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Jeunesse grecque: partir ou subir?

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La crise grecque occupe l’espace médiatique, tel un lancinant leitmotiv d’une musique dramatique qui nous effraie. Chaque jour, la crise de la dette grecque revient dans le paysage audiovisuel, sur les antennes radiophoniques ou dans les colonnes des journaux. Des plans de sauvetage aux calendriers sans cesse remaniés, on devine un bras de fer ou le chantage, les injonctions et les arrière-pensées : autant de scènes récurrentes et de coups de théâtre dignes d’une tragédie… grecque. Peu d’espace est accordé à la situation des jeunes, de plus en plus nombreux à vouloir quitter leur pays en quête de travail et de meilleures conditions de vie. Comment la jeunesse d’un pays désigné comme la bête noire d’une Union Européenne qui se cherche peut-elle encore envisager son avenir, et sous quels cieux ?

Chômage : les jeunes frappés de plein fouet

Trouver un travail. Une tâche qui relève de l’exploit en Grèce ces dernières années. Les derniers chiffres parlent d’eux-mêmes : 23,1% de la population active souffrait du chômage en mai dernier, et ce taux explose chez les jeunes : 54,9% chez les 15-24 ans et 41,7% chez les 25-34 ans. Avec un chômage qui a plus que doublé depuis 2010 dans un pays qui entame sa 5ème année de récession, reste-t-il encore un avenir pour les jeunes en Grèce ?

« C’est très triste ce qui nous est arrivé », déplore Eirini, une étudiante de 28 ans qui a quitté la Grèce pour la France en 2007, après avoir fait toute sa scolarité à l’école franco-hellénique d’Athènes. «10, 20, 30 ans : cela va durer des décennies !» Car une crise de cette ampleur, « c’est le genre de cicatrice qui reste », déclare la jeune femme, qui explique avoir quitté son pays à un moment où c’était encore « l’illusion totale, avant que la bulle n’éclate ».

Comme Eirini, Eliza, 28 ans, est arrivée à Paris bien avant la crise. A chaque fois qu’elle retourne dans son pays, elle est frappée par le nombre de petits magasins qui ont fermé. Sur l’avenue Ermou, l’équivalent des Champs-Elysées à Athènes, c’est encore plus flagrant. Pour Eliza, le problème majeur est que « ceux qui subissent le plus les effets de la crise, sont les salariés, les retraités ou les petites entreprises, ceux qui ne sont pas à l’origine du problème ».

« Un cercle-vicieux »

« C’est un cercle vicieux » : ces mots reviennent sans cesse pour expliquer la situation actuelle du pays. Christina Mavridis, présidente de l’association « Jeunes Grecs Professionnels de Paris » – une structure visant à accueillir et à insérer les jeunes expatriés grecs dans la capitale – qualifie la situation de « déplorable ». Selon elle, le pays se retrouve « sans turn-over économique, les Grecs n’achètent plus, ne consomment plus ». On ne compte plus les entreprises qui mettent les clefs sous la porte. « La Grèce est entrée dans un cercle vicieux » : un chômage en hausse, une baisse de la consommation, de plus en plus d’entreprises en faillite… « Le tourisme a également baissé de 40 % cette année, et c’est notre première industrie ». Alors, « à quand une politique de redressement économique ? » s’interroge-t-elle.

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Jeunesse grecque : un avenir sans horizon ?

Ce qui est étonnant en Grèce aujourd’hui, c’est d’avoir un travail. Etre sans emploi, par contre, est une situation très courante, presque banale. Un jeune sur deux serait au chômage selon l’Autorité statistique grecque, alors décrocher un travail dans le contexte actuel est devenu une exception.

