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Paul Ryan, le coup de poker de Mitt Romney

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Un parcours singulier

Dans le choix d’un colistier, susceptible de devenir son vice-président s’il emporte la Maison Blanche, Mitt Romney s’est autant attaché aux personnalités qu’aux positionnements politiques. Au vainqueur des primaires républicaines, certains reprochent sa richesse, acquise au moins autant par l’héritage que par le travail. L’ancien gouverneur du Massachusetts est à l’opposé de l’idéal américain du self made man, figure très estimée, et notamment chez les Républicains. Une image d’héritier qui lui colle à la peau et lui nuit fortement.

Paul Ryan, pour sa part, a un parcours plus proche de ce qu’on attend d’un « vrai Américain ». Issu d’une famille modeste, il n’a pas eu la vie facile. L’épisode le plus connu de sa « légende » est un drame familial : il a trouvé son père mort d’une attaque cardiaque, une épreuve qui l’aurait poussé à se jeter à corps perdu dans le travail et la lecture, mais aurait aussi suscité chez lui un grand intérêt pour les questions de santé.

Pour le Représentant du Wisconsin, la politique n’était tout au long de ses études et de sa jeunesse qu’un hobby : pour survivre, il a été contraint de multiplier les petits boulots, notamment professeur de fitness. Politiquement, il est alors très proche des libertariens d’Ayn Rand. Il s’engage finalement pour de bon en politique en rejoignant l’équipe Bob Kasten, figure républicaine du Wisconsin et s’établit alors à Washington.

Ensuite, il se fait remarquer en écrivant les discours de Jack Kemp notamment, alors candidat à la Vice-présidence pour les élections de 1996 – en tandem avec Robert Dole. Bob Dole est battu par Bill Clinton. Qu’importe, la carrière de Paul Ryan est lancée. Deux ans plus tard, il est élu à la Chambre des Représentants, pour ne plus la quitter. Rompu aux joutes politiques, l’homme se consacre aux questions budgétaires, dénonçant la moindre dépense. En mars 2012, sa proposition de budget pour l’année 2013 est adoptée. L’objectif en est que les dépenses publiques ne représentent que 3,75% du PIB d’ici 2050, contre 12,5% actuellement.

Une manœuvre politique

Avant de chercher à battre un adversaire, il faut faire en sorte d’être en ordre de bataille. Mitt Romney l’a bien compris. Considéré comme plutôt modéré, le candidat républicain est constamment menacé sur sa droite. Les plus radicaux des républicains le considèrent comme tiède, d’autres mettent en avant le flou, voire l’incohérence idéologique de ses positions. Autrement dit, sa personne est loin de faire l’unanimité au sein de son propre camp.

La nomination de Paul Ryan entend remédier à ce handicap. Le n°2 est tout ce que n’est pas Mitt Romney : vindicatif et idéologue. Il est principalement connu pour ses positions en faveur d’un équilibre budgétaire très strict. Diminution des impôts et rigueur drastique en matière de dépenses publiques, tels sont les composantes essentielles du crédo du jeune parlementaire.

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La manœuvre vise évidemment à pousser l’aile droite du Parti, et notamment les radicaux du Tea Party, à se rallier définitivement à la candidature de Mitt Romney. C’est donc le pari de s’approvisionner en voix à droite qui a été pris, alors que certains observateurs s’attendaient plutôt à un mouvement vers le centre, voire les femmes ou les latinos. Cette nomination est audacieuse, étant donné la jeunesse (42 ans) et l’originalité idéologique de Paul Ryan. Or, le manque d’audace est exactement ce que bien des Républicains reprochent au gouverneur du Massachussetts.

Son colistier est un homme énergique, vif – certains diront agressif. Son style est supposé apporter un vent de fraîcheur sur une campagne républicaine qui commence sérieusement à montrer des signes d’essoufflement. Ses convictions, elles, ont le mérite de détonner quelque peu et de rompre avec l’image policée et tiède du candidat républicain. Ressouder les Républicains et relancer la machine, voilà les buts du pari osé de Mitt Romney.

Un aveu de faiblesse ?

Car la manœuvre est bel et bien un pari osé. En effet, malgré son style et ses qualités politiques évidentes, Paul Ryan pourrait bien souffrir de certaines de ses particularités. Et nuire, par conséquence, à la campagne de Mitt Romney.

Tout d’abord, Paul Ryan est un catholique. Une question qui a son importance aux Etats-Unis : John Fitzgerald Kennedy avait souffert politiquement de son catholicisme. En soi, cela ne poserait pas de problème si, de son côté, Mitt Romney n’était pas mormon. Cette confession religieuse lui vaut déjà des critiques, ce qui ne va logiquement pas s’améliorer avec le choix d’un catholique à la Vice-présidence. De quoi peut-être affecter le ralliement de la droite du Parti républicain, mais aussi entraîner la défiance d’une partie de la population.

Ensuite, Paul Ryan n’est pas non plus une superstar de la vie politique américaine. Certes il a été médiatisé, certes il a une certaine expérience parlementaire. Mais il n’a, au final, exercé aucune responsabilité exécutive, et a passé le plus clair de son temps dans les couloirs du Capitole. A l’heure où Mitt Romney s’acharne régulièrement sur les « hommes de l’ombre » de la capitale américaine, le choix de l’un d’entre eux pour assurer la Vice-présidence peut étonner.

Surtout que plusieurs de ses actions parlementaires – il a par exemple voté en faveur du plan de sauvetage des banques en 2008 – apparaissent comme incohérentes avec l’image anti-Etat qu’il essaye de se donner. Ce qui a le don, une nouvelle fois, d’en exaspérer beaucoup à l’aile droite du Parti républicain.

Le Wisconsin enfin, ne pèse que très peu dans les élections présidentielles – seulement 10 grands électeurs. Bien qu’il y ait certains enjeux dans cet Etat – qui a largement voté pour Barack Obama avant d’élire un gouverneur républicain – il est loin de peser aussi lourd dans la balance que la Floride de Marco Rubio ou l’Ohio de Rob Portman. Pourquoi ne pas avoir nommé une star républicaine à la candidature à la Vice-Présidence ? Est-ce réellement le choix de l’audace ? Ou bien les gros calibres du Parti n’ont-ils pas hésité à se mouiller outre mesure dans une campagne qu’ils considèrent déjà perdue ? Et ce pour, déjà, se préparer pour 2016.

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