Site icon La Revue Internationale

Avortement: Mitt Romney au pied du mur

[image:1,f]

Lorsque le candidat républicain à la présidentielle américaine Mitt Romney a choisi le très photogénique Paul Ryan pour colistier, il a dû se dire que sa campagne aurait enfin le vent en poupe.

Il imaginait que son dauphin, éminent spécialiste en politique budgétaire à la Chambre des représentants américaine, allait recentrer le débat sur l’économie, là où les Républicains estiment qu’il devrait être. Attaquer le président Barack Obama sur ses erreurs dans le domaine, brosser un tableau positif d’un futur fait de l’alliance Romney-Ryan, et s’installer à la Maison Blanche fin janvier.

Todd Akin, des propos qui changent tout

Pas si vite. Le représentant Todd Akin, qui livre, pour les élections sénatoriales, une bataille serrée avec la titulaire au poste Claire McCaskill, voyait les choses autrement.

Lors d’une interview pour une chaîne de télévision locale, dimanche 19 août, Todd Akin a déclaré : « Moi ce que je pense, de ce que j’ai cru comprendre de la part de médecins, c’est que tomber enceinte d’un viol est très rare. Si c’est un véritable viol, le corps d’une femme peut trouver un moyen d’arrêter le processus»

Une opposition totale à l’avortement

Une façon de justifier l’opposition totale à l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste : « Je pense que ça devrait quand même être puni, mais cette punition devrait être à l’encontre du violeur, pas à celle de l’enfant. »

Ses propos ont déclenché une déferlante de critiques plus forte que la pluie à Seattle en automne.

La réaction des femmes et des médecins

Sa référence à un « véritable » viol a déclenché un grand tollé, faisant ressurgir les anciens doutes sur les accusations des femmes et la culpabilité des hommes dans de telles affaires.

Est-ce que Todd Akin entend par là que si une femme tombe enceinte après ce qu’elle dit être un viol, cela veut en fait dire qu’elle était consentante ? Difficile à dire.

L’avortement au cœur de la campagne

Mais ce qui paraît en revanche évident, c’est que ce député, encore inconnu du public il y a quelques jours, a peut-être remis le débat dans la campagne présidentielle.

Mitt Romney s’est empressé de prendre ses distances avec les propos de Todd Akin :

« Les propos du député Todd Akin sur le viol sont insultants, inexcusables, et pour dire vrai, erronés », a déclaré  le candidat lors d’une interview avec National Review Online. « Comme des millions d’autres Américains, nous les trouvons offensants. »

Une campagne républicaine qui le désavoue

La campagne du candidat s’est également détachée de cette déclaration :

« Le gouverneur Romney et le député Ryan ne sont pas d’accord avec les paroles de M. Akin, et un gouvernement Romney-Ryan ne s’opposerait pas à l’avortement en cas de viol », a écrit par communiqué une porte-parole de la campagne, Amanda Henneberg.

La punition du député : le Parti républicain ne le soutient plus financièrement pour sa course au Sénat, une situation favorable pour Claire McCaskill, qui gardera probablement sa place.

Les conséquences sur le duo Romney-Ryan

Mais la vraie punition retombera surement sur Mitt Romney et Paul Ryan.

Les compères auront du mal à se détacher de précédentes déclarations sur l’avortement et le viol, et encore plus à éviter la résurgence de la conviction des féministes qui se sentent attaquées par le Parti républicain.

Mitt Romney, homme varie

Mitt Romney, au début de sa carrière politique, avait déclaré être « effectivement pour l’avortement ». En 2002, alors qu’il cherchait à être gouverneur du Massachusetts, un Etat très libéral, il avait annoncé qu’il comptait « préserver et protéger le droit d’une femme à choisir ».

Ce n’est apparemment plus le cas. Il se décrit désormais comme catégoriquement contre. D’ailleurs, cinq ans après son serment de ne jamais interférer avec les droits en matière de procréation, il s’est déclaré « ravi » à l’idée de signer un projet de loi pour interdire l’avortement au niveau national.

Paul Ryan, un colistier tranché contre l’avortement

Pour Paul Ryan, catholique, l’opinion est encore plus tranchée. Résolument opposé à l’avortement, il est aussi contre l’aide financière au Planning Familial, et c’est auprès de Todd Akin qu’il a co-sponsorisé un projet de loi visant à réduire la définition du viol, provoquant ainsi un tollé au sein des groupes féministes.

Pas facile de revenir là-dessus.

