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PSA : pourquoi le politique doit mieux comprendre l’économique

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Depuis l’annonce du plan de licenciement de PSA, les hommes politiques chargés de participer au sauvetage de ce fleuron de l’industrie française mettent un grand soin à attaquer les choix stratégiques de l’entreprise familiale. Pour Ghyslaine Pierrat , « spin doctor » et auteur de La communication n’est pas un jeu, la France doit apprendre à renouer avec sa tradition industrielle si elle veut redresser l’économie française.

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Chaque jour, les gouvernances évoluent sous les vents mondialisés et bourrasques de la financiarisation de l’économie. 

Quand l’émotion dépasse l’économique

Comment, en témoin contemporain, en ma qualité de « spin doctor » rester insensible à la question de PSA, l’entreprise mythique de Peugeot Citroën ?

L’opinion publique a été stupéfaite de l’annonce des 8000 suppressions de postes, de la fermeture d’Aulnay sous Bois. Peu lui importe, finalement, la nature de ces suppressions, que ce soit des licenciements ou recasements sur d’autres sites ou des retraites anticipées. La symbolique est là : une crise durable, plurielle qui reproduit ses conséquences panachées sur des fleurons de l’économie française.

Tandis que l’entreprise PSA qui se sent incomprise,  revendique, dans les colonnes du journal Le Monde, le 18 juillet 2012, son poids dans l’économie française, en ces termes :

 « Nous employons 100 000 personnes en France, dont 15 000 chercheurs. PSA fait travailler un Français sur dix. PSA paye cher le prix de sa citoyenneté… »

Du côté politique, nous sommes entrés dans un bras de fer émotionnel et technique. Il est vrai que Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, sous la présidence de François Hollande met en jeu sa crédibilité. Il représente une forte symbolique, parce qu’il affiche une des premières démonstrations du savoir-faire de ce nouveau gouvernement. Le Président de la République a prononcé des mots lourds et refusé d’acter ce plan des 8000 suppressions, en direct à la télévision, le 14 juillet dernier.  C’est un sujet politique. C’est un sujet émotionnel. Mais, il faut différencier le patronat familial comme Peugeot, Michelin et autres, du patronat dépendant des fonds de pension et donc à rentabilité immédiate.

Les politiques attaquent PSA sur tous les fronts

Pour sa part, le ministre Arnaud Montebourg a mis en avant les aides passées et accordées au groupe, notamment en 2008 et 2009, plus de 4 milliards prêtés alors que les banques refusaient d’aider Peugeot. Il a rappelé les aides dénommées : primes à la casse, de bonus-malus, de crédit impôt recherche, de chômage partiel, etc… Et il a précisé que la famille Peugeot est le principal actionnaire du groupe à hauteur de 25%…

Ce qui n’est pas surprenant de la part d’Arnaud Montebourg. Ce dernier avait évoqué, au cours de la présidentielle 2012, l’idée de mettre un terme à certaines pratiques liées à la mondialisation…

Depuis quelques jours, le politique a attaqué la stratégie du groupe et la conteste. Ils interviennent par médias interposés. Ce qui représente un déficit pour l’entreprise et une image dégradée, une communication en berne. Les protagonistes entrent entre ainsi dans, ce que nous, les « spin doctors » appelons, une communication de crise. Une communication toujours importante et dangereuse.

L’enjeu pour celle-ci s’articule autour de la survie du groupe, du devenir de ces femmes et ces hommes, de ces 8000 familles et de leurs enfants. L’enjeu c’est aussi  l’avenir du groupe et des 90 000 salariés en France.

Les discours moraux s’amplifient et retentissent

Ont-ils leur utilité ?  Oui dans un sens, parce qu’ils font pression et peuvent avoir des conséquences. Le groupe voit déjà que la cote de l’entreprise a baissé en bourse. La confiance dans la marque est à reconstruire… Les dirigeants sont forcément très ennuyés par ce remue-ménage.

Mais attention : une OPA face à un prédateur étranger représente toujours une éventualité, un danger…    Et, attention : ce n’est pas en qualifiant de tel ou tel mot, voir en critiquant les industriels qu’on va retrouver la croissance.  Ce n’est pas en affaiblissant les familles industrielles françaises que le gouvernement redressera l’industrie nationale…

Chez les syndicats, on  bataille, on réfléchit aux futurs moyens de pression et on prépare la riposte.  De leur côté, les médias interviewent les salariés de l’entreprise qui exposent leur amertume à l’antenne… Ils jouent leur rôle de vigies sociales.

La crise de gouvernance PSA est installée

On peut légitimement se poser la question du poids du politique d’une part, dans les entreprises du CAC 40, comme celui dans le cas de Peugeot Citroën ?

L’exercice est délicat. En 2012, en règle générale, les entreprises, comme je l’ai souligné dans mon ouvrage La communication n’est pas un jeu, sont de plus en plus, dites de « souche française ». Ce qui veut dire que le siège social est effectivement en France. Mais, cette même entreprise dispose d’un conseil d’administration, avec de nombreuses personnalités étrangères, par définition moins sensibles au lien social dans le pays, moins concernés par la dimension sociale du groupe.  De surcroît, le groupe détient de grosses commandes de l’étranger et celles-ci sont parfois supérieures à l’étranger qu’en France. Il possède des usines en dehors du sol français. Il procède à des investissements très importants à l’international.

L’exemple de la gouvernance de Jean Charles Naouri de Casino est révélateur.

