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Quand la vidéo sort les intouchables de l’ombre

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Une scène tragique devenue banale

Une foule crie de panique alors que des hommes extirpent un ouvrier sanitaire hors d’un égout. Il est inconscient lorsqu’un ambulancier tente vainement de le réanimer. Un deuxième homme est tiré de la bouche d’égout. Il est dans le même état. Les efforts pour le sauver ne servent à rien. Les deux travailleurs sont déjà morts, tous les deux victimes d’un « travail d’intouchable ».

La scène est terrible mais loin d’être rare. Comme presque tous les égoutiers indiens, ces hommes sont des « Dalits », ou des membres d’un groupe autrefois connu sous le nom des « Intouchables ». Ils sont surnommés ainsi car selon les croyances hindouistes, le mauvais karma qu’ils dégagent les condamne à des sous-emplois. Le simple contact avec eux est censé « polluer l’âme », et ces derniers sont rejetés dans la société indienne.

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Une discrimination ancienne

La discrimination envers les Dalits a été rendue officiellement illégale en 1949. Mais ce préjudice, qui existe depuis 2000 ans continue sans grands changements, et ces derniers sont toujours confinés à leurs activités historiques. L’accès aux puits communautaires et aux temples leur est toujours interdit. Dans les cas les plus extrêmes, certains sont forcés de se promener nus, de manger leurs excréments et sont parfois assassinés si ils refusent. 

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Un projet audacieux

Si les gens sont visuellement confrontés à la dure réalité des Dalits, vont-ils se battre pour le changement ? Un nouveau groupe à but non lucratif nommé Video Volunteers espère bien que oui.

En entraînant les activistes indiens à devenir des journalistes communautaires, et en les « armant » de caméras pour filmer tous ces abus, ils espèrent rétablir l’égalité en Inde et pousser le gouvernement à réagir.

En avril dernier, Video Volunteers a lancé un projet novateur répondant au nom de « article 17 », d’après le nom de la loi qui a rendu la pratique de l’intouchabilité techniquement illégale (en 1949). Le projet vise à documenter les infractions, à mobiliser la communauté et à assurer une couverture plus nuancée que les médias généralistes.

« Ce n’est pas facile de décrire les pratiques des castes avec un simple appareil photo, mais les correspondants sont des gens du cru, et la majorité appartiennent à la communauté Dalit », explique Siddarth Pillai, un Video Volunteer, responsable de la communication. « Ils ont un accès intime et des connaissances locales qui leur permettent de capturer des séquences rares ».

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Une réponse gouvernementale qui n’est pas à la hauteur

Depuis le début du projet, lesVideo Volunteers ont diffusé 22 documents d’une durée de 2 à 3 minutes où l’on peut se rendre compte que la pratique de l’intouchabilité se poursuit.

Des chaînes de télévision comme CNN et NewsX ont diffusé quelques-unes de ces vidéos, tandis que les médias grand-public tels que le magazine Tehelka ont présenté les vidéos sur leurs sites web. En deux mois, la pétition « article 17 » a récolté plus de 1000 signatures. Elle demande à la Commission nationale des Castes de commencer à poursuivre les auteurs d’infractions.

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Sans surprise, les instigateurs du projet n’ont reçu que des réponses bureaucratiques évasives. Les militants familiers avec les rouages du système savent que c’est à peu près tout ce à quoi ils doivent s’attendre.

« Les effets seront limités », a déclaré Anoop Kumar, coordinateur national de la fondation Insight, une autre organisation qui lutte pour les droits des Dalits. « J’ai eu affaire avec l’organisme gouvernemental censé protéger les Dalits. Ils disent qu’ils sont sérieux mais n’ont pas la volonté politique de prendre des mesures. »

Le pouvoir de l’image

Mais les Video Volunteers ne comptent pas sur la réaction des bureaucrates pour provoquer le changement. L’image se suffisant à elle-même, ils cherchent avant tout à diffuser leurs mini-documentaires au plus grand nombre (par téléphone, projections).

Cela a déjà fait la différence. Grâce à des projections en plein air dans les bidonvilles et les villages, ils ont atteint une audience de plus de 300 000 spectateurs. Et plus de 17 000 villageois et habitants de ces bidonvilles ont décidé d’agir, en aidant 600 000 personnes en tout, d’après les dossiers internes d’une organisation à but non lucratif.

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Par exemple, un film des Video Volunteers sur le droit à l’information en Inde a encouragé des habitants d’un bidonville de Mumbai à déposer une demande d’information sur le montant d’argent dépensé par la collecte des ordures. Une question gênante, qui s’est conclue par un nettoyage des bidonvilles. Une autre vidéo donnait la preuve qu’une école du coin exigeait des pots-de-vins de la part des parents d’élèves. Un acte qui a entrainé le licenciement  du chef d’établissement.

Un hôtel d’un village environnant a été forcé de reconstruire son système d’épuration d’eau afin qu’il ne pollue pas l’eau buvable de tout le village. Le gouvernement a d’ailleurs réouvert une usine de traitement d’eau et en a permis l’accès à plus de 3000 personnes, juste après que Video Volunteers aient démontré que le taux de fluorine dans cette dernière était trop élevé.

Une triste rhétorique

« Il ne s’agit pas simplement de dire que l’intouchabilité est une choses mauvaise, et que ces gens doivent être punis. Cela n’aidera en rien, car le problème est énorme », déclare Anoop Kumar de la Fondation Insight. « Mais si un Dalit peut s’affirmer politiquement, il peut se défendre »

Dans la vidéo montrant les hommes morts dans les égouts au Pendjab, un autre travailleur témoigne et s’adresse directement à la communauté de Video Volunteers : « Je me sens mal, mais je dois faire ce sale boulot pour vivre. Que puis-je faire d’autre ? Je dois bien éduquer mes enfants. »

Global Post/ Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

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