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L’avenir de l’Etat, selon les Think Tanks français

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Le plaidoyer de Jean-Paul Delevoye pour une métamorphose de l’Etat

Jean-Paul Delevoye, ministre de la Fonction publique, de l’Aménagement du territoire et de la Réforme de l’État sous Jacques Chirac, dans deux gouvernements consécutifs de Jean-Pierre Raffarin, de 2002 à 2004, et désormais président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) depuis le 17 septembre 2010, a ouvert la soirée des think tanks, en  expliquant la nécessité d’envisager de nouvelles pistes pour améliorer le service public.

Pour lui, la démocratie est « le choc des idées », faisant ainsi l’éloge du débat pour confronter les visions des uns et des autres, pour ainsi espérer arriver à une vision commune, qui doit être celle de l’Etat. Et de commencer : « Nous ne sommes pas dans une crise, mais une métamorphose, » dit-il. « La capacité d’anticiper et de réagir à temps va faire toute la différence. »

Dans la révolution numérique qui est la nôtre, explique-t-il, les possibilités sont infinies, et il est important de ré-envisager le rôle de l’Etat à l’heure de la mondialisation.

Réconcilier innovation et information : le challenge du XXIe siècle

Tout l’enjeu est de pouvoir réconcilier innovation et information, acteurs privés et acteurs publics. « Tout le paradoxe de l’innovation est que l’Etat se doit d’être le promoteur des innovations pour le futur, alors que celles-ci impliquent de remettre en cause les structures de l’Etat, » explique Jean-Paul Delevoye. La relation doit être celle d’une confiance réciproque ; confiance en la prise de risque des entrepreneurs, mais aussi confiance en la régulation de l’Etat. Alors que les innovations se produisent dans de petites structures, toute la question qui se pose est de savoir « comment le grand peut protéger le petit, sans remettre en cause son propre pouvoir. »

A l’inverse de l’innovation, on ne manque pas d’information, au contraire. « On est passé de la rareté à l’abondance. » L’enjeu, pour l’Etat, est d’arriver à « récupérer le crédit de la parole publique. » En effet, la confiance est là aussi nécessaire : confiance des citoyens en leur gouvernement, indispensable pour garantir la stabilité de la démocratie. Or, ce que l’on voit se développer, en France et ailleurs, est une méfiance accrue envers les dirigeants politiques. Les 25-40 ans en France ou en Grèce votent souvent contre la démocratie : ils ont voté majoritairement contre l’euro en Grèce, et plus pour le Front National que pour l’UMP en France, lors des élections législatives.

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L’engagement d’Acteurs publics et des think tanks pour la réforme de l’Etat français 

Quel rôle l’Etat doit-il adopter ? Comment doit-il s’adapter aux nouvelles contraintes du XXIe siècle ? Passons en revue les différentes propositions d’Acteurs publics, ainsi que les suggestions des Think Tanks français qui ont participé à la réflexion. 

« Promouvoir les managers »

« Développer le management des hauts potentiels dans la fonction publique, trans-corps, interministériel, en couvrant aussi les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière, en facilitant dans les deux sens les migrations privé-public » (Acteurs publics)

Frédéric Monlouis-Félicité, délégué général de l’Institut de l’entreprise, est d’accord avec la première réforme proposée par Acteurs publics. Il veut voir en France un renforcement du leadership, et la fin du monopole de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) pour former les élites publiques. Pour lui, nous assistons à « une divergence croissante entre élites publiques et élites privées. » Les premières seraient très franco-centrées, représentant la norme ; alors que les secondes seraient beaucoup plus internationales. Il aimerait qu’une vision commune entre les deux soient recrée, pour augmenter l’efficacité et la compétitivité de l’Etat. L’Institut de l’entreprise, organise pour cela un programme pour que 40 jeunes leaders, des secteurs public et privé, soient formés ensemble en France et à travers le monde. Pour Frédéric Monlouis-Félicité, les expériences partagées sont nécessaires à l’élaboration d’une vision commune.

« Une seule fonction publique »

«Fusionner les trois fonctions publiques (État, hospitalière, territoriale) afin de rendre possible une véritable mobilité et de disposer d’une fonction publique de métiers.» (Acteurs publics )

Matthias Fekl, député du Lot-et-Garonne, s’exprime sur la troisième proposition du magazine, au nom de la Fondation Jean Jaurès. Il souhaite créer une grande école pour les trois fonctions publiques, engendrant ainsi un socle commun, et permettant l’adaptabilité et la mutabilité des fonctionnaires, mots d’ordre du service public.