« Ici, la main d’œuvre ne coûte plus rien », explique Eirini.  « Les gens veulent garder leur emploi à tout prix,  et se font exploiter : plus d’horaires, sous payés… Il n’est pas rare  de voir des gens travailler 12 heures par jour pour des miettes de pain ». Les exemples abondent parmi son entourage. « Il y a toujours un proche qui vient de perdre son travail, qui n’est plus payé, ou bien qui compte partir à l’étranger ». La jeune femme se souvient d’un ami contacté par un employeur potentiel qui ne peut « rien lui dire sur les horaires ». Quant au salaire, de 450 euros par mois, il n’est pas sûr « que le premier  soit versé à temps ». Mais une occasion d’embauche comme celle-ci est rare. Alors, les jeunes acceptent, parfois même sans être payés, dans l’espoir que « les choses aillent mieux ». Les histoires comme celles-ci sont courantes.

Il y a aussi les plus chanceux, si l’on peut dire. Ceux qui ont un travail ou plusieurs à la fois. Des petits boulots, par-ci par-là, effectués par de plus en plus de jeunes diplômés, souvent à temps partiel, comme Maria qui a fait « de la radio, puis est devenue un temps vendeuse d’habits pour enfants ». Mais encore une fois, il arrive que le salaire ne soit plus versé, alors elle en cherche un nouveau.  

Christos, 32 ans, est musicien en Grèce et constate depuis quelques années qu’il  n’y a plus de travail dans la musique dans le pays. Et pour cause : « Lorsqu’un pays traverse une crise comme celle-ci, il n’a plus d’argent à mettre dans les arts ». Alors en attendant, il fait « quelques arrangements musicaux » et « quelques concerts ». Mais depuis le mois dernier, une idée lui trotte dans la tête. Comme de plus en plus de jeunes, il veut partir. « En France ou ailleurs », car selon lui « il n’y a plus de futur ici ».

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Ceux qui partent

Comme Christos, de plus en plus de jeunes grecs quittent le pays pour l’étranger en quête de travail et d’avenir. « Depuis 2009, début de la crise, tout ceux qui ont pu partir l’on fait », note Christina Mavridis. « Nous avons constaté une augmentation importante des Grecs à Paris soit pour recommencer des études soit pour essayer de trouver un travail ». France, Angleterre, Australie ou encore Canada… un nouveau courant migratoire des jeunes grecs se développe. Pour la plupart, ce sont des jeunes diplômés, souvent surdiplômés qui partent, « les futures têtes pensantes du pays », s’inquiète-t-elle : « Là où on en a le plus besoin d’eux, ils s’en vont ! ».

Les quelques amis d’Eirini qui sont encore en Grèce « comptent partir ». « J’ai beaucoup de gens autour de moi qui s’en vont. De l’école, il ne m’en reste plus que deux », remarque la jeune femme. Consciente que le pays « n’a plus grand-chose à offrir à ces jeunes », Eirini comprend tout à fait ceux qui veulent partir et tenter leur chance ailleurs : « Je suis partie, je ne peux pas juger les jeunes qui s’en vont à leur tour. A chaque fois qu’un ami part, je lui dis ‘bravo !’ car je sais qu’il aura de meilleures conditions de vie là où il ira ». De plus en plus de jeunes la questionnent sur les conditions de vie en France, « pour savoir si c’est un bon pays pour s’exiler ».

A l’arrivée… la désillusion ?

Les jeunes partent certes, mais est-ce mieux ailleurs ? La désillusion peut être grande à l’arrivée.

« Le piège pour les jeunes grecs en quête de travail est de considérer les autres pays européens, la France en particulier, comme un Eldorado », souligne Christina Mavridis.  A Paris par exemple, la présidente de l’association constate qu’en général, ils ne s’en sortent pas mieux : « Déjà les Français ont du mal alors imaginez les Grecs ! ». Mais à la différence de la Grèce, ailleurs ils ont « une visibilité et un espoir sur leur avenir ». Certains s’en sortent très bien alors que c’est plus difficile pour d’autres, mais les « jeunes Grecs sont de nature positive » et se battent pour leur avenir, rappelle-t-elle. Plus important encore : ils gardent espoir.

