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L’étau du populisme se resserre en Argentine

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Finies les transactions et épargnes en dollars

BUENOS AIRES, Argentine – Anibal Fernandez, l’ancien chef de gouvernement argentin, a été pris à court, lorsque la présidente Cristina Fernandez de Kirchner s’est directement adressée à lui lors d’un récent discours, l’ordonnant de convertir ses économies du dollar au peso.

Quelques jours auparavant, M. Fernandez avait défendu de nouvelles restrictions sur l’achat de devises américaines et avait invité les argentins à commencer à « penser en pesos. »

Mais il a ensuite été pris à son propre piège lorsqu’il a avoué dans une interview à la radio qu’il épargnait en dollars. Au moment où le journaliste lui demandait pourquoi, il n’a rien trouvé de mieux à répondre que : « Parce que j’en ai envie, » et ensuite, « Je fais ce que je veux avec mon argent. »

La « dé-dollarisation » et ses impacts sur le commerce extérieur

Le dollar est une monnaie légale en Argentine, et est la devise préférée pour les transactions immobilières. De nombreux argentins épargnent aussi en dollar, parce qu’ils voient en la monnaie américaine une valeur de stabilité par rapport à leur peso, aux fluctuations instables par le passé.

Mais le 6 juillet dernier, la Banque centrale du pays a annoncé qu’elle interdirait l’achat de propriétés et l’épargne en dollars.

Les contrôles sur l’utilisation de devises étrangères ne sont pas la première mesure interventionniste de la présidente argentine. Cette dernière avait notamment fait parler d’elle avec ses restrictions sur les importations et la nationalisation d’YPF, la plus grande compagnie pétrolière d’Argentine, en avril dernier – des mesures qui ont créé un mouvement d’inquiétudes mêlé de colère chez les investisseurs et gouvernements étrangers.

Aujourd’hui, certains Argentins craignent que leur économie ne se renferme dans le peso – ce qu’ils appellent déjà la « pesification » ou « dé-dollarisation. »

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L’Etat argentin de plus en plus interventionniste

Axel Kicillof, député et ministre de l’économie, de plus en plus proche de la Présidente, a nié que quelque chose de la sorte se prépare. Mais les mesures récentes indiquent le contraire.

Ce mois-ci, le gouvernement a introduit des contrôles qui obligent les Argentins à prévenir l’agence de taxe fédérale, l’AFIP, lorsqu’ils voyagent à l’étranger. Ils doivent rendre compte du montant exact de devises étrangères achetées pour le voyage, ainsi que d’autres détails.

En octobre dernier, l’administration Fernandez de Kirchner a imposé des contrôles drastiques sur les échanges avec l’étranger. Les gens ou les entreprises souhaitant acheter des dollars sont désormais suivis de près par l’agence fiscale, qui leur refuse de nombreuses requêtes.

Manuel Jimenez, barman à Buenos Aires, a caché des dollars sous son matelas. « Je ne les changerai pas en pesos, » dit-il. « Je m’accroche à eux car c’est peut-être la dernière fois que je pourrai y avoir accès. »

Des excuses officielles peu crédibles

Le gouvernement dit que les restrictions sont nécessaires pour combattre le blanchiment d’argent et arrêter la fuite de capitaux.

L’Argentine a perdu environ 30 milliards de dollars en fuite de capital l’année dernière, selon les chiffres de la Banque de Buenos Aires.

Mais Leandro Bullor, professeur d’histoire économique à l’Université de Buenos Aires, a expliqué à Global Post – JOL Press que la présidente a surtout besoin de remplumer les réserves de dollars car elle doit rembourser une dette de 2,2 milliards de dollars en août.

La spirale de l’inflation et de la dévaluation

L’inflation, que des économistes indépendants élèvent à 25%, est un autre problème que le gouvernement doit affronter.

« En termes d’inflation, l’Argentine est comme un alcoolique repenti, » compare Alberto Fernandez, un autre ancien chef de gouvernement, dans un grand quotidien de Buenos Aires. « Mais on n’a jamais eu un tel problème avec le dollar. Cristina a trop puisé dans les ressources. » (Il faisait ainsi référence à la présidente, que les argentins appellent souvent par son prénom ou son nom d’épouse, Kirchner, de son défunt mari et prédécesseur, Nestor Kirchner.)

La présidente a annoncé vouloir convertir ses économies en pesos, prétextant que c’est plus rentable ainsi. Mais il lui en faudra plus que cela pour convaincre les Argentins, qui se méfient du peso après avoir subi les effets de crises économiques lourdes, de l’inflation et de dévaluations successives.  

Le marché informel des devises foisonne de convertisseurs d’argent dans le cœur de la capitale, offrant 6 pesos pour un dollar. Le taux officiel d’environ 4,50 « ne pourra durer plus longtemps, » affirme Bullor, qui assure que la dévaluation est en marche.

