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Le combat juridique des féministes tunisiennes

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L’urgence d’agir

Le temps presse. Dans trois mois, la nouvelle Constitution tunisienne sera rédigée et les femmes craignent une régression dans leurs droits. A cette occasion, l’Ordre des Avocats du Barreau de Paris et l’Association Française des Femmes Juristes ont organisé le premier colloque franco-tunisien dédié aux droits des femmes, afin de partager leur expertise pour comprendre les enjeux décisifs de la rédaction de cette Constitution, en partenariat avec de nombreuses associations féministes et humanitaires françaises et tunisiennes et de médias tels que le International Herald Tribune, BFM TV , Slate Afrique, et sous le parrainage de Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH).

Quatre tables rondes ont traité de thèmes aussi différents que le constitutionalisme, le statut des personnes, le rôle des associations féministes, et de la presse face à la géopolitique de la région, autour de personnalités renommées et toutes impliquées à leur manière dans ce combat.

Najat Vallaud-Belkacem, la ministre française des Droits des femmes, d’origine marocaine, n’a pas pu être présente mais a tenu à apporter son soutien aux femmes tunisiennes et à féliciter les organisateurs du colloque. Dans une lettre, lue en début de colloque elle a insisté sur le fait que la femme tunisienne était un « modèle porteur d’espoir pour toutes les femmes du monde arabe ». Mais, malheureusement, elle a constaté que les droits ne sont jamais acquis une bonne fois pour toutes, et qu’il faut toujours rester vigilant et empêcher des retours en arrière. En France avec des salaires des femmes 27% inférieurs à ceux des hommes, les droits des femmes sont encore perfectibles. La lettre s’est achevée sur l’enjeu de la lutte des femmes tunisiennes : « Les droits des femmes ne sont pas un luxe ou quelque chose qui serait à envisager plus tard », a conclu la ministre.

Par ailleurs, Marie-Jeanne Campana, ancienne doyenne de la faculté de droit de Paris X – Nanterre, a souhaité que l’on intègre le terme de « droits de la personne » au lieu de « droits de l’homme », qui maintient l’ambiguïté autour des femmes et favorise « l’asymétrie entre droits des femmes et droits des hommes », pour reprendre ses mots.

Le droit des femmes dans la Constitution

Le parti islamiste tunisien Ennahda a renoncé à mettre la référence à la charia – la loi dite de Dieu – dans le premier article de la Constitution. Dans la Constitution tunisienne – comme dans toutes celles des pays du Moyen-Orient -, l’Islam est décrite comme étant « la religion d’Etat », mais les interprétations sur ce que cela implique peuvent varier. « Faut-il le prendre pour sa valeur symbolique ou au sens littéral ? » se demande Marie-Jeanne Campana. Pour Anne Levade, professeur de droit public à l’Université Paris Est–Créteil Val de Marne (Paris XII) et secrétaire général de l’Association Française de Droit Constitutionnel, « La Constitution, sans réel enjeu sociétal derrière, n’est qu’un bout de papier. » Autrement dit, la Constitution s’interprète en fonction du projet sociétal des élus. Elle ne constitue donc qu’un cadre établi, qui doit être suffisamment large pour justement laisser une marge d’action au gouvernement.

Jaouida Guiga, magistrate de carrière tunisienne, consultante juridique internationale et membre de l’association Women and leadership, parle de la place de la femme dans les institutions tunisiennes : « La Tunisie est le seul pays arabe ou musulman à avoir institué le droit de la femme dans la Constitution ». Sous Bourguiba, le droit à la contrainte matrimoniale et la polygamie avaient été abolis. Le droit au divorce et à l’héritage complet, le droit de mariage à un non-musulman ou étranger, le droit d’adoption ont été établis. Pleine de dynamisme et d’enthousiasme, Guiga s’exclame : « Alors vous voyez pourquoi on ne veut pas laisser tout ça, pourquoi nous, les femmes tunisiennes, on est dans l’action ! » Les membres de Women and leadership travaillent à la rédaction d’une autre Constitution, et ont créé pour cela une constituante parallèle se réunissant mensuellement depuis le 1er janvier 2012. Leurs propositions sont transmises régulièrement à la constituante nationale, mais les femmes n’ont pas eu encore de retour. Elles ne baissent pas les bras et vont amplifier la pression sur l’Assemblée Constituante.

Le statut des femmes menacé par la charia

Selon Anne Levade, le problème qui se pose dans toute transition politique, c’est le phénomène de « la page blanche ». Lorsqu’un gouvernement décide de faire table rase du passé, comme Ennhada souhaite le faire, les acquis du passé sont balayés en même temps que le reste. La loi de 1959 qui protège le statut personnel de la femme est donc tout particulièrement menacée par la possibilité d’une charia déguisée ou explicite.

Nawel Gafsia, avocate au Barreau de Créteil, explique que « la charia n’existe pas en tant que bloc monolithique ». On peut dire qu’elle est née avec le Coran, et que c’est sous la période coloniale que l’interprétation de la charia s’est figée. Mais encore aujourd’hui, il n’y a pas de consensus. Selon elle, il est absurde de vouloir s’en servir comme Constitution. « Par exemple, dans le Coran, il est dit explicitement que la femme est une « personne », « entité distincte », un « être humain à part entière », ayant le droit à l’ « éducation » et à la « dignité », explique-t-elle. Il semble donc évident que tout dépend des interprétations, et donc du législateur humain, pas de Dieu. »

La lutte continue

Le vice-président d’Amnesty International, Francis Perrin, s’est exprimé à son tour, rappelant le rôle de son organisation qui ne cesse de dénoncer les crimes contre l’humanité, et demande la libération immédiate des prisonniers de conscience, en Tunisie notamment. En effet, pour une caricature du prophète Mahomet sur Facebook, un jeune tunisien vient d’être condamné à 7 ans de prison par la Cour d’Appel de Monastir. Un signe que la justice tunisienne commence elle aussi à régresser… Amnesty continue à lutter pour que les notions fondamentales de la liberté d’opinion et d’expression soient respectées par les autorités. Sa stratégie en Tunisie est la suivante : la vigilance, les contributions positives, le renforcement des contacts avec les ONG et la société civile locales et enfin la présence durable d’Amnesty International sur le terrain. Pour lui il est essentiel de dénoncer mais aussi de négocier

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« Le moteur de l’histoire, c’est le désir de la liberté », affirme Wassyla Tamzali, ancienne directrice des droits des femmes à l’UNESCO. « Heureux signifie libre », poursuit-elle, reprenant la citation d’Albert Camus, « Il faut imaginer Sisyphe heureux » (Le Mythe de Sisyphe, 1942). Ainsi, Albert Camus, qui fut très engagé dans la Seconde Guerre mondiale puis en Algérie, voulait montrer que, dans un monde absurde, seule la révolte était possible, et que le bonheur venait de cette révolte, de l’accomplissement de la tâche. Pour Wassyla Tamzali, il est l’exemple même d’un engagement passionné et conscient de lui-même.

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