« On a l’espoir »

« Les gens sont inquiets, certes, mais il reste de l’espoir », explique Eirini. Une floraison d’associations a vu le jour en Grèce depuis le déclenchement de la crise de la dette. « Les gens sont solidaires » et des actions d’entraide sont menées au quotidien, comme ces fameuses boîtes que l’on trouve dans les supermarchés dans lesquelles les gens peuvent glisser des pièces pour aider les plus pauvres. D’autres initiatives ont été prises par des jeunes – encore une minorité – qui veulent exporter des produits régionaux à l’étranger, ou encore développer le tourisme alternatif dans le pays. « Les gens essaient avec les moyens qu’ils ont », ajoute l’étudiante. Selon elle, l’espoir et la volonté doivent permettre de « trouver des solutions pour se redresser » et non pas pour revenir dans la situation antérieure de la Grèce, car ce serait, « une illusion ».

« Une génération qui se bat »

Eliza, elle, voit une « génération qui se bat » au quotidien et qui « apprend de vivre avec moins qu’avant ». Certains jeunes Grecs, ont fait le choix réfléchi de rester, « pour se battre pour eux-mêmes, et pour un meilleur avenir pour le pays. ». Alors elle ne veut en aucun cas parler de génération perdue.

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Partir : un sentiment de culpabilité ?

Partir ou subir ? Le choix est difficile. Partir, en quête de travail et d’un avenir meilleur, en ayant le sentiment douloureux de laisser ses compatriotes, ou rester par solidarité et subir les effets d’une crise dont l’issue est incertaine. Même si Eliza est partie bien avant l’aggravation de la situation, elle sent très souvent que c’est « injuste ». « Lorsque je suis à Paris, j’ai le sentiment que je suis ‘à l’abri’ alors que ma famille et mes amis sont restés là-bas et se trouvent dans une situation plus ou moins difficile », explique-t-elle. Même si en quittant la Grèce il y a cinq ans, Eliza ne se doutait pas de ce que le pays allait traverser, elle reconnaît que lorsqu’on est éloigné de son pays et de sa famille dans une période comme celle-ci, « il y a toujours une partie de soi-même qui se sent mal ».

Eirini, partie également avant la crise n’a pas« mauvaise conscience ».  Elle n’est pas partie à cause de la crise mais car, selon elle, « le système éducatif et le système de santé  n’étaient plus dignes de ce nom en Grèce » : « Lorsque ton pays ne t’offre même plus ça, tu ne te sens plus chez toi ».

Comme elle, Christos, voit petit à petit les gens de sa génération partir, mais aucun d’entre eux ne se sent coupable, car ils n’ont pas de raison de l’être. Après tout, « cela devient une priorité » et puis « quand il n’y a plus d’autres solutions… »

Partis… mais solidaires

Emigrés ne signifie pas désolidarisés. Les jeunes Grecs expatriés ressentent souvent le besoin de témoigner leur soutien à leur pays : manifestations, associations, projets culturels… « Quand on est à l’étranger, on se sent encore plus impliqués. On a le besoin et la nécessité d’aider. » Eirini participe régulièrement à des manifestations et a surtout un projet en tête : réaliser un documentaire sur ce qui se passe en Grèce. Reste à trouver l’angle à traiter pour aborder un sujet si complexe. Certains jeunes se veulent même être ambassadeurs de leur pays, afin d’expliquer la situation grecque, loin des images véhiculées par les médias étrangers qui sont souvent trop loin de la réalité : « A chaque fois que j’ai l’occasion, j’essaie d’expliquer la situation telle que je la comprends moi, à travers les yeux de ma famille et de mes amis qui sont restés là-bas. » déclare ainsi Eliza.

Partir pour revenir

Pas un n’envisage de ne jamais revenir. « Le pays existe encore ! » s’exclame Eirini. « Je suis très fière d’être grecque, et même si je ne compte pas revenir maintenant, je me projette dans 20, 30 ans : je pense que c’est le meilleur pays pour vieillir ». Son pays et les Grecs surtout, « un peuple si généreux et très gentil »,  lui manquent quand elle est à Paris. Quant à Eliza, si elle décidait de retourner en Grèce dans quelques années, elle espère qu’il y aura un avenir pour elle là-bas. La jeune femme est consciente de la difficulté de la tâche mais « espère que, désormais, la situation ne puisse que s’améliorer ».

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