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Les secrets des Kenyans, meilleurs coureurs du monde

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Perchés dans les montagnes

C’est le début d’une journée habituelle…dans un endroit très inhabituel. Le ciel est sombre, froid et humide et un brouillard épais enveloppe les montagnes. Des enfants, habillés d’uniformes gris, marchent en ligne le long d’une route sale. Soudain, un groupe de coureurs en survêtements colorés passe rapidement devant eux.
Ce sont les meilleurs athlètes du monde, et ils sont ici chez eux. Le petit village kenyan de Iten, situé à deux kilomètres au-dessus du niveau de la mer, est l’endroit où plus de 800 coureurs du pays (y compris les détenteurs de record olympiques et mondiaux) vivent et s’entraiinent. Ce petit village est devenu presque mythique, tant il a produit de champions, année après année.

Mais le Kenya se modernise, et les villageois se déplacent vers la ville. Ce véritable puits de talents commence à être à sec. Certains s’inquiètent même que la course perde en attraction. La domination du pays dans l’athlétisme pourrait alors entamer son déclin.

La course, véritable religion au Kenya

Le Kenya a régné sur les courses de moyennes et longues distances pendant des décennies. Rien que sur les douze derniers mois, ses coureurs ont gagné la plupart des grands marathons. Les vingt temps les plus rapides sont également détenus par des kenyans.

À Boston, l’un des marathons les plus difficiles, les Kenyans ont pris les trois places du podium, sur les épreuves féminines et masculines.

Patrick Mahau a d’ailleurs défini un nouveau record du monde en bouclant les 42 kilomètres en 2:03:38 heures au marathon de Berlin. Il ne fait pourtant pas partie de l’équipe olympique, ce qui montre l’étendue du talent kenyan en matière de course à pied.

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Des avantages génétiques ?

Ce qui les différencie des autres ? Certaines théories biologiques populaires, datant des années 1990 expliquent que les Kalenjins, d’où proviennent la plupart des champions, seraient avantagés par leurs attributs physiques. Il avait été constaté que les Kalenjins possédaient de longues jambes, des chevilles fines et un nombre plus élevé de globules rouges. Certains disent que leurs gènes leur donneraient de meilleures capacités à la course. Les résultats ne furent toutefois pas concluants, et les populations concernées rejettent ces hypothèses.

Un travail acharné

Johana Kariankei, un jeune Kényan de vingt ans originaire de Narok, dans la vallée du Rift, a été formé trois ans à Iten. Celui-ci s’est donc efforcé de s’entraîner comme ses condisciples en quête de médailles. Assis par terre, sur une piste de course poussiéreuse, il explique que ce qui distingue ces athlètes des autres, est juste le labeur. « Ils s’entraînent beaucoup, et ils sont tellement dévoués. De plus, Iten est le meilleur endroit au monde pour progresser. C’est une question d’altitude et d’attitude. »

Des installations obsolètes

Si on les compare aux normes occidentales, les installations sportives du Kenya sont insuffisantes. Il n’y a seulement que deux pistes olympiques dans le pays. Pourtant, celle d’Iten, qui produit un nombre impressionnant de champions, a été construite à la fin des années cinquante par les Britanniques et n’a guère changé depuis. Ce sont d’ailleurs les chèvres qui « tondent »  la pelouse de manière naturelle

On dit que les athlètes kenyans avaient ce don bien avant d’enfiler une paire de basket dans un stade. Les enfants courent sans cesse pour aller à l’école, pour chercher du lait ou du bois, pour chasser les chèvres errantes. Bref, tout le temps.
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Une habitude prise dès le plus jeune âge

« Lorsque vous commencez à courir pour aller à l’école, vous construisez une meilleure endurance dès votre plus jeune âge. Arrivé à quinze ans, vous aurez l’endurance nécessaire pour bien faire de l’athlétisme » explique Kariankei. « C’est pour cela que nous nous différencions des européens, qui prennent le bus pour aller à l’école ».

