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La Chine abritera-t-elle la prochaine Silicon Valley? (2/2)

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Un élan patriotique ?

Tout d’abord, parce qu’elle voulait se rapprocher de ses parents. Mais également parce qu’elle estimait que le temps était venu pour elle de faire profiter la Chine de son expérience.

« Je me suis dit que si je ne partais pas maintenant, je ne quitterais jamais les Etats-Unis. » nous explique-t-elle. « J’ai senti que c’était le moment pour moi de contribuer. »

Comme beaucoup de tortues marines, Fan Li tire une grande fierté d’avoir mis ses compétences acquises à l’étranger au service de son pays. Selon l’enquête citée plus haut, plus de la moitié d’entre elles ont déclaré que l’idée d’aider leur pays à se développer était un critère de motivation très important dans le choix de leur retour.

Ou de meilleures perspectives de carrière ?

Mais pour d’autres, les motivations sont plus terre-à-terre, et sont axées autour des perspectives de carrièreWang Mengqiu est l’une d’entre elles. Il y a une dizaine d’année, cette femme est allée aux Etats-Unis décrocher une maîtrise en informatique de l’UCLA. Ensuite, elle a travaillé dans la Silicon Valley, au sein d’une start-up qui produisait des routeurs. Mais, quand la bulle Internet a éclaté, elle a estimé que ses perspectives seraient meilleures en Chine. Elle est donc partie avec son mari, lui-même une tortue de mer employée alors chez IBM.

Leur pari semble avoir porté ses fruits. Wang Mengqiu est vice-présidente d’une branche de Baidu tandis que son mari a décidé de lancer sa propre start-up, visant à créer un équivalent chinois à Pinterest, le site américain de partage de photo.

« Franchement, je ne pense pas que nous aurions eu les mêmes opportunités aux Etats-Unis. » nous confie-t-elle. « Je suis retourné voir mes amis dans la Silicon Valley le mois dernier. Ils faisaient tous la même chose qu’il y a dix ans. Rien n’a changé. Pourtant, ce sont des gens intelligents, mais il n’y a pas suffisamment d’opportunités là-bas. »

Elle poursuit en déclarant que, pour des raisons culturelles, il est plus simple pour un entrepreneur chinois de monter une affaire en Chine que dans la Silicon Valley : « Nous nous sentons davantage en sécurité ici. »

Entre censure et imitation : la Chine loin d’être un paradis du net

Pourtant, les inconvénients d’abandonner l’Ouest pour l’Est sont évidents. Tout travail, toute initiative, doit faire avec la censure Internet qui règne dans le pays. Et même le géant Baidu doit accepter de voir ses résultats de recherche limités dès qu’il s’agit de sujets sensibles.

Il est en fait pertinent de séparer l’Internet chinois de l’Internet en général, tant le premier est coupé, à bien des aspects, du monde extérieur.

Au-delà de cela, les entreprises technologiques chinoises sont encore largement considérées comme étant davantage imitatrices qu’innovatrices. Beaucoup des grandes « marques internet » du pays ne sont en fait ni plus ni moins que des concepts de la Silicon Valley adaptés au marché chinois. Ainsi, Youtube devient Youku, Twitter devient Sina Weibo et Facebook devient RenRen.

Un vaste laboratoire

Certes, cet environnement peut ne pas paraître très attrayant pour les vétérans de l’Internet libre américain. Mais une chose est sûre, les tortues de mer s’accordent pour dire que le secteur hi-tech en Chine est en pleine explosion. Et surtout, « grâce » à la fermeture du pays, elle dispose d’un monopole juteux sur l’ensemble des 500 millions de Chinois ayant accès à Internet. Un monopole qui est aussi un vaste laboratoire.

Pour Wang Mengqiu, simplement connaître les attentes de ce réservoir souvent simpliste d’utilisateurs représente un formidable défi qui nécessite une grande ingéniosité. Si les innovations viennent encore majoritairement de la Silicon Valley, les entreprises chinoises doivent rapidement savoir les adapter au marché chinois. Elle avance même que « ce processus est un genre d’innovation. »

Une concurrence acharnée pour un travail monstre

Et bien que la Chine ne dispose pas forcément des meilleurs programmeurs ou développeurs, elle compense selon la cadre supérieure par une formidable éthique de travail :

« Les gens ici travaillent beaucoup plus dur que dans la Silicon Valley. Quand je manageais à Google je disais : « Tiens voilà ton boulot, dis-moi quand ce sera fait. Ici, quand mes employés me disent qu’ils ont besoin de tel délai pour faire une tâche, je leur dis : « Non, ça doit être fait en deux fois moins de temps. » et ils me disent OK. Les gens sont davantage motivés. Ils font beaucoup plus de sacrifices personnels que dans la Silicon Valley. »

Etant donné la concurrence féroce qui règne pour les postes de cadres en Chine, un tel constat n’a rien d’étonnant. Ainsi, les talents locaux ont beaucoup plus de mal à trouver de bons emplois que les tortues marines, agressivement courtisées par le gouvernement. Dans le cadre de son programme « Mille talents », il offre une indemnité de 150 000 $, non imposable, à tout ingénieur ou cadre supérieur travaillant à l’étranger qui déciderait de retourner au pays.

Baidu, toutefois, favorise les recrutements locaux, qui sont devenus majoritaires. Le système éducatif chinois, extrêmement rude, concurrentiel et sélectif, laisse près de 30% de chômeurs derrière lui. Les gagnants de la scolarité sont considérés comme des battants. Pour Fan Li, c’est cet appétit de succès qui propulse la Chine au sommet du monde.

« C’est pour cela que la Chine se développe plus vite que les autres. Parce que nous travaillons plus dur. »

Et quand on lui demande si elle pense qu’un jour, les meilleurs ingénieurs du monde, y compris ceux issus du MIT, se dirigeront prioritairement vers la Chine, elle n’hésite pas une seconde : « Oui. En fait, toute la Chine est une gigantesque Silicon Valley. Partout, les gens lancent de nouvelles idées. Beaucoup d’entre elles échoueront, bien sûr. Mais parmi elles, il se pourrait bien que l’on ait le prochain Baidu. » 

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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