Site icon La Revue Internationale

De l’importance d’un bébé dragon

dragon.jpgdragon.jpg

[image:1,f]

Taipei, Taïwan. « Je n’ai plus de relations avec mes parents et ma femme est en dépression. Foutue année du dragon ! »

C’est en ces termes que Justin Lin, un employé d’une centrale électrique, a décrit sa déception suite à l’échec des tentatives de sa femme et lui d’avoir un bébé pendant cette année pourtant propice, à en croire le zodiaque chinois.

Les grands-parents réclament des bébé dragons

« Nous ne voulions pas d’un autre enfant, mais mon père a tellement insisté pour avoir un petit-fils né pendant l’année du dragon que ma femme a finalement cédé. Mais lorsqu’elle n’a pas réussi à tomber enceinte, ils ont décrété que c’était de sa faute. Nous sommes tellement stressés qu’elle a cessé de s’alimenter et que j’ai recommencé de fumer », explique-t-il, tirant une bouffée de sa cigarette Longlife.

L’ironie du nom de sa cigarette ne lui échappe pas, à lui qui habite dans le même immeuble que ses parents : « S’ils ne me tuent pas, elles le feront », dit-il en faisant référence à ses parents puis à son paquet de cigarettes.

Le prestige du dragon

Justin Lin a eu bien des problèmes cette année, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.  Et c’est une bonne nouvelle pour Taïwan, qui, depuis des années, tente de faire remonter son taux de natalité, l’un des plus faibles au monde. Dans la culture chinoise, les enfants nés pendant l’année du dragon, qui a débuté le 23 janvier 2012, sont censés être dotés de grandes doses de force et de chance. Ils seraient également destinés à exceller au niveau académique.

Ce sont ces qualités exceptionnelles qui provoquent un réel baby-boom à Taiwan.

Un vrai baby-boom de dragons

Selon le ministère de l’intérieur, 107 508 nouveau-nés ont vu le jour en seulement six mois, une hausse de 17,29% par rapport aux premiers six mois de l’année dernière. Le conseil pour la planification économique et le développement estime que les naissances de 2012 donneront un an de sursis à Taïwan avant d’entrer officiellement dans le club des sociétés vieillissantes en 2018.

Un taux de natalité en berne

C’est un coup de fouet bien nécessaire pour un pays qui a vu son taux de natalité tomber à 0,9 enfant par femme en âge d’enfanter en 2011. Ce chiffre, le plus bas au monde, a poussé le président Ma Ying-jeou à considérer le taux de natalité en berne de l’île ainsi que sa société vieillissante comme des problèmes de « sécurité nationale ».

« Je suis très inquiet que, sans force ouvrière suffisante, nous soyons forcés de la chercher à l’étranger et qu’alors tout devienne encore plus compliqué » a-t-il déclaré, selon un média local.

Une population vieillissante

14% de la population de l’île de 23 millions de résidents, soit 3,2 millions d’habitants, ont plus de 65 ans. Le conseil pour la planification économique et le développement estime que la population de Taïwan tombera à moins de 19 millions de personnes en 2060. Les experts annoncent que les conséquences économiques seraient dévastatrices.

A quoi la faute ?

Les choses n’ont pas toujours été ainsi. Dans les années 50, quand la population de Taïwan était majoritairement agricole, les femmes donnaient naissance à sept enfants en moyenne. Puis vint l’industrialisation rapide, un miracle économique qui transforma Taïwan en un « dragon asiatique », et une mutation plus récente qui changea une économie basée sur l’industrie en une économie basée sur le secteur des services.

Des couples qui pensent à survivre plutôt qu’à vivre

Les jeunes couples d’aujourd’hui sont confrontés à une foule de problèmes, tels que des salaires bas et des prix immobiliers montant en flèche, tant de soucis qui les encouragent à se concentrer sur l’obtention d’une bonne qualité de vie et à se focaliser sur leur carrière plutôt que de songer à élever des enfants.

Le gouvernement a créé un ensemble de mesures visant à encourager les couples à avoir plus d’enfants, comme une aide à la garde d’enfants, ainsi que des subventions pour l’éducation et la santé. Pourtant, certains estiment que ces mesures sont trop faibles et arrivent trop tard.

Des salaires très bas, le vrai problème ?

« Ces aides ne sont pas suffisantes pour réduire les coûts liés à un enfant. Mais le vrai problème se situe au niveau des salaires trop bas, et le gouvernement ne veut rien n’y faire. Ils parlent aussi d’ouvrir les frontières pour stabiliser le taux de natalité par l’immigration. Mais qui voudrait habiter ici, avec des salaires si bas ? » s’interroge Chen Ming-li, un publicitaire ayant déménagé avec sa famille à Hong Kong en 2009.

La Chine profite aussi du dragon 

Au-delà du détroit de Taïwan, large de 180 km, la Chine connaît elle aussi le baby-boom du dragon, malgré sa politique souvent décriée de l’enfant unique. L’agence de presse chinoise, Xinhua, tenue par l’Etat, a annoncé qu’une hausse de 5% des naissances aurait lieu cette année. Bloomberg souligne que les ventes de produits liés à la maternité et aux bébés explosent ; information confirmée par la chaîne télévisée Channel NewsAsia, basée à Singapour, qui soutenait, en juillet, que les stocks de lits pour enfants s’épuisaient à Pékin, du fait d’une trop forte demande.

Un taux de natalité plus haut malgré les avortements

Mais la Chine est en meilleure forme que Taïwan. Même si les avortements forcés et les stérilisations font beaucoup parler d’eux, le taux de natalité en Chine serait de 1.6. Les peurs d’une société vieillissante sont minimes en comparaison de leur voisin outre-mer.

La transition de la Chine d’une économie basée sur l’industrie et l’exportation à une économie basée sur les services et la connaissance, surtout alors que la consommation grimpe, devrait atténuer les répercussions économiques.

Taïwan, qui prévoit encore 230 000 naissances avant la fin de l’année, s’attend à subir le creux de la vague l’année prochaine et peut-être même les suivantes, d’autant que le calendrier lunaire ne s’annonce pas aussi clément pour les années à venir.

Des dragons favorisés

Des recherches ont prouvé que les parents donnaient plus de leur temps et de leur affection aux enfants dragons. Une étude datant de 2011 de la George Mason University (dans le comté de Fairfax, en Virginie) montre que les bébés dragons américains d’origine asiatique sont en moyenne en avance de six mois dans leur éducation que ceux qui ne sont pas nés lors de l’année du dragon.

« La croyance de la supériorité des enfants nés pendant l’année du dragon se réalise en elle-même » explique John Nye, professeur en économie, au sein d’une histoire postée sur le site de l’université. « Les caractéristiques démographiques associées à des parents plus volontaires et aptes à planifier leurs naissances vont de pair avec un plus grand investissement dans la réussite de leurs enfants. »

Mais quelques fois cet investissement ne paie pas.

La dure vie d’un dragon

« Etre un enfant dragon c’est terrible. Tous les enfants dans ta classe sont portés sur la compétition et travaillent plus dur. C’est plus difficile d’entrer à l’université car les résultats de cette année sont plus hauts et qu’il n’y a qu’un certain nombre de places offertes » se lamente Kelly Liu, fonctionnaire, elle-même bébé dragon de l’année 1976.

« Je me demande toujours si mes camarades de classe auraient été plus cool et moins stressés si j’étais née un an après. A y réfléchir, les parents gagneraient à éviter d’avoir des bébés dragons pour qu’ils ne soient pas confrontés à une telle compétition. »

GlobalPost / Adaptation Amélie Garcia – JOL Press

Quitter la version mobile