« Le bon échelon de décision »

« Définir, pour chaque activité publique, celles qui doivent être pilotées au niveau local et celles qui doivent être consolidées à l’échelle nationale pour être mises en œuvre de façon performante » (Acteurs publics)

Frédéric Monlouis-Félicité, de l’Institut d’entreprise, commente également la réforme n°3 proposée par Acteurs publics. Pour lui, elle impliquerait décentralisation et subsidiarité. Il faut, selon lui que l’Etat centralisé donne plus d’importance aux projets locaux, et délègue plus de missions aux collectivités territoriales. Selon Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation Ifrap, il s’agirait de « réserver certaines missions à certains échelons. »

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« Compétitivité et transformation de l’Etat »

Selon Frédéric Monlouis-Félicité, de l’Institut d’entreprise, le secteur public gagnerait à s’inspirer des méthodes employées par les entreprises. La compétitivité, signe d’efficacité, ne devrait pas être limitée à la sphère privée, mais devrait aussi se transposer de manière adéquate à la sphère publique. L’Etat peut aussi être géré avec un esprit entrepreneurial, de type schumpetérien (de l’économiste autrichien Joseph Schumpeter, spécialiste de l’innovation).

Selon le conseiller en entreprise, l’Etat du XXIe siècle doit être « translucide, agile et modeste. » Il s’agit donc de transformer et non réformer. « Nous sommes face à une opportunité historique », indique-t-il.

Il propose que l’Etat français s’inspire du modèle de la « Big Society » développé par le premier ministre anglais, David Cameron. Ce dernier prône les valeurs de liberté et responsabilité, impliquant plus les citoyens à l’élaboration de politiques publiques.

 « Déraciner l’élu national »

« Limiter les risques de conflit entre intérêts locaux et nationaux en interdisant, par exemple, le cumul entre un mandat exécutif local et un mandat de parlementaire, entre un mandat exécutif local et des fonctions ministérielles, entre un mandat local et une fonction en cabinet ministériel » (Acteurs publics)

Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, parle d’une « singularité française concernant le cumul des mandats. » En France, 75 % des 577 députés cumulent des mandats. En Suède, ils ne sont que 32% et en Allemagne, 24%. Cette exception française n’est pas normale, selon l’expert, favorable au non-cumul des mandats. Cette mesure accroitrait l’efficacité de l’Assemblée nationale. En effet, une étude aurait prouvé que les députés qui sont aussi des élus locaux sont deux fois moins présents aux séances de l’Assemblée que les députés qui ne cumulent pas de mandats.

Par ailleurs, il pense que la fin du cumul des mandats représenterait une ouverture à la diversité, et permettrait une Assemblée plus représentative de l’hétérogénéité de la population. L’âge moyen du député français aujourd’hui est 54 ans, soit 1 an de moins qu’en 2007, certes, mais toutefois 5 ans de plus qu’en 1981. « Les députés sont trop âgés, monocolores et masculins, » affirme-t-il.  

« Dépenses : tout prendre en compte »

« Placer sous contrôle unique l’ensemble des dépenses publiques (État, Sécurité sociale, collectivités territoriales) et les réformes des administrations publiques. Créer pour cela un Comité des finances publiques où toutes les parties seraient représentées. » (Acteurs publics)

Agnès Verdier-Molinié, de l’Ifrap, suggère que l’Etat s’associe aux collectivités locales, dans un « effort collectif sur la dépense. »

« Une évaluation indépendante de la dépense »

Agnès Verdier-Molinié souhaite aussi que soit créé un comité budgétaire indépendant composé d’experts en tout genre, du même type que le Bureau de la responsabilité budgétaire (OBR) au Royaume-Uni, afin de garantir l’efficacité et la responsabilité des mesures budgétaires prises, et éradiquer leur aspect partisan.

« Pas de nombre d’or pour les fonctionnaires »

Michel Maso, directeur de la fondation Gabriel-Péri, s’oppose à la règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Pour lui, il n’y a pas de nombre d’or pour les fonctionnaires, et il souhaite que les mêmes règles d’embauche et de licenciement s’appliquent au secteur public.

