnes, pour que des limites rationnelles soient finalement imposées sur la finance de la politique américaine. En attendant, préparez-vous à la pire, et à la plus chère campagne de l’histoire.

Global Post / Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press

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