De l’ignorance et des mensonges

« Le cas de Todd Akin n’est malheureusement ni le premier ni le dernier du genre », explique le docteur Sophia Yen, pédiatre à Sunnyvale, en Californie. Elle est à la tête d’une organisation à but non lucratif qu’elle a créée, Trust Women, vouée à la prévention de la grossesse chez les adolescentes. « C’est effrayant et dangereux que ces mensonges soient propagés et que les personnes supposées représenter nos intérêts au gouvernement soient en fait des politiciens aussi naïfs que menteurs. »

« Une guerre contre les femmes »

« C’est clairement une guerre contre les femmes. La dernière session parlementaire s’est concentrée sur les « questions concernant les femmes » comme la contraception et l’avortement. J’ai envie de dire « occupez-vous de l’économie, pas de mon utérus ». »

Elle force peut-être un peu le trait, mais pas de beaucoup. Des questions telles que l’extension du Violence Against Women Act, l’obligation de subir des écographies lourdes et poussées avant d’envisager l’avortement et d’autres sujets liés à la santé de la femme ont été chronophages cette année au Congrès.

La peur de voir les droits des femmes se réduire

« On ne réalise que nos droits nous ont été retirés que lorsqu’il est déjà trop tard », souligne Sophia Yen. « Les jeunes sont trop confiants. »

A 41 ans, elle n’est pas vraiment encore grand-mère, mais le docteur Debra McKinnon, médecin urgentiste à Moscow, dans l’Idaho, se souvient des années 60 :

« Je parle aux jeunes femmes qui viennent, autant que mon statut de médecin me le permet. Je leur dis : « Regarde autour de toi : es-tu sure d’avoir le droit sur tes fonctions reproductives dans le futur ? Si tu n’es pas maître de ton propre corps, tu ne peux pas l’être de tes études, de ton travail, tu ne peux pas être maître de la situation économique de ta famille ». »

Même les femmes républicaines s’indignent

Sophia Yen et Debra McKinnon sont démocrates, mais les femmes républicaines aussi se sentent menacées. Sue, une résidente de Tucson, qui n’a pas souhaité donner son nom de famille, affirme avoir dû s’opposer à ses amis et à sa famille pour l’élection.

« Mon mari est Républicain. Mais je suis une mère, une femme, une professionnelle de santé. Je suis contre le programme républicain. Je vois bien ce qu’il se passe, et je dois penser à ma fille. »

Rick Santorum, extrémiste et fier de l’être

Romney et Ryan sont sur la corde raide en ce qui concerne les questions sur les femmes, mais l’espoir déchu des Républicains, Rick Santorum, exprime des propos ultra-conservateurs depuis des mois déjà.

N’étant plus à la recherche des votes, il a formé un groupe à but non lucratif, et cherche à recevoir le plus de donations possible. Il s’oppose farouchement à la réforme de santé d’Obama, surtout la partie qui prévoit que les employeurs paient pour les moyens de contraception de leurs employées. Pour lui, cette réforme encouragerait au péché.

Des paroles qui n’aident pas les Républicains

« Nous avons un Président, qui, pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, s’attaque ouvertement au Premier amendement et à la liberté de religion. Il force les dirigeants d’entreprises à faire ce qui est contre leur volonté et leur conscience… Si vous êtes catholique… il faudra aller vous confesser. »

Ses bons offices pourraient compliquer les affaires de la paire Romney-Ryan.

Obama, l’idole des femmes

La campagne d’Obama n’a pas tardé à rebondir sur cette « erreur » pour redorer son blason auprès des femmes, qui placent déjà le Président comme favori. Selon de récents sondages, les femmes actives sans enfant lui donneraient 20 points d’avance, un peu moins pour les autres, mais une avance tout de même considérable.

Lors d’un briefing de presse surprise à la Maison Blanche, le Président a qualifié les propos de Todd Akin d’« ahurissants » et a reconnu penser que le candidat républicain ne partageait pas ce point de vue.

L’homme qui sait comprendre la population féminine

Il a néanmoins réussi à placer une pique à l’encontre de son adversaire :

« Il y a une différence d’approche très importante [entre nos deux partis]. Il ne devrait pas y avoir un ensemble de politiciens, qui plus est majoritairement des hommes, qui prendrait des décisions sur la santé des femmes à leur place. »

Une déclaration à laquelle Sophia Yen, Debra McKinnon, et bon nombre de femmes ne trouveraient qu’à répondre « amen ».

GlobalPost / Adaptation Amélie Garcia – JOL Press

Quitter la version mobile