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Au-delà de l’éloge de Breivik: ce qui est reproché à Richard Millet

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Dans un entretien accordé à L’Express, Richard Millet affirme qu’il ne s’y attendait pas. En intitulant « Éloge littéraire d’Anders Breivik » un des trois livres qu’il sort en cette rentrée chez Pierre Guillaume de Roux Éditions, l’écrivain, éditeur chez Gallimard, prétend qu’il s’attendait « à ce que (ses) ennemis habituels aboient, mais (il n’imaginait pas) des réactions d’une telle ampleur ».

« Son texte est insupportable, » a lancé Tahar Ben Jelloun, sonnant la charge. Laure Adler a demandé sa démission à Antoine Gallimard et Saint-Germain-des-Prés bout…

Mais que lui reprochent-ils ?

Bien plus qu’un titre. On aurait tort de croire – ou de feindre de croire – que l’objet du scandale ne puisse être qu’un titre. Ce titre, l’auteur, au risque d’être taxé de mauvais goût, le qualifie lui-même d’ironique. Quant aux « actes commis par Anders Breivik », le même ne cesse de rappeler qu’il ne les approuve pas. Ses pourfendeurs, même les plus virulents, en conviendraient sans doute.

Non, ce qui est reproché à Richard Millet est bien plus fondamental. Ce qui lui est reproché, c’est d’avoir osé ouvrir le débat, ce débat tant redouté, inéluctablement biaisé, sur le multiculturalisme, la cohabitation récente entre des communautés, culturellement et religieusement, diverses et, au-delà, l’impact de ce nouvel état de fait sur les valeurs – traditionnelles ou pas – sur lesquelles est fondé le modèle dit occidental prévalant, jusque-là, en Europe et en France.

Ce qui est reproché à Richard Millet, c’est d’exposer les remises en cause et menaces susceptibles de bouleverser un équilibre séculaire qui a façonné l’Occident dans lequel nous vivons, quelles que soient nos convictions.

Un tabou à briser ?

Ce débat, il est tabou. De tous les débats, il est le plus politiquement incorrect et il suffit d’en évoquer les termes, sans même prétendre y apporter une ébauche de solution, pour que le chœur des « bien-pensants » se soulève et que les invectives pleuvent : raciste !

Et pourtant, ce débat pour qu’il soit envisageable de le dépasser et de réinventer – comme c’est sans doute nécessaire – un modèle adapté à un monde qui a changé et change toujours, il convient de le poser. Longtemps, la France s’est drapée dans de jolis oripeaux hérités des Lumières, du meilleur de la Révolution française et des grandes avancées de la République pionnière, mais les enjeux contemporains imposent sans doute de se poser de nouvelles questions.

Sans juger des réponses que ses convictions personnelles pourraient l’amener à y apporter, Richard Millet pose ces questions sans pudeur. Pour en juger, voici un extrait de « L’Éloge littéraire d’Anders Breivik ». JOL Press a obtenu de Pierre-Guillaume de Roux Editions le droit de reproduire cet extrait en exclusivité.   

 

Extraits de « Eloge littéraire d’Anders Breivik », de Richard Millet

On pourrait être tenté de voir dans Breivik un héros malthusien doublé d’un praticien du massacre de masse. Ce serait dénaturer ses actes. Ils s’inscrivent sur un fond terriblement sombre qu’il importe de rappeler. Cet été-là, qui a vu la catastrophe nucléaire de Fukushima et la politique ridiculisée sur le plan international par l’affaire DSK, terroriste socialo-priapique, pendant non dialectisé de l’érotomane démocrate-chrétien Berlusconi, et puis, le lendemain du massacre d’Utoya, la mort d’Amy Winehouse, laquelle a en quelque sorte volé la vedette à Breivik. Cet été-là, donc, est surtout le moment paroxystique d’une crise financière qui est née en 2008 et qui est en train de mettre l’Europe à genoux.

Que cette crise financière marque aussi la faillite d’une civilisation, seuls les imbéciles ne veulent pas le voir. Breivik est, certes, le signe désespéré, et désespérant, de la sous-estimation par l’Europe des ravages du multiculturalisme ; il signale aussi la défaite du spirituel au profit de l’argent. La crise financière est celle du sens, de la valeur, donc de la littérature. Breivik, d’une façon naïve, loin d’incarner le Mal, s’est fait le truchement sacrificiel du mal qui ronge nos sociétés tombées dans une horizontalité acéphale et trompeuse.

Breivik, raconte un survivant du massacre, fredonnait au milieu des cadavres. Loin d’être un artiste conceptuel, comme pourrait le faire croire ce témoignage, Breivik ne souscrit pas à ce que Baudrillard appelle la « duplicité » de l’art contemporain, c’est-à-dire le fait de « revendiquer la nullité, l’insignifiance, le non-sens, alors qu’on est déjà nul » – ce qui annule de fait toute proposition artistique et existentielle. Il n’a pas cherché à transformer un acte somme toute insignifiant sur le plan de l’efficacité politique en une « stratégie fatale » de l’image.

Il n’est pas le Warhol de l’antimulticulturalisme ; il n’a pas non plus voulu son minable quart-d’heure de gloire médiatique ; il est un écrivain par défaut et, sans doute, l’incarnation outrée du héros désespéré du film de Joachim Trier,« Oslo 31 août «, qui est sorti, et c’est remarquable, quelques mois après le massacre d’Utoya ; un héros qui reprend le personnage de « Feu follet» de Louis Malle, d’après le roman de Drieu La Rochelle – rares étant les journalistes français à l’avoir noté, Drieu restant l’un des plus grands maudits de la littérature française, bien qu’il ait payé ses errements par un suicide.

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