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Revaloriser la médecine générale pour prévenir les déserts médicaux

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« La lutte contre les déserts médicaux sera l’une des priorités du quinquennat » a déclaré Marisol Touraine le 1er juin 2012 en ajoutant qu’elle privilégiait la concertation et le dialogue plutôt que la contrainte. Quels sont les véritables enjeux de ces déserts médicaux ?

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Une répartition de l’offre de soins qui va se dégrader fortement dans les cinq prochaines années

L’analyse de la situation réelle de l’accès aux soins sur tout le territoire démontre que celui-ci reste encore convenable grâce en grande partie au professionnalisme des  médecins présents sur le terrain qui comblent les lacunes existantes en offre de santé. Cette situation risque de se dégrader rapidement et sensiblement dans les années à venir si des mesures pertinentes ne sont pas prises.  D’abord, le nombre de médecins est historiquement élevé sur l’ensemble du territoire avec près de 214 000 médecins actifs, dont 104 000 médecins généralistes et 110 000 médecins spécialistes. Cependant, les médecins en activité régulière ont diminué pour la première fois en 2009 (moins 2%) avec une densité médicale de 2,9 pour 1000 habitants (contre 3 pour 1000 avant). Du fait des choix politiques depuis 30 ans de baisser le numerus clausus dans les années 80 et 90 pour limiter le nombre de médecins (pensant par erreur que cela allait faire baisser les dépenses de santé), la baisse de la démographie médicale devrait être de l’ordre de 10% jusqu’en 2020 avant de revenir au niveau actuel en 2030.

Les étudiants en médecine choisissent le salariat

Ensuite, le mode d’exercice choisi ces quinze dernières années est majoritairement le salariat (hospitalier et non hospitalier) puisque celui-ci a progressé de 24% contre 6% pour l’exercice libéral sur cette période. Seulement 8% des internes sortis en 2009 ont choisi l’installation en libéral. L’évolution tendancielle du mode d’exercice va donc très nettement vers le mode salarial qui n’est pas le mode d’exercice utilisé en médecine ambulatoire, encore moins en milieu rural. Les besoins en médecins salariés sont surtout présents dans le domaine médico-social, en médecins territoriaux recrutés par les Conseils généