Site icon La Revue Internationale

Les mineurs espagnols prennent le maquis

entree_mine.jpgentree_mine.jpg

[image:1,l]

Enterrés vivants

A Langreo, dans les Asturies, 14 hommes sont enfermés depuis plus de 40 jours dans de sombres abysses, à trois kilomètres sous terre. Mais ils ne sont pas piégés, loin de là. Au contraire, ces mineurs se sont volontairement enfermés dans les profondeurs des mines pour protester contre les coupes budgétaires massives du gouvernement dans le secteur minier.

Dario Martinez, 30 ans, vit ainsi depuis plus d’un mois dans la pénombre du puits de Candin, dans un espace d’à peine 25m². La température est de 25°C, mais le taux d’humidité (entre 80 et 100%) et la poussière rendent les conditions de vie très difficiles. A cela, il faut ajouter l’absence de sanitaires et de lits dignes de ce nom. A sa femme qui s’inquiète, Dario répond qu’il « fait ça pour [leur] fils. » Elle, craint que son mari tombe malade avant que le gouvernement ne cède, s’il cède un jour, car ces hommes refusent de remonter tant que celui-ci ne trouve pas de solution

Un secteur minier moribond ?

Mais les Martinez ne sont les seuls à se soucier de l’avenir. A travers l’Espagne, près de 10 000 familles craignent de ne plus pouvoir nourrir leurs enfants. L’ensemble du secteur minier est en grève depuis le 28 mai dernier, en réponse à l’intention du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy de réduire les subventions qui lui sont allouées de 63%. C’est la plus forte coupe du programme de réduction des dépenses publiques.

Sans aide publique, l’industrie minière et les villages qui en dépendent sont voués à disparaître, et rapidement qui plus est. L’extraction du charbon en Espagne est un secteur déficitaire qui est publiquement subventionné depuis plus d’un siècle. Elle était traditionnellement considérée comme une industrie stratégique, le charbon étant la seule ressource locale dans un pays souffrant d’une dépendance énergétique de 81,7% (30 points au-dessus de la moyenne de l’UE).

Avec la modernisation économique et les changements dans l’industrie espagnole qui ont eu lieu dans les années 1980, le secteur minier est devenu moins important. Le nombre de mineurs a diminué de 90% au cours des 20 dernières années. Malgré cela, le secteur est essentiel pour la survie de certaines villes comme Langreo, qui est presque entièrement dépendante de l’extraction du charbon, et donc des subventions qui lui sont attribuées.

[image:2,l]

Une coupe budgétaire radicale

En 2010, le gouvernement de José Luis Zapatero avait décidé d’une réduction de 10% de ces subventions, mais ses successeurs conservateurs ont rajouté leur grain de sel en multipliant par 6 ces coupes. Au total, ce sont 200 millions d’euros qui vont échapper au secteur minier.

Le gouvernement considère que ces coupes sont nécessaires étant donné que l’Union Européenne exige de l’Espagne une réduction de son déficit public de 6% d’ici la fin de l’année. Avec un taux de chômage proche des 25%, l’Espagne, qui a récemment demandé un plan de sauvetage bancaire de l’ordre de 62 milliards d’euros, a l’une des économies les plus en difficulté d’Europe. Mais pour les mineurs, un deal est un deal.

« Tout ce que nous demandons, c’est que le gouvernement respecte les engagements qui avaient été pris (en 2010). Ceux-ci avaient été approuvés par l’UE, et par toutes les parties concernées. » déclare Manuel Robles, représentant du syndicat UGT pour le puits de Candin. Les mineurs sont selon lui prêts à accepter des coupes, mais pas d’une telle ampleur.

Les mineurs considèrent que ce sont leurs collègues enfermés sous terre qui sont leur meilleur atout. Pourtant, ce sont leurs actions « armées » qui sont le plus médiatisées.

