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Xavier Bertrand : «La Conférence sociale a été un leurre»

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JOL Press : La Conférence sociale vient de se terminer. Selon vous, a-t-elle été utile ?

Xavier Bertrand : Je vais être très clair. Bien sûr que le dialogue social est non seulement utile, mais nécessaire. Mais ce que je vois ici, c’est que, si l’objectif de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault était de faire une belle opération de communication, l’objectif a été atteint. Mais, pour le reste, je ne suis pas sûr de comprendre où tout cela va mener. Où sont les débouchés concrets ? Ce que j’ai retenu, c’est que les décisions seront prises dans un an… Pourquoi pas dans cinq ans ! Peut-on se permettre de perdre du temps ? Le gouvernement a d’ores et déjà reculé en revenant sur la TVA anti-délocalisation (dite TVA sociale NDLR), en arrêtant les négociations compétitivité-emploi… Et n’oublions pas la suppression sans aucune concertation  de la défiscalisation des heures supplémentaires, qui va priver de nombreux salariés de revenus complémentaires. Mon opinion est que cette Conférence a été un leurre, une habile mise en scène pour permettre au gouvernement, d’un côté de gagner du temps sur certains dossiers sensibles, de l’autre de se servir d’une apparence de dialogue pour mieux faire passer des mesures comme l’éventuelle augmentation de la CSG.

Réformes et pistes de travail

JOL Press : Diriez-vous alors comme Laurent Wauquiez qu’une augmentation de la CSG serait « criminelle » ?

Xavier Bertrand : Je suis hostile à l’augmentation de la CSG. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est une mesure qui fera baisser directement le pouvoir d’achat des Français, aussi bien salariés que retraités, mais qui, surtout, va augmenter le chômage.  C’est un enchaînement logique. Si vous avez moins de pouvoir d’achat, vous avez moins de consommation, donc moins de croissance, puis moins d’emploi.

JOL Press : Que pensez-vous d’un SMIC indexé sur la croissance ?

Xavier Bertrand : J’attends de connaître le détail de cette idée. Mais si le SMIC est indexé sur la croissance, et non sur l’inflation, alors, dans les conditions actuelles, cela serait défavorable aux salariés. Il me paraît dangereux de déconnecter le SMIC de l’inflation. Et s’il s’agit  de critères mixtes, il faudra voir techniquement comment cela sera possible et réaliste.

JOL Press : Et le contrat de génération ?

Xavier Bertrand : C’est une idée qui peut sembler séduisante, mais qui est trop compliquée à mettre en place. Ce sont les chefs d’entreprise que j’ai rencontrés qui le disent. D’abord, ce n’est déjà pas simple de favoriser l’embauche d’un senior, ou d’un jeune. Mais alors s’il faut que la solution matche entre les deux, ce sera encore plus difficile. Ensuite, le contrat de génération, c’est en réalité un contrat d’apprentissage, avec un jeune sans diplôme et un senior qui lui sert de tuteur. De mon point de vue, la mesure la plus efficace, si l’on veut favoriser l’embauche des jeunes et des seniors, c’est l’exonération des charges patronales.

JOL Press : Quant à la suppression de la prime « dividendes » ?

Xavier Bertrand : Un million de salariés a bénéficié l’année dernière d’une prime de 400 euros, grâce à cette mesure. Voilà donc une perte nette brutale, une nouvelle amputation du pouvoir d’achat annoncée. Dans les faits, cela veut dire que le paquet fiscal du gouvernement va être supporté majoritairement par les petits et les moyens revenus.

JOL Press : Il a été annoncé aussi une réflexion pour une grande réforme des retraites…

Xavier Bertrand : Une réflexion… On peut tous réfléchir, et même rêver ! Le gouvernement fait patienter tout le monde. La CGT, qui a été un allié objectif dans la campagne de François Hollande, a obtenu ce qu’elle voulait avec la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires. Pour les retraites, le gouvernement ne pourra éviter la confrontation à la réalité. Ce n’est pas un hasard si tous les pays optent pour une augmentation de l’âge du départ à la retraite, tout simplement car il y a allongement de la durée de vie. Nous serions les seuls à envisager l’inverse.

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Concertation sociale et évolution des institutions

JOL Press : Laurence Parisot, présidente du Medef, souvent proche des idées de la droite, a montré sa satisfaction sur la nouvelle méthode de concertation avec les partenaires sociaux. Pourquoi ne pas avoir davantage favorisé ces échanges ?

Xavier Bertrand : N’ayons pas la mémoire courte ! J’ai entendu les mêmes propos de la part de l’ensemble des partenaires sociaux sur le changement de méthode et les vertus d’un dialogue social revivifié, au début du mandat de Nicolas Sarkozy. Je me souviens notamment des Rencontres organisées par Raymond Soubie qui avaient été très constructives. Il est vrai qu’après l’adoption de la réforme sur les retraites à l’automne 2010, les relations se sont un peu détériorées avec certains syndicats. Mais cette réforme était nécessaire. Et parfois, le politique doit prendre ses responsabilités. Ne perdons pas de vue l’essentiel : la seule chose qui compte ce sont les résultats concrets. Je reste convaincu que la concertation c’est bien, les décisions c’est mieux.

JOL Press : Que pensez-vous du souhait de François Hollande d’inscrire dans la Constitution, l’obligation de concertation avec les partenaires sociaux avant toute Réforme sociale ?

Xavier Bertrand : C’est une décision qui ne changera rien dans les faits. Car il existe déjà une loi, la loi Larcher, qui oblige les politiques à organiser la concertation avec les partenaires sociaux avant toute réforme sociale. Faire que le principe de cette loi soit inscrit dans la Constitution est une pure affaire de symbolique, pour ne pas dire de cosmétique. Nous avons davantage besoin de concret et d’action que de symboles aujourd’hui. 

JOL Press : Afin d’offrir plus de représentativité à cette concertation sociale, faudrait-il selon vous revaloriser le rôle du Conseil économique et social ?

Xavier Bertrand : Je suis favorable, et je l’ai toujours été, à l’évolution vers plus de démocratie sociale. Incontestablement revaloriser le rôle du Conseil économique et social est important : c’est ce à quoi travaille ardemment Jean-Paul Delevoye, son président. Encore faudrait-il que les avis du Conseil soient ensuite écoutés… Mais je crois que le vrai lieu du dialogue social, celui qui permet le plus de réactivité, c’est au sein des entreprises. Les entreprises ont un rôle-clé à jouer dans une approche moderne du dialogue social.

Europe et régulation sociale

JOL Press : L’Europe peut-elle devenir un cadre pour les politiques sociales des pays membres ? A l’extrême pourrait-on imaginer une fédéralisation des questions sociales en Europe ?

Il existe un modèle social européen à préserver, à condition de réformes courageuses en profondeur. De là à imaginer un fédéralisme européen des questions sociales : la réponse est non, car ces questions relèvent des politiques nationales et d’arbitrages propres à chaque pays.

JOL Press : Vous avez été l’un des instigateurs du G20 social. Ne craignez-vous pas aujourd’hui que les préoccupations sociales ne soient laissées au second plan ?

Xavier Bertrand : J’espère que non ! Heureusement, de nombreux pays sont très conscients de l’importance des équilibres sociaux. Il faut vraiment se battre pour créer des richesses, pour plus de compétitivité, mais aussi plus de partage dans le monde.

Le chemin de l’action politique

JOL Press : Vous êtes intervenu récemment pour inviter votre famille politique à plus d’apaisement. Quel est selon vous, de Jean-François Copé ou de François Fillon, le mieux placé pour incarner le rassemblement à la présidence de l’UMP ?  

Xavier Bertrand : Je donnerai ma position à la fin de l’été, après avoir effectué une tournée de toutes les Fédérations régionales, pas avant. Je veux me faire une opinion à partir de ce que les militants exprimeront.

JOL Press : Comment voyez-vous votre rôle aujourd’hui ?

Xavier Bertrand : Je suis député et vais donner la priorité à mon rôle d’opposant. Même si Je suis prêt à voter positivement s’il s’agit de textes qui me semblent importants pour la France, comme la Règle d’or. En revanche, j’ai bien l’intention de faire mon devoir d’inventaire sur toutes les actions et mesures proposées par le gouvernement.

Propos recueillis par Olivia Phélip pour JOL Press

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