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Le FMI pourrait-il lâcher l’Europe ?

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Peter Doyle, chef de la division pour la Suède, le Danemark et Israël au sein du département européen du FMI, a quitté l’institution avec grand fracas. Par une lettre de démission datée du 18 juin que CNN s’est procurée, il met en cause l’ « incompétence » et le « parti pris européen » du Fonds Monétaire International. L’économiste semble regretter le fait que le directeur du FMI soit toujours un Européen, ce qui ne laisserait que trop peu de place aux représentants des pays émergeants.

[image:3,s] Si les directeurs du FMI ne sont pas épargnés, Christine Lagarde en prend aussi pour son grade : « Ni sa féminité, ni son élan, ni son intégrité n’ont effacé l’illégitimité fondamentale du processus de désignation », dénonce Peter Doyle dans sa lettre.

A partir de ce constat, plusieurs questions se posent : le FMI est-il tenté d’aider davantage les pays européens ? Le fait que Christine Lagarde soit Française influence-t-il ses décisions ? Les pays émergeants sont-ils vraiment mis de côté ? 

Après 20 ans passés au FMI, le Britannique semble avoir lancé un pavé dans la mare et pourtant… Selon, Dominique Carreau, professeur émérite de droit international économique, si Peter Doyle a dit tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, il semble que ses accusations fassent un faux procès au FMI et que la grande révolution dans la gouvernance du Fonds ne soit pas prête de voir le jour.

JOL Press : Les reproches de Peter Doyle sont-ils fondés ?

Dominique Carreau : Il est vrai que le Fonds Monétaire International a une emprise européenne forte, mais cela ne date pas d’hier. Depuis les accords de Bretton Woods (1944), il a été convenu, de manière tout à fait implicite, que la Banque mondiale serait l’apanage des Américains et que le FMI serait en quelque sorte la « chasse-gardée » des Européens. Cependant au fil des ans, des récriminations se sont fait entendre. Quand Dominique Strauss-Kahn est arrivé au pouvoir, nombreux ont été ceux qui souhaitaient qu’il soit le dernier Européen à la tête de l’Institution. Mais son départ brutal, a propulsé Christine Lagarde à sa place sans que sa nomination ni sa légitimité ne soient contestées. Très consciente de ces récriminations, ce n’est pas un hasard si elle a décidé de nommer le Chinois Zhu Min, ancien  vice-gouverneur de la Banque populaire de Chine, pour occuper le poste de directeur général adjoint du FMI.

JOL Press : Quelle est la position des pays émergents ?

Dominique Carreau : Si la grande crise qui secoue actuellement les marchés est la crise de l’euro, ce n’est pas le fait de l’ancienne ministre des Finances. Et c’est par conséquent tout naturel que le FMI soutienne les pays membres de l’Union.

Je pense que les pays émergents qui exprimaient leurs désaccords hier, se taisent aujourd’hui, car ils savent que si la zone euro tombe, les conséquences pourraient être désastreuses. A l’origine, le FMI aidait principalement les pays en voie de développement. Mais une crise en Russie n’a pas le même impact qu’une crise qui ébranle la zone euro. Les sommes qui sont alors en jeu peuvent atteindre des milliers de milliards.

JOL Press : Christine Lagarde n’a donc pas mis en place une politique de « parti pris européen » ?

Dominique Carreau : La directrice du Fonds Monétaire International gère très bien sa fonction. Elle ne sert pas les intérêts de l’Europe en particulier et quand bien même elle le désirerait, elle ne le pourrait pas. Au FMI, tout est une question de consensus, toute décision est collective. Peter Doyle lui a fait un faux procès. La crise se situe aujourd’hui en Europe. Qu’elle soit Européenne ou non, ne change rien dans les faits.

JOL Press : Selon vous, le FMI ne lâchera donc jamais l’Europe ?

Dominique Carreau : Il est inenvisageable que le FMI lâche un jour l’Union européenne. Personne n’a intérêt à ne pas soutenir la zone euro. Les Américains eux-mêmes ne le souhaitent pas. Certes, ils ne veulent pas d’une Europe très puissante, mais si celle-ci venait à s’écrouler, ce n’est pas que le secteur privé qui serait touché, c’est directement le contribuable. Et personne ne le souhaite. Ce qui est discuté, ce sont les mesures que les Européens doivent prendre et la manière de les appliquer.

Seulement pour que les pays membres soient en mesure d’accepter l’aide du FMI, ils doivent être capables de se restructurer et de faire des efforts en encourageant les privatisations, en réduisant le nombre de fonctionnaires ou en obtenant des impôts… Ce qui n’est plus le cas en Grèce… Le FMI encouragera à toujours plus de baisse de dépenses. C’est certes très impopulaire mais avons-nous vraiment le choix ?

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Biographie :

Dominique Carreau est professeur émérite de droit international économique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Le Fonds monétaire international : FMI (Pedone, 2009).

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