La guérilla des mineurs asturiens

Dans le ciel bleu des bucoliques Asturies, on peut distinguer d’épais panaches de fumée noire. Presque tous les jours, les mineurs bloquent routes, autoroutes et voies ferrées en brûlant des amas de pneus. Les policiers les traquent dans les forêts, mais ces maquisards d’un nouveau genre ne se laissent pas prendre sans combattre.

Manuel Robles précise d’emblée : « Nous n’attaquons personne, nous ne faisons que défendre nos emplois et l’avenir de nos enfants. »

Mercredi dernier, 200 mineurs se sont battus quatre heures durant avec les escadrons anti-émeutes de la police, que ce soit dans les collines ou sur les routes de cette région montagneuse. Deux mineurs, qui ont tenu a resté anonymes, ont confié à Global Post qu’ils utilisaient des techniques de guérilla.

[image:5,l]

Cachés dans la forêt, ils sont équipés de petits mortiers artisanaux, qui peuvent tirer des balles de golf, des pétards ou encore du poivre de Cayenne. Les images de ces violents combats dans les forêts des Asturies ont été diffusées partout dans le monde, ce qui n’aide pas l’Espagne sur les marchés internationaux.

C’est que les solutions adoptées pour sauver un secteur laissent en général beaucoup d’amertume dans un autre. Le cas du secteur minier ne fait pas figure d’exception.

« Le gouvernement ne trouve pas 200 millions pour nous maintenir à flots, mais curieusement, il arrive à dénicher 23 milliards pour sauver Bankia (la quatrième banque espagnlole, NDLR) », ironise ainsi Manuel Robles.

La difficile reconversion du secteur minier

Et pour les analystes, ces coupes auront inévitablement des conséquences dramatiques. Ainsi, Jose Maria Blanco, professeur de sociologie à l’Université d’Oviedo, dans les Asturies et spécialiste des questions de déclin et de transformations des grandes zones industrielles, nous livre son analyse : « Cette coupe budgétaire revient à une condamnation à mort des régions concernées. »

Il insiste ensuite sur les échecs gouvernementaux en matière de reconversion des industries et travailleurs miniers. Ces 20 dernières années, le gouvernement a dépensé des centaines de millions d’euros dans des plans de reconversion qui ont tous échoué. Avec comme conséquence la perpétuation des subventions à ce secteur moribond.

« La majeure partie des entreprises crées et subventionnées [dans une optique de reconversion] ont fait faillite », constate le professeur. Il met en cause le manque de sérieux et d’implication des gouvernements successifs, qui ne se sont pas suffisamment souciés selon lui de la viabilité des programmes dans lesquels ils investissaient.

La mise à mort d’un secteur d’avenir

Mais le timing de ces coupes fait également débat. Le but des subventions est de maintenir le charbon espagnol à des prix suffisamment bas pour concurrencer la production sud-africaine, colombienne ou encore indonésienne.

Or, avec la hausse de la demande liée au développement des puissances émergentes, le prix du charbon a considérablement augmenté, rendant de fait le charbon espagnol subventionné 15% moins cher que celui de la concurrence étrangère, en comptant l’extraction et le transport. Un possible vecteur de développement pour cette industrie peut-être pas si agonisante que cela. Mais l’Union Européenne a de son côté décidé d’interdire au pays-membres de subventionner leurs mines à partir de 2018. L’heure est à l’énergie verte.

[image:3,l]

Un très mauvais choix stratégique pour Mercedes Martin, directrice générale de Carbunion, l’entreprise qui chapeaute la plupart des mines espagnoles. Pour elle, on ne « peut pas se reposer entièrement sur les énergies renouvelables », car celles-ci subissent des contraintes que ne connaissent pas les centrales thermiques à charbon, en matière de temps (vents, soleil, etc…).

D’autant plus que l’Agence Internationale de l’Energie estime que la consommation de charbon va augmenter de 65% dans les prochaines décennies. Un facteur que l’Espagne ne semble pas vouloir prendre en compte. Au contraire de l’Allemagne, qui envisage de son côté la réouverture de certaines de ses mines. Enfin, les réserves espagnoles sont suffisantes pour durer plus d’un siècle, soit bien plus longtemps que les réserves mondiales de gaz et de pétrole, qui seront au rythme actuel épuisées d’ici quelques décennies.

