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Jacques Portes: «Romney et Obama engagent le sprint final»

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L’élection présidentielle américaine est un véritable marathon. Après plus d’un an de campagne et de longues primaires côté républicain, Barack Obama et son adversaire Mitt Romney abordent la dernière ligne droite. Pour l’instant, le Président sortant jouit d’un léger avantage à en croire les sondages, mais les chiffres se resserrent dans les Etats-clés. Rien n’est joué. Qu’en pense Jacques Portes, spécialiste de l’histoire de l’Amérique du Nord ? Nous lui avons demandé.  

JOL Press : Ces conventions nationales des deux principaux partis, peut-on considérer qu’elles correspondent au lancement du sprint final avant la présidentielle du 6 novembre prochain ?

Jacques Portes : Oui, en quelque sorte. Traditionnellement, les choses sérieuses débutent au lendemain du Labor Day – la fête du travail -, fixée au premier lundi de septembre, le 3 en 2012. A partir de là, les candidats entament deux mois d’une campagne intensive, ponctuée, notamment, de débats télévisés les opposant.

JOL Press : Ces conventions, ce sont aussi des moments particuliers dans la vie de ces partis, organisations assez informelles et décentralisées. Un grand raout où se retrouvent militants de tout le pays, une fois tous les quatre ans…

Jacques Portes : Oui, ces conventions sont des réunions de militants. Jusque dans les années 60 ou 70, elles étaient véritablement le moment où le candidat était choisi et le nom de son vice-président annoncé. Aujourd’hui, elles ne servent plus à rien politiquement. S’ils seront formellement investis, les candidats sont connus. Mitt Romney fait déjà équipe avec Paul Ryan et Barack Obama a reconduit Joe Biden.

JOL Press : Cela reste un temps fort de la campagne, tout de même…

Jacques Portes : Oui, car, d’abord, la couverture médiatique sera considérable – et gratuite. Ils vont pouvoir parler au pays, présenter leurs projets.

Mais, surtout, de grands discours seront prononcés et les candidats vont s’attacher à convaincre et mobiliser tous leurs supporters. Il est essentiel pour eux d’afficher l’unité de leur parti. Les démocrates sont clairement tous derrière Barack Obama, comme c’est souvent le cas pour un président sortant. Mitt Romney a bien géré la sortie des élections primaires et, comme il a donné des gages aux conservateurs, cela devrait bien se passer. A moins que le Tea Party ne prenne le risque d’une surenchère radicale…

JOL Press : Justement, quel jugement portez-vous sur la campagne de Mitt Romney ?

Jacques Portes : Premier avantage, Mitt Romney dispose, aujourd’hui, de bien plus d’argent que son adversaire sortant – c’est rare et mérite d’être noté. Cela, il le doit à ses liens étroits avec certains réseaux d’influence. Et puis, comme la Cour suprême a supprimé le plafond des dépenses de campagne (NDLR : L’arrêt Citizens United v. Federal Election Commission du 21 janvier 2010), il en profite.

Il est certain qu’il ne démontre pas un très grand charisme et puis il a fait preuve de beaucoup d’opportunisme en changeant souvent de position sur les grands sujets. Il a débuté sa carrière, lorsqu’il était gouverneur du Massachusetts, sur des positions très modérées et aujourd’hui, contraint de donner des gages au Tea Party, il tient un discours de plus en plus droitisé.

JOL Press : Faire campagne à droite, voire à la droite de la droite, ce n’est pas le meilleur moyen d’accéder à la Maison Blanche, n’est-ce pas ?

Jacques Portes : Effectivement, traditionnellement, les campagnes présidentielles américaines se jouent au centre afin de séduire les indécis qui votent alternativement républicain ou démocrate et donne la victoire. Ce fut encore le cas en 2008 avec John McCain.

Cette année, on peut imaginer que la  campagne sera beaucoup plus tranchée, bipolarisée. Barack Obama est au centre gauche et, avec le choix du conservateur Paul Ryan comme candidat à la vice-présidence, Mitt Romney se situe franchement à droite. Et son parti et ses militants le poussent à aller encore plus à droite en proposant, par exemple, d’interdire l’avortement alors que c’est impossible – ou, en tout cas, ce n’est du ressort du niveau fédéral et donc de la Maison-Blanche.

JOL Press : Faut-il y voir le signe d’un virage à droite de toute la société américaine ?

