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Chili, Pérou, Bolivie: chronique d’un éternel litige de frontières

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La très sensible question des frontières

La divulgation récente d’un projet de défense militaire chilien a envenimé la situation déjà tendue entre Santiago et Lima. Dans ce projet, le président chilien, Sebastian Piñera, estimait que le pays devait être paré à l’éventualité d’un conflit armé.

La Republica, un journal péruvien relayeur de la fuites, cite ainsi le document, intitulé Stratégie de Sécurité nationale et de Défense : « Le Chili pourrait très bien se retrouver enveloppé dans une crise internationale, et n’est pas à l’abri d’un conflit armé. En conséquence, le pays doit pouvoir se reposer sur des moyens de dissuasion adaptés à une situation de légitime défense. »

Loin d’être belliqueux, ni même spécifique, ce rapport pourrait très bien passer pour de la simple paperasse bureaucratique. Pourtant, le document a tiré sur une corde sensible au Pérou, pays dont la sanglante rivalité historique avec le Chili tient une place majeure dans la psychologie nationale, baséee sur les souvenirs d’annexions territoriales passées et de conflits de paternité autour du pisco, cette liqueur à base de raisin produite dans les deux pays.

Mais surtout, le rapport a fuité dans le contexte de l’attente d’une décision de la Cour internationale de Justice de la Haye quant au litige frontalier maritime qui oppose les deux pays. Saisie par le Pérou, la Cour devrait rendre son verdict début 2013.

Entre apaisement et paranoïa

Chez les deux pays rivaux, on s’attend à ce que ce soit le Pérou qui remporte son procès. Sebastian Piñera et Ollanta Humala, son homologue péruvien, ont tous deux indiqué que leurs pays respecteraient la décision de la Cour. Mais des deux côtés, certains politiciens parfois très bien placés refusent de suivre les deux hommes dans la voie de l’apaisement. Ainsi, les deux Ministres de la Défense ont évoqué la possibilité d’un conflit armé, hypothèse que la plupart des analystes estiment improbable.

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Avant de devenir Président et de modérer son discours, Ollanta Humala était d’ailleurs plutôt radical. Ainsi en 2007, il avait mené une marche de protestation à la frontière chilienne, pour dénoncer l’attitude chilienne dans le litige frontalier maritime. Ses détracteurs l’avaient alors traité de populiste, l’accusant d’accentuer inutilement les tensions.

Mais au Pérou, d’autres protagonistes n’ont pas suivi l’évolution de leur Président. Ainsi, Hugo de Zela, un ancien ambassadeur, a commenté dans La Republica le document chilien en ces termes : « [Ce texte] est étrange, déconcertant mais surtout subtilement menaçant. »

Il a également déclaré que le rapport ne correspondait pas aux propos apaisants du président chilien, car il ouvre la voie à la légitimation d’une « course aux armements qui romprait l’équilibre non seulement avec  les pays voisins, mais également avec toute la région. » Contactés par Global Post, ni le Président chilien, ni son Ministre de la Défense, n’ont accepté de répondre aux allégations d’Hugo de Zela.

Le Chili au cœur des tensions régionales

Les Péruviens comme les Boliviens se méfient en tous cas de leur voisin chilien. Il faut dire que, dès leur plus jeune âge, on enseigne aux enfants des deux pays la Guerre du Pacifique, ou guerre du nitrate, qui a opposé le Chili et l’Argentine au Pérou et à la Bolivie, de 1879 à 1884. Au terme de ce conflit, le Chili a annexé unilatéralement des zones riches en ressources minières qui appartenaient aux deux pays.

Dans le cas de la Bolivie, c’est ainsi une fine bande de terre, le département du Litoral, qui a été confisquée. Fine bande de terre qui constituait le seul accès à la mer pour lui. La volonté d’annuler cette annexion est d’ailleurs sans doute le seul point commun existant entre les programmes d’Evo Morales et ceux de ses farouches adversaires conservateurs.

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Ces derniers mois, dans le but d’apaiser les Boliviens, le gouvernement chilien a proposé à Evo Morales d’installer un port bolivien exempt de taxes sur ce territoire disputé. Ce qui n’a servi qu’à encourager les velléités boliviennes : en effet, le gouvernement bolivien se prépare à poursuivre le Chili devant la CIJ, et cette ouverture chilienne a été interprétée comme un signe d’inquiétude de la part de Sebastian Piñera.

La très relative course aux armements

Ces disputes interviennent dans le contexte d’un niveau de dépenses militaires très élevées de la part du Chili, qui sont proportionnellement au PIB bien plus élevées que dans les autres pays de la région. Ainsi, l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) a décidé de publier l’ensemble des chiffres de dépenses militaires dans la région, afin de promouvoir la transparence, mais également de mettre la pression sur le Chili. Car bien que le rapport ne sera publié qu’en août, on estime déjà que les Chiliens dépensent deux fois plus que le Pérou en la matière.

Historiquement, la région a été longtemps ravagée par des conflits armés causés par des différends frontaliers, le dernier en date ayant opposé Pérou et Equateur en 1995. L’Histoire ne se répètera probablement pas, mais certains chiffres pourraient inquiéter. Ainsi, de 2006 à 2010, la somme des dépenses militaires annuelles des pays de l’UNASUR est passée de 17 à 33 milliards de dollars. Dans ce total, le Chili représente 9% des dépenses, le Pérou, 4%.

Attention toutefois, car dans l’absolu, ces sommes restent très faibles et contredisent la crainte péruvienne d’une course aux armements. Dernier exemple, le Parlement chilien est en train d’envisager l’abrogation de la loi de 1958 qui octroyait automatiquement à l’armée 10% des revenus étatiques liés à l’exploitation du cuivre, et ce, alors même que les prix du fameux métal sont en pleine augmentation.

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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