Jean Charles Naouri a évolué d’une entreprise franco-brésilienne vers un groupe de plus en plus brésilio-français, avec un développement spectaculaire au Brésil. Les succès sont là. Ce groupe est différent par :

– Un conseil  d’administration mondialisé,

– Des ventes massives à l’étranger,

– Des investissements au Brésil  en priorité, et une stratégie orientée vers le Brésil.

Avec la mondialisation, Jean Charles Naouri a parfaitement épousé la logique d’ouverture des marchés, la logique de la globalisation des marchés. 

Mais quid des nouveaux investissements en France, simultanément ? L’un n’est pas interdit et peut se comprendre, mais il faut juste que ce ne soit pas l’exclusivité d’une stratégie. Nous avons besoin de nos industriels. Plus que jamais, nous avons besoin de nos grands dirigeants, de leur force et potentiel, viviers d’emplois.

A défaut de répondre dans l’immédiat, on peut au moins poser les bonnes questions

Dans tous les cas de figure, que peut faire « l’homo politicus » face aux licenciements dans des groupes de plus en plus indépendants, privés et mondialisés ?

Quelle légitimité pour le politique d’intervenir dans un domaine privé ?

Comment « penser » ces licenciements ?

La thématique de « justice sociale » a tellement été dans tous les débats et les esprits de la Présidentielle 2012…

Du côté des entreprises, on se demande, à juste titre et de toute bonne foi, comment faire face à la logique du marché, qui impose des résultats de plus en plus rapidement ?

En ce qui concerne le groupe Peugeot Citroën, quelle est leur réflexion sur leur responsabilité sociale dans la cité ? Comment gérer, alors que le marché européen est très fragilisé ? En somme le groupe parlemente et précise : « Le marché européen automobile est en train de s’effondrer. PSA est très présent en Europe. Il est donc pénalisé et exposé. Ils ont des contraintes au niveau européen. Ils envisagent donc de licencier. Et, il est vrai  que ces contraintes existent. »

Nous sommes en « guerre économique »

Aux entreprises et aux politiques réunis de se demander comment  concilier la finance et le management ?

Quand et qui pour repenser le système ? On parle beaucoup de la rénovation du politique, de sa nouvelle modernité. Elle ne peut aller de pair, selon moi, sans celle de l’économie, sans l’organisation d’une nouvelle défense de notre industrie et par là-même des emplois. L’évolution entrepreneuriale est telle durant les cinq dernières années, qu’elle devient presque un exercice obligé.  Il faut essayer de l’organiser et le mettre en œuvre.

La gauche doit se débarrasser de ses oripeaux idéologiques à l’égard du patronat. Ne pas apparaître d’un autre âge. Ne pas se faire inutilement brocarder. Nous sommes en guerre économique. La mondialisation a ouvert les marchés et appelle de nouveaux raisonnements, moins binaires. Dieu sait s’il y a certains « salauds » dans certaines entreprises ou des patrons aux résultats médiocres, mais, si la gauche veut peser sur les emplois, elle doit accepter de discuter avec le monde de l’entreprise. On ne peut pas globaliser tous les patrons. Beaucoup s’épuisent au travail. Je les connais. Je suis en prise directe. La façon dont certains traitent la famille Peugeot n’encouragera pas le dialogue. En revanche, il doit y avoir de vraies négociations : il ne faut pas, comme ce fut le cas avec les banques (et même l’industrie automobile) que les industriels appellent les pouvoirs publics à l’aide quand il y a la crise (les fonds énormes pour les banques, les aides à la casse, etc.) pour envoyer ensuite promener les pouvoirs publics quand il y a des bénéfices. Sortons de nos présupposés.

Nous sommes dans une logique du donnant-donnant, du gagnant-gagnant

Remettons les compteurs à zéro et négocions, dialoguons.  Je crois en la force du politique comme un des derniers remparts dans ce monde mondialisé, à condition que le politique soit incarné et ouvert.

Je suis fière des grands groupes du CAC 40 pour mon pays et de leur dynamique. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Au mitan de la mondialisation, je crois à une plus grande interdépendance des économies et du politique. Je crois en l’urgente obligation de travailler à deux. C’est par une réflexion commune qu’on en sortira. Ces deux mondes ne doivent plus être aussi éloignés, l’un de l’autre.

Je crois à une prise de conscience sur l’impératif d’un chantier à bâtir.

Le CAC 40 n’est pas une entité éthérée. La plupart sont des femmes et des hommes qui espèrent aller chercher avec les dents la croissance. La santé du CAC 40 est un lien direct avec les emplois. Si cette tension s’est instaurée, elle doit être dépassée rapidement. Les temps économiques ne sont pas les temps politiques. Elle doit être porteuse d’un nouvel essor et d’un développement. Et vite.

Naturellement, la communication joue et jouera un rôle considérable dans cette bataille économique et politique, étant donné la transparence informationnelle dans le monde contemporain et la démultiplication avec les nouvelles technologies.

Encore une fois, elle n’est pas un tout mais elle peut aider à analyser et à comprendre. Elle peut établir de nouvelles passerelles de travail, mettre en œuvre des méthodes neuves et efficaces.  Elle est un vrai co-partenaire avec une totale liberté de ton.

Nous sommes en « guerre économique ».

Celle-ci appelle des attitudes modernes et de nouvelles dynamiques. Il faut réconcilier le politique et l’économique. Seuls les femmes et les hommes de bonne volonté seront les fondateurs de ce nouveau devoir…

Ad Augusta per Angusta.

Ghyslaine Pierrat est auteur de l’ouvrage intitulé La communication n’est pas un jeu aux éditions de l’Harmattan

>D’autres informations sur Ghyslaine Pierrat en allant sur son site

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