Jacques Portes : Oui, depuis les années 90 – et la Révolution conservatrice de Newt Gingrich -, on assiste à un renforcement très net du conservatisme. Les idées nouvelles sont souvent des idées anciennes, remises au goût du jour. La réaction est en marche.

Ces réactionnaires ne sont pas majoritaires mais ils sont influents. Traditionnellement, le Parti républicain était un mouvement modéré. Dwight Eisenhower ou Richard Nixon étaient clairement des modérés. Aujourd’hui, la majorité des Républicains sont dogmatiques et conservateurs, voire ultra-conservateurs.

JOL Press : A l’image de Paul Ryan ?

Jacques Portes : Mitt Romney a sans doute jugé qu’il prenait moins de risque ainsi qu’en choisissant un Vice-président modéré. Il aurait risqué alors de voir son parti se diviser et de ne pas être suffisamment soutenu. Paul Ryan, sénateur, a de l’expérience et des qualités mais il est très conservateur.

JOL Press : Passons aux rangs démocrates. Quel jugement portez-vous sur la campagne de Barack Obama ?

Jacques Portes : Il est face à un dilemme. D’abord, il doit mettre en valeur son bilan, montrer qu’il est le mieux à même de sortir son pays de la crise mais aussi de gérer les questions internationales. Ensuite, il doit convaincre les électeurs qu’ils gagneront à le voir conserver son poste pendant quatre années de plus. Une des méthodes pour cela consiste à attaquer l’image de son adversaire, en démontrant, par exemple, les liens entre Mitt Romney et les milieux financiers ou en dénonçant ses positions conservatrices impossibles à mettre en œuvre…

JOL Press : C’est la situation classique du sortant aux Etats-Unis, comme dans toute élection démocratique à travers le monde…

Jacques Portes : Absolument, bilan et perspectives. Mais, il est aussi désormais un politique expérimenté et un as de la campagne électorale. En particulier – et il l’avait déjà démontré en 2008 -, c’est un maître d’Internet.

JOL Press : Et pourtant, il devrait perdre…

Jacques Portes : Jamais, un Président n’a été réélu avec un taux de chômage supérieur à 7,2%. En juillet, celui-ci était à 8,3%. C’est donc mal parti…

Sauf qu’il y a un précédent, Franklin D. Roosevelt dans les années 30… On compare suffisamment souvent ce que nous traversons avec la Grande Dépression pour imaginer que, défiant les statistiques, sur son bilan et son charisme, il coiffe Mitt Romney. Aujourd’hui, le scénario le plus probable est celui d’une victoire serrée de Barack Obama. Mais il débuterait son second mandat avec un Congrès qui resterait contrôlé par les Républicains – et réduisant considérablement ses marges de manœuvre. Une cohabitation à l’américaine.

JOL Press : Une crise internationale grave du type intervention en Syrie ou ouverture des hostilités entre Israël et l’Iran, cela servirait le Président en exercice ?

Jacques Portes : En général, ces crises n’ont des effets que secondaires. L’idée d’une « surprise d’Octobre » – un événement qui viendrait tout bousculer relève largement du mythe. Les deux scénarios que vous évoquez auraient très probablement un effet. Mais, lequel ? C’est difficile à dire. Le sentiment anti-iranien est encore très présent et on peut donc se demander comment réagirait l’opinion si les Etats-Unis laissaient Israël agir seul. Mais, dans tous les cas, Barack Obama pourrait démontrer ses qualités de leadership et pointer du doigt les théories un peu hasardeuses de « l’aventurier Romney ».

JOL Press : Chris Christie, côté républicain, et Julian Castro, côté démocrate, prononceront le « key note speech » – le principal discours de chacune des conventions en dehors de ceux des candidats -, comme Barack Obama en 2004. Est-ce qu’on a déjà le casting pour l’épisode présidentiel 2016 ?

Jacques Portes : Le gouverneur du New Jersey et le maire de San Antonio sont de grands espoirs dans leurs camps respectifs. Le premier est un conservateur moderne, le second plait aux minorités. Ils sont très jeunes et il est donc trop tôt pour savoir s’ils seront en position de se lancer dans la conquête de la Maison Blanche dans quatre ans. On peut pourtant imaginer que le tour de Chris Christie et Julian Castro viendra… 

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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Jacques Portes est professeur d’histoire de l’Amérique du Nord à l’université Paris 8 et membre de l’équipe MASCIPO, CNRS-EHESS.

Obama, vers un deuxième mandat ? , Armand Colin (13 juin 2012).

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