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La culture, victime collatérale de la crise

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Des musées prestigieux fermés en plein été

Le splendide Palais Barberini de Rome abrite entre autre l’une des plus grandes collections de la Renaissance. Mais, en ce dimanche étouffant, les chefs d’œuvre de Raphaël et du Caravage n’étaient pas accessibles aux visiteurs : « Fermé pour manque de personnel », indiquait un panneau.

Les visiteurs se sont alors mis à cribler de questions les employés présents du Palais : comment se fait-il qu’un lieu aussi important n’ait pas suffisamment de personnel à disposition en pleine période estivale ? En réponse, des sourires, des moues gênées, quelques haussements d’épaule.

Finalement, un officiel visiblement haut-placé fait son apparition. Et, pour couper court aux questions, il lâche : « Pourquoi ? Pourquoi ? Mais parce que la mère Merkel ne nous permettra pas de rester ouverts ! » Son sourire, on le voit, est exaspéré.

La rigueur, fossoyeuse de la culture

Certes, la chancelière allemande n’a certainement pas demandé en personne à ce que le Palais ferme. En revanche, cela montre à quel point la rigueur budgétaire imposée partout en Europe par l’Allemagne mord profondément dans les financements de la culture. La culture, une cible facile lorsque les Etats ne parviennent même plus à trouver l’argent pour maintenir écoles et hôpitaux à flots.

Ces dernières années, l’Italie a diminué ses dépenses culturelles de presque un tiers. En Grèce, le budget consacré à l’art a chuté de 35%, et l’autrefois très puissant ministère de la Culture a été forcé de devenir une simple succursale du ministère de l’Education.

En Espagne, la situation n’est pas plus reluisante : une étude publiée par la Fundacion Ideas, un think-tank madrilène, estime que les coupes budgétaires de plus en plus nettes dans le domaine de la culture pourraient à terme mener à la disparition de 60 000 emplois.

Les artistes espagnols sont également descendus dans les rues pour protester contre le projet du gouvernement d’augmenter les taxes sur la vente des places de théâtre et de cinéma, craignant qu’elles ne coulent définitivement ces deux secteurs.

L’acteur Javier Bardem est en pointe de ces contestations. Pour lui, « c’est la goutte d’eau » : « Cela va empêcher l’accès à la culture, ce qui est pour beaucoup l’un des rares moyens de s’échapper un peu de la crise. […] Cela représente un fardeau considérable pour le présent et l’avenir du pays. »

Au Portugal, le gouvernement a l’intention de fermer la fondation qui pilote la Casa das Historias, le célèbre musée d’art moderne de Cascais, une ville balnéaire de la banlieue de Lisbonne. Le maire de la ville, un ancien ministre influent du parti au pouvoir, est immédiatement monté au créneau au micro de la TSF : « C’est un acte de sauvagerie, de la même teneur que la destruction des Bouddhas [de Bâmiyân] par les talibans. »

Le patrimoine italien en danger

Les Italiens, eux, ne cessent de reprocher à l’Etat les coupes budgétaires, coupables à leurs yeux d’une série de dommages culturels. Du refus d’entamer les réparations et rénovations vitales aux ruines de Pompéi jusqu’aux menaces de fermeture qui planent sur le MAXXI de Rome, ce musée d’art contemporain dessiné par la célèbre architecte Zaha Hadid et inauguré en grande pompe il y a seulement 2 ans, les perspectives culturelles inquiètent.

Cela est d’autant plus grave que l’Italie affiche la plus grande concentration mondiale de sites inscrits au patrimoine de l’UNESCO. Son gouvernement n’a plus d’autre choix que de se tourner vers le secteur privé.

Le retour du mécénat

Diego Della Valle, le milliardaire fondateur de Tod’s, fait partie de ces mécènes des temps modernes. Il a ainsi financé la restauration, longuement retardée, du Colisée (25 millions d’euros) après avoir fait de même pour celle de la Scala de Milan, le célèbre théâtre du XVIIIème siècle.

Mais le gouvernement est toujours en quête d’autres partenaires issus du secteur privé : les palais vénitiens, les temples grecs de Sicile ou encore la villa romaine de l’Empereur Hadrien sont autant de motifs d’inquiétude à ses yeux.

Et, évidemment, ce recours de plus en plus systématique au secteur privé ne fait pas que des heureux. Certes, certains se réjouissent de voir ainsi renaître l’esprit du mécénat sans lequel la Renaissance n’aurait pas été possible. Mais d’autres, en revanche, s’inquiètent que le patrimoine italien puisse un jour faire l’objet d’une vulgaire commercialisation.

De prestigieux panneaux publicitaires

Ainsi, le Palais des Doges de Venise, mais également le Dôme de Milan, se sont vu affublés de panneaux publicitaires géants faisant la promotion de banques, de boissons gazeuses ou encore de vêtements, ce qui a provoqué un concert d’indignations.

Malgré tout, la voie italienne fait des émules. Le gouvernement grec a ainsi prévu de louer ses sites historiques à des compagnies cinématographiques ou publicitaires, tandis que le Portugal est à la recherche de sponsors pour ses monuments et ses musées.

L’administrateur du patrimoine portugais, Elisio Summavielle, s’en est récemment justifié auprès de Público, un journal portugais : « Pour certains, faire des affaires c’est sale. Pas pour moi. Nous ne devons pas avoir peur de penser le patrimoine comme une entreprise. »

Quand la culture meurt, la contre-culture naît

Mais le fait est que la culture « officielle » est de plus en plus mise sous pression. Dans ce contexte, on ne peut pas s’empêcher de jeter un œil vers le théâtre radical grec, les rappeurs révolutionnaires espagnols ou encore l’originalité artistique de certaines manifestation italiennes. Et de penser que la crise actuelle pourrait en fait être à l’impulsion d’une nouvelle contre-culture, comme ce fut le cas des cabarets allemands des années 1920 ou du mouvement punk à la fin des années 1970 à Londres.

Antonio Manfredi, le directeur du musée d’art contemporain de Casoria, près de Naples, a lui décidé de tirer la sonnette d’alarme d’une manière plutôt radicale. Il a en effet décidé de brûler 1000 tableaux de son musée pour protester contre les coupes budgétaires, avec l’accord des artistes concernés.

Il explique son geste de vandalisme auto-assumé dans son manifeste « La guerre de l’Art », qui dénonce et les coupes budgétaires et la marchandisation de l’Art : « Détruire [l’Art] par le feu, c’est lui dénier sa fonction initiale. […] C’est presque une forme de vandalisme, qui altère le sens originel [de l’Art] pour le transformer en vecteur de protestation sociale. »

La crise, elle, touche également la musique. La star du hip-hop d’origine cap-verdienne, AC Boss, en a profité pour sortir le tube de l’été au Portugal. Normalement, ces chansons qui fleurissent chaque été se contentent simplement d’être « chaudes » et ne s’illustrent pas par des paroles très profondes. Mais dans un tel contexte, tout diffère. La chanson d’AC Boss est au final plus spirituelle qu’elle n’y paraît : « C’est l’été, je veux m’éclater ! Mais j’ai pas un rond alors donnez-moi un taf maintenant maintenant maintenant ! »

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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