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Santé: le gouvernement se trompe de priorité

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La dernière initiative du gouvernement Fillon en santé a été la création d’un secteur optionnel pour contenir les dépassements d’honoraires médicaux, la première du gouvernement Ayrault concerne également ce sujet. Ce thème mérite t’il autant d’égard de nos gouvernants ? Réponse de Frédéric Bizard.

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La ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine a annoncé le lancement d’une négociation le 25 juillet 2012 entre syndicats de médecins, assurance maladie et complémentaires santé pour mettre fin aux dépassements d’honoraires. Cette négociation devra aboutir d’ici le mois d’octobre 2012 sans quoi le gouvernement pourrait légiférer. On peut s’étonner de l’absence des représentants des patients alors qu’ils sont au premier chef concernés.

Une question qui ne concerne que très peu de médecins

Pour comprendre l’émergence de ces dépassements d’honoraires, il faut remonter à 1980 où Raymond Barre, alors Premier ministre de Valery Giscard d’Estaing, crée le secteur 2 dit à honoraires libres pour relâcher la pression des médecins sur leurs honoraires. Face au développement excessif de ce secteur, qui devait être réservé à une  « élite » de médecins libéraux, l’accès à ce secteur est restreint en 1990 et l’usage interdit en 1999 aux patients détenteurs de la CMU-C.  Le secteur 2 aujourd’hui concerne principalement les spécialistes. En effet, 88% des médecins libéraux sont en secteur 1, plus de 90% des médecins généralistes et 59% des spécialistes. Parmi les spécialistes, la situation est très hétérogène puisque 90% des chirurgiens vasculaires, urologues et orthopédistes sont en secteur 2, 60% des ORL, ophtalmologues et gastro-entérologues et seulement 25% des autres spécialistes. La question des dépassements d’honoraires ne concerne donc qu’un nombre très limité de médecins, moins de 10%. On va donc lancer une grande négociation nationale, qui risque d’être agitée comme toutes les discussions qui touchent à la rémunération d’agents économiques, pour contenir la rémunération d’une minorité de professionnels de santé.

Le déficit de la sécu n’est-il pas un sujet plus important ?

Le montant de ces dépassements  2 ,5 milliards d’euros, représentent environ 1% des dépenses totales de santé et 10% du total des honoraires médicaux. Il est à noter que ces dépassements sont financés pour les deux tiers, soit 1,7 milliard d’euros, par les patients en direct (out of Pocket) et un tiers, soit 0,8 milliard d’euros par les mutuelles. Il n’alourdit en rien le déficit de l’assurance maladie qui représente depuis des années près de 50% du trou de la sécurité sociale. Notons que celui-ci va être supérieur à 20 milliards d’euros en 2012 (en incluant le fonds de solidarité vieillesse). On peut s’étonner que la question du déficit de l’assurance maladie ne soit pas considérée comme un sujet plus pressant que les dépassements d’honoraires tant  il met en péril nos comptes publics.

La France a besoin de justice sociale et d’égalité d’accès aux soins

La question des dépassements d’honoraires n’étant ni un sujet de lutte contre les déficits de la sécu, ni de contrôle des dépenses de santé, les raisons invoquées pour justifier l’urgence de la situation sont ceux de justice sociale et d’égalité d’accès aux soins, deux causes importantes donc. Elle serait responsable d’un renoncement aux soins important et grèverait le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Une étude de l’IRDES d’avril 2012 montre en effet que 17% de nos concitoyens auraient renoncé à des soins récemment, mais seulement 3,5% concerne des consultations médicales. Il est donc faux de prétendre que les dépassements d’honoraires représentent un obstacle majeur à l’accès aux soins. Les difficultés croissantes d’accès aux soins sont liées à plusieurs facteurs comme la désertification médicale, la diminution du temps médical disponible, le sous-équipement des cabinets médicaux, et dans une infime proportion aux dépassements d’honoraires. L’éventuelle solution à la question des dépassements ne règlera donc quasiment rien  à la difficulté d’accès aux soins.

Une erreur politique

Mettre sur la table des négociations ce sujet sans aborder les modalités de rémunération de la médecine libérale et l’organisation de l’offre de soins condamne cette initiative à l’échec. Le faible niveau de rémunération des généralistes, le paiement très majoritairement à l’acte, la non-organisation de parcours de soins pour les maladies chroniques sont des sujets majeurs à aborder par le gouvernement. C’est par une négociation globale avec les acteurs de santé que le gouvernement donnera de la cohérence à son plan de réforme et obtiendra des concessions nécessaires de certains acteurs du système. Demander des efforts à un agent économique sans lui montrer le sens pour l’ensemble de la communauté est difficilement acceptable.

Mobiliser les forces vives de la santé plusieurs mois autour d’un sujet qui ne règle rien à la lutte contre les déficits et très peu aux inégalités sociales d’accès aux soins est inopportun politiquement. C’était en effet une promesse électorale comme l’étaient la généralisation du tiers payant en médecine de ville, le développement de la prévention, la lutte contre désertification médicale dont nous n’avons pas encore entendu parler en ce début de quinquennat. Face à la gravité de la situation dans laquelle se trouve notre système de santé, il apparaît urgent de hiérarchiser les priorités d’actions et de mobiliser les forces vives du secteur sur les sujets prioritaires et sur la réflexion d’un plan de rénovation global de notre système de soins à bout de souffle.

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