Cependant, réduire le budget de l’Etat ne signifie pas nécessairement une réduction du nombre de fonctionnaires, nous informe Michel Maso. En Allemagne ou aux Pays-Bas, par exemple, le nombre de fonctionnaires a augmenté alors même que l’Etat a entrepris des réformes budgétaires restrictives. Par ailleurs, Agnès Verdier-Molinié montre qu’alors que l’Etat français a supprimé 150 000 postes entre 2007 et 2012, les dépenses publiques ont augmenté de plus de 2 milliards d’euros. Ainsi, la corrélation entre baisse du nombre de fonctionnaires et réduction des dépenses publiques n’est pas nécessairement positive.

Enfin, Michel Maso défend les 3 principes d’or du service public : égalité (dans l’accès à la fonction publique), indépendance et responsabilité (des fonctionnaires). Il parle de « piliers solides pour faire évoluer et moderniser. »

« Pour un grand Open Data »

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Agnès Verdier-Molinié déplore le manque crucial de transparence qui empêche la bonne évaluation du budget par des experts, notamment ceux des think tanks : « on passe le plus clair de notre temps à obtenir les chiffres exacts de la part du gouvernement. » C’est pourquoi l’ouverture des données publiques, ou « open data » est essentielle.

Dominique Reynié, directeur général et chercheur associé au Centre d’études de la vie politique française, parlant au nom de la Fondation pour l’innovation politique, est du même avis. Il faut, selon lui, « adapter le code des marchés publics, étendre l’open data aux textes, pas seulement aux chiffres, donner plus d’autorité à la Plateforme Française d’Ouverture des Données Publiques, ainsi que former les gens à l’ouverture des données. »

« Une amélioration continue du service public »

« Faire de l’optimisation du ratio entre les agents au service direct de l’usager (front-office) et les activités de support (back-office) un objectif d’amélioration continue, en le documentant par des «benchmarks » et en l’incarnant dans des tableaux de bord. » (Acteurs publics)

Thomas Chalumeau, de la fondation Terra Nova, s’exprime à ce sujet. Il faut à la fois améliorer le service aux usagers, et sa performance. L’Etat-Providence ne fonctionne plus. La réforme de l’Etat doit passer par une « ré articulation de l’Etat, les agences et les collectivités territoriales. » Mais il prévient que l’on « ne peut pas réformer l’Etat contre les fonctionnaires. » Ainsi, pour qu’une réforme soit efficace, elle doit être élaborée aussi dans les intérêts des fonctionnaires. Il dénombre quatre leviers indispensables : simplifier l’organisation, augmenter la mobilité des fonctionnaires, améliorer la fonction achat (qui sert à diminuer les coûts) et enfin, intéresser les fonctionnaires eux-mêmes à la réforme de l’Etat.

« Des mesures ponctuelles à inscrire dans un objectif plus global »

Pour Gérard Dussillol, expert associé à l’Institut Thomas More, les mesures ponctuelles proposées par Acteurs publics, et commentées par les autres Think Tanks, sont très importantes, mais elles doivent être faites à la lumière d’un objectif premier : réduire les dépenses de la France de 100 à 200 milliards d’euros par an. 56% des dépenses de la France sont des dépenses publiques, et la France est l’un des quatre pays de l’UE à devoir 70% de sa dette à des prêteurs étrangers, avec l’Espagne, l’Italie et la Grèce, souvent montrés du doigt. Par ailleurs, elle a un « sur-chômage » de 40% par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE (40% de chômage en plus que les autres pays), et ce depuis une dizaine d’années, ce qui montre que le problème est réellement structurel. L’expert parle d’une « injustice sociale », d’un réel fléau trop souvent banalisé, ou rendu tabou. En 2009, les entreprises françaises devaient payer 150 milliards d’impôts en plus que les entreprises allemandes, ce qui est excessif. La priorité doit donc être à la réduction intelligente des dépenses publiques. Augmenter les dépenses serait donc irresponsable et dangereux…

« Bien-être et performance »

On connaît les critères de performance chers au professeur Joseph E. Stiglitz, qui avait jeté les bases d’une mesure du bonheur dans les critères d’évaluation économique et sociale. Le bonheur ou bien-être est aussi un aspect de ce nouveau champ d’épanouissement des acteurs d’une fonction publique, devant s’adapter à de considérables transformations sociétales, autant qu’économiques. Un sujet qui montre combien les solutions ne seront jamais que financières. Comme l’a rappelé le président Jean-Paul Delevoye« Nous allons entrer dans une phase de croissance systématiquement inférieure à 1, ou 1,5%, » , « la question du bien-être se pose également, ou plutôt celle du rôle de l’Etat, pas seulement comptable. » 

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