Une épine de charbon dans le pied des conservateurs

Mercedes Martin ajoute que, anticipant le montant des subventions du gouvernement jusqu’en 2018, le secteur minier avait massivement investit pour fonctionner de manière auto-suffisante à cette date. Et que, si le projet du gouvernement de Mariano Rajoy passe, les entreprises ne seront pas en mesure de rembourser leurs emprunts et devront mettre presque immédiatement la clé sous la porte.

« La situation est telle que je ne comprends même pas ce qui motive ces coupes », nous admet-elle, dépitée.

Les mineurs ont en tous cas une réponse claire à cette question : « Nous représentons le dernier bastion d’une classe sociale très bien organisée» , nous déclare ainsi Lisardo Suarez, un mineur de 18 ans du puits de Maria Luisa à Ciano.

D’autres ajoutent que les mineurs ont longtemps été des leaders des révoltes.

« Nous avons été le fer de lance du mouvement ouvrier tout au long du XXe siècle, les quelques soulèvements ouvriers [sous Franco], c’est nous qui les avons lancés », ajoute Manuel Robles.

[image:4,l]

En 1962, en pleine dictature, les mineurs de charbon ont entamé une grève afin d’obtenir de meilleurs salaires et d’attirer l’attention sur la situation en matière de droit du travail. Le mouvement s’est répandu dans le pays et a provoqué beaucoup de manifestations de soutien à l’étranger.

Pour les mineurs, le gouvernement a peur que le même scénario ne se répète dans une Espagne appauvrie et socialement fragilisée.

Une « contagion révolutionnaire » ?

Jose Maria Blanco est d’accord avec cette hypothèse : « Je pense que, derrière les intérêts budgétaires de cette coupe, il y a surtout de la politique. Les conservateurs voient là une opportunité d’aller de l’avant grâce à cette coupe à l’encontre de tout un ensemble politique et social qui leur est hostile. » En bref, le gouvernement chercherait à se débarrasser de l’encombrante « classe sociale » que sont les mineurs de charbon, historiquement de gauche et syndiqués à près de 100%.

« Ils ont une très forte capacité à mobiliser les gens socialement et politiquement, et qui leur a donné un énorme pouvoir de pression sur les gouvernements », nous explique l’universitaire. « C’est ce qui a gardé cette industrie, qui perd pourtant beaucoup d’argent, en vie tout ce temps. »

Afin d’inspirer les autres travailleurs, les mineurs se battent pour leur emploi sur un autre front. Depuis fin juin, environ 200 hommes marchent vers Madrid, bien décidés à couvrir les 450 kilomètres qui séparent leurs mines de la capitale. Vêtus de leurs casques et uniformes, ils sont chaleureusement et massivement accueillis dans les villages qu’ils traversent, et encouragés par les klaxons des automobilistes qui les croisent sur les routes nationales.

« On inspire les gens, ils se rendent bien compte que tout cela va au-delà du secteur minier », nous déclare un manifestant. « Ils réalisent qu’ils devraient faire la même chose que nous, avoir notre force et notre détermination. »

Le 11 Juillet, des milliers de mineurs venus de tous les coins de l’Espagne rejoindront les 200 marcheurs pour une manifestation devant le Ministère de l’Industrie. Manuel Robles, déterminé, dit qu’ils ne quitteront l’endroit qu’une fois que le gouvernement aura reculé.

[image:6,l]

Du côté du gouvernement, on refuse de toucher au budget de 2012. Le ministre de l’Industrie a déclaré qu’il était prêt à ouvrir des négociations pour la période 2013-2018, mais pas pour l’année en cours.

Les mineurs ne se satisfont pas de cette position. Manuel Robles conclut : « Nous nous devons de préserver notre présent, faute que quoi nous compromettons notre futur. »

> Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

Quitter la version mobile