Les protestations de « casserole »  résonnent 

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Les restrictions sur le dollar ont donné lieu à une série de « cacerolazos, » des manifestations de « casserole » où les manifestants font claquer des casseroles et des poêles dans la rue.

Cette expression de colère propre à l’Argentine était devenue célèbre au moment de l’effondrement financier de 2001, mais cela remonte au début des années 1970, à la frontière du Chili, où étaient apparus de telles agitations contre le gouvernement socialiste de Salvador Allende. Les cacerolazos se sont aussi propagés en Espagne et, plus récemment, au Québec.

Lucho Bugallo, un organisateur des récentes manifestations en Argentine, affirme que 7 000 personnes se sont rassemblées à la mi-juin dans les quartiers chics de Buenos Aires, avant de défiler devant le palais présidentiel. Les médias locaux, cependant, en ont dénombré beaucoup moins.

En plus des problèmes économiques, corruption et atteinte à la liberté d’expression

Les contestations sont initiées par la classe moyenne argentine. Les manifestants se sont d’abord opposés à la Présidente en l’accusant de corruption – dont un scandale qui implique aussi le Vice-président – et de mauvaise gestion en raison du le taux d’inflation qui ne cesse d’augmenter, et face auquel le gouvernement n’agit pas.

Brandissant des pancartes sur lesquelles on peut lire « On a le droit de penser différemment » , ils accusent aussi la présidente Fernandez de Kirchner d’essayer de contrôler la presse et affirment que la violence a augmenté dans la rue.

« On en a marre d’une opposition qui croise les bras et ne fait rien, » se plaint Bugallo, le fondateur du site Argentina Contra K (l’Argentine contre Kirchner). « La rue est un lieu dans lequel on peut s’unir. »

Cristina Fernandez de Kirchner reste populaire

Bugallo prétend aussi que les manifestations – coordonnées grâce aux réseaux sociaux – ont plus de légitimité que les rassemblements de foule orchestrés par les mouvements politiques en phase avec le gouvernement.

En mai, environ 30 000 personnes célébraient la décision du Congrès de passer la loi sur l’expropriation de la compagnie pétrolière YPF qui appartenait à Repsol, le géant espagnol de l’énergie.

« Les groupes kirchnéristes ont des airs de fanatisme et bénéficient d’énormes structures organisationnelles pour encourager les membres à se rassembler, » nous explique Bugallo. « Mais les gens rejoignent les cacerolazos de leur plein gré. »

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Néo-Keynésianisme contre néo-Libéralisme

La présidente poursuit une politique d’intégration sociale et d’intervention de l’Etat d’inspiration néo-keynésienne, selon des analystes.

« Les manifestants rêvent d’un retour aux politiques néo-libérales des années 1990, » poursuit Bullor, l’historien économique.

Les récentes cacerolazos sont bien moins importantes que celles de 2008, suscités par la loi pour augmenter la taxe d’exportation des fermiers. Mais ils canalisent le mécontentement face au populisme de Fernandez de Kirchner, depuis qu’elle a été réélue avec 54% des voix en octobre dernier. Sa cote de popularité a chuté, passant de 63% à seulement 39%, selon des sondages.

Un nationalisme aux dépens de la démocratie

Alors que les classes défavorisées continuent à la soutenir, les autres considèrent la nationalisation de YPF – par décret présidentiel – comme anti-démocratique. Les opposants affirment que ses politiques sociales, comme l’allocation universelle pour les enfants, relèvent d’une vision court-termiste.

Les restrictions sur les importations sont critiquées par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Les pays de l’UE ont pris des mesures pour imposer des sanctions économiques au pays.

Fernandez de Kirchner a aussi renouvelé sa volonté de récupérer les Iles Malouines, à moins de 500 km de la côte argentine de Patagonie, mais contrôlées par le Royaume-Uni. Ses revendications sur les Malouines ont engendré une véritable guerre rhétorique avec les habitants de l’île et le Royaume-Uni, 30 ans après que Margaret Thatcher et ses troupes aient repoussé l’invasion de l’île par la junte argentine. Les détracteurs affirment que la nouvelle tentative de main mise sur les Malouines s’inscrit dans une volonté de rebooster l’ego national et attirer l’attention loin des problèmes économiques.

L’Argentine sur les traces de Hugo Chavez ?

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Ils font aussi des comparaisons avec le Venezuela, qui subit aussi une forte inflation. Le président vénézuélien Hugo Chavez a nationalisé l’industrie, utilise une stratégie économique protectionniste, investit énormément sur des programmes sociaux pour les pauvres – et a mis en place des restrictions sur le dollar.

El Cronista, un quotidien économique critique du gouvernement argentin, a publié un récent article, avec en une : « Argenzuela. »

« Comme au Venezuela, la politique économique de l’Argentine est déjà en train d’effrayer les investisseurs, » craint l’analyste politique Jorge Castro. « Et elle risque désormais d’affaiblir tout le pays. »

Global Post / Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press

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