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A. Prokopiev: «le procès kafkaïen des Pussy Riot est un symbole»

[image:1,l] Ils sont Russes, Français ou d’autres nationalités. Ils vivent en France, mais ont des liens étroits avec la Russie. Descendus dans les rues parisiennes au mois de décembre 2011 en écho aux manifestations qui agitaient la Russie après les élections législatives du 4 décembre, ils se sont rencontrés et ont décidé de fonder l’association Russie-Libertés. Leur objectif : contribuer à ce que la Russie devienne un pays dans lequel les principes démocratiques sont établis et respectés où, notamment, l’opposition est libre de s’exprimer et l’alternance possible.

Citoyens actifs, ils se proclament apolitiques et se mobilisent pour défendre des valeurs, la démocratie et les droits de l’Homme. Ils se mobilisent en soutien aux Pussy Riot, les punkettes russes jugées pour offense au président Vladimir Poutine. Alexis Prokopiev a répondu aux questions de JOL Press.

Vous soutenez Pussy Riot et êtes une des associations signataires des manifestations de soutien qui auront lieu vendredi dans les grandes villes de France, pour vous quels sont les enjeux de cet événement ?

Alexis Prokopiev L’histoire des Pussy Riot et leur procès kafkaïen sont un symbole. Le symbole des pratiques d’un régime et du comportement d’un homme, Vladimir Poutine. Vladimir Poutine utilise la justice et l’Eglise orthodoxe pour lutter contre toutes formes de protestation. C’est un procès politique, conçu pour museler une forme d’opposition. Il est à l’image des milliers de procès qui ont lieu chaque année en Russie où des personnes tout à fait innocentes, beaucoup moins connues que les Pussy Riot sont condamnées dans des procès aussi absurdes et finissent en prison sans aucune raison et sans procès équitable. C’est en somme le symbole d’un pourrissement du régime russe qui utilise la justice, plus du tout indépendante, comme arme politique.

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Le cas Pussy Riot pourrait donc être rangé, pour vous, au même niveau que celui par exemple du cyber-opposant Alexey Navalny ?

Alexis Prokopiev Exactement. On voit des similitudes. Dans tous ces procès les mêmes éléments reviennent. Des faits qui ont été inventés et des témoins qui n’ont rien à voir avec l’affaire, qui n’étaient même pas sur le lieu du supposé délit par exemple. Vous faites référence à Navalny, c’est exactement la même chose. Dans le cas des Pussy Riot, on voit des jeunes femmes qui manifestent contre Poutine, qui font une chanson, se font arrêter et mettre en prison sans aucun procès. Cela fait maintenant près de six mois qu’elles sont incarcérées. Dans le cas de Navalny c’est la même chose. Navalny s’est opposé à Poutine – il est d’ailleurs rapidement devenu une des figures de l’opposition en Russie – conséquence : son domicile a été perquisitionné et sous peu il est possible qu’un procès totalement monté, dans lequel il risquerait jusqu’à 10 ans de prison, soit engagé contre lui. On est dans la même configuration. Toutes celles et ceux qui osent critiquer ou s’opposer de manière un peu forte à Vladimir Poutine ont aujourd’hui des problèmes avec la Justice. C’est une chose qui s’est aussi vérifiée dans le cas de la présentatrice et animatrice télé Ksenia Sobtchak. Elle a perdu son travail et risque aujourd’hui énormément pour son positionnement politique. Les exemples sont nombreux.

Pourtant, malgré la multiplication de ces affaires la population semble très divisée et une partie importante de la population continuerait, encore aujourd’hui, de soutenir Vladimir Poutine. Est-ce un phénomène réel ?

Alexis Prokopiev Ce que l’on voit, et moi-même j’en suis très étonné, c’est que la population russe est effectivement très partagée c’est-à-dire que dans le cas des Pussy Riot par exemple, les derniers sondages mettent en lumière que 50 % de la population sont pour leur libération et 50 % sont pour leur condamnation. Il y a un clivage, mais ce qu’il faut noter aussi c’est l’ampleur des manifestations d’opposants. Il y a encore un an les manifestations d’opposants en Russie ne réunissaient qu’au maximum 500 à 600 personnes. On a vu, en décembre 2011, 150 000 personnes se masser sur l’avenue Sakharov à Moscou. C’est le signe d’une vraie tendance à la protestation qui touche toutes les classes de la société. Des retraités qui ne sont pas satisfaits des services médicaux auxquels ils ont accès, des étudiants qui en ont assez de devoir payer pour avoir un diplôme qui vaille quelque chose et puis cette nouvelle classe moyenne, qui voyage et qui voit que dans d’autres pays les choses sont différentes. Par exemple l’élection présidentielle française contrastait beaucoup à leurs yeux avec l’élection russe qui a eu lieu à peu près à la même période. Un candidat a gagné contre un autre. Ils se sont serrés la main. Il y a eu passation de pouvoir. C’est ce à quoi aspirent les Russes et qui aujourd’hui n’est pas possible. Vladimir Poutine est conscient de ces aspirations, mais en a peur. C’est dans cette optique que se multiplient les procès, les lois liberticides qui ont été votées pour limiter les manifestations et permettre la censure voir même des lois pour limiter l’action des ONG. C’est cette position statique du régime qui a désacralisé Poutine. Ce n’est plus l’homme providence. Ce n’est plus le sauveur de la Russie. On sent, comme à la fin des années 90, juste avant la chute de l’URSS, une montée de la contestation.

Et dans cette contestation et particulièrement dans le cas Pussy Riot quel peut être le rôle d’associations étrangères telles que Russie-Libertés ? Est-ce que ces actions peuvent avoir un réel impact sur le gouvernement russe ou la justice du pays ?

Alexis Prokopiev Si l’on se mobilise à Berlin, à Munich, à Londres, à Paris c’est parce que l’on aimerait être en Russie et pouvoir participer à la contestation sur place, mais que malheureusement, pour des raisons diverses nous ne pouvons pas y être. Nous essayons d’aider comme on peut, avec nos faibles moyens. Est-ce que cela peut avoir de l’influence ? Je le pense car, quoi qu’en dise Vladimir Poutine, il est très soucieux de l’opinion qu’à la communauté internationale de la Russie. En France le régime russe paye de nombreux lobbys et associations pour diffuser une certaine image de la Russie pour enlever en légitimité aux mouvements de contestation. Après, dans le cas des Pussy Riot, il ne s’agit absolument d’influer sur une décision de justice directement, mais de mettre la pression sur le régime de Poutine qui, lui, contrôle l’appareil judiciaire.

Si les Pussy Riot sont condamnées ce vendredi, continuerez vous les actions dans cette affaire précise ?

Alexis Prokopiev Je pense qu’il faut attendre le verdict de vendredi. Dans tous les cas, l’association Russie-Libertés continuera le combat pour la démocratie en Russie. Nous ne nous intéressons pas seulement au cas des Pussy Riot. C’est la Russie dans son ensemble qui nous préoccupe. Nous défendons d’autres causes aujourd’hui en Russie, comme celle, par exemple, d’Alexey Navalny. Nous continuerons à être actifs à travers des manifestations ou des actions sur Internet. La condamnation des Pussy Riot ne marquerait évidemment pas la fin de notre engagement. Le bras de fer avec le régime de Vladimir Poutine continuera

Propos recueillis par Stephan Harraudeau pour JOL Press

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