La course fait partie intégrante de la vie dans les prairies rurales du Kenya. Elle n’est d’ailleurs pas identifiée comme une activité en soi. La plupart des Kenyans vous diront qu’ils ne courent pas beaucoup. Mais au moment où les jeunes kenyans débutent leur formation de coureurs professionnels, ils ont parcouru déjà en moyenne 16 000 kilomètres de plus que leurs homologues occidentaux. Alors que ces derniers passent la première année de leur formation à « construire leur endurance »  –ce que les entraîneurs appellent les bases, les athlètes kenyans peuvent se concentrer sur le perfectionnement technique et l’obtention de résultats.

Les conséquences du développement urbain

« Au Kenya, le sport le plus important est l’athlétisme » indique l’entraîneur italien Renato Canova qui s’occupe des coureurs de Iten depuis 1998. « Tout le monde dans ce pays sait que si quelqu’un a du talent, il peut atteindre de meilleurs résultats, et vraiment changer sa vie ».

Mais alors que le Kenya se développe, des dizaines de milliers de jeunes se déplacent vers les zones urbaines chaque année, où la course ne fait pas partie de la vie quotidienne. Ce qui pourrait, à terme, menacer la prééminence du pays au niveau sportif.

« La connexion au mode de vie traditionnel est la principale raison qui explique pourquoi les kenyans sont de bons coureurs. Lorsque cette connexion disparaît, comme on l’a vu en Europe, il n’y a plus d’athlétisme. Si cela continue, il n’y aura plus de coureurs au Kenya » ajoute Canova.
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Les nouvelles possibilités offertes par le développement

Ian Kipruto, 13 ans, est un des nombreux enfants kenyans qui courent six kilomètres chaque jour pour aller à l’école. Il aime ça et comme ses amis, il admire les grands athlètes kenyans. Mais Ian ne veut pas être un coureur.

« C’est une tâche immense. Je ne ferais pas ce genre de carrière. Je veux être un ingénieur » déclare t-il. Ian porte un badge « Meilleur élève en anglais » sur son blazer, comme une preuve de ses capacités. Alors qu’il parcourt plusieurs kilomètres par jour, de plus en plus de lignes de bus, de routes et d’écoles se construisent et améliorent les conditions de vie. Mais cela veut aussi dire que moins d’enfants ont à courir pour rentrer chez eux.

Alors que les possibilités d’emploi se multiplient en ville, la course perd aussi son attrait en terme de revenus. Dans le climat économique actuel, les athlètes se plaignent d’un parrainage seulement mis en place pour l’élite. Ce qui réduit fortement les chances de succès pour les jeunes kenyans qui veulent tirer profit de leur rêve.

Le désir d’un autre avenir ches les petits Kenyans

John Kimaiyo, 38 ans, est un ex-coureur qui a vécu cette situation. Il a connu le parcours typique : repéré par l’armée lors d’une course organisée par son lycée, il fut rapidement enrôlé. En 2008, il se met à courir à temps plein. Modeste, il remporte quelques médailles dans des courses internationales et rejoint le prestigieux Belgrave Harriers Club de Londres. Mais il n’a pas pu payer ses factures bien longtemps. Il a désormais abandonné l’espoir de mettre son talent en pratique, et s’est engagé pour rejoindre la force d’élite de l’ambassade américaine à Bagdad.

« Au Kenya, tout le monde ne court pas, mais cela fait partie intégrante du mode de vie. Avant les gens couraient pour gagner leur vie. Maintenant, il y a tellement de nouvelles options » explique t-il.

John Kimaiyo voit un avenir différent pour ses enfants. Dans un pays développé, où la course ne sera pas indispensable à la survie.
« Si j’avais une voiture, j’amènerais mes enfants à l’école ,car je ne veux pas qu’ils courent comme j’ai couru »

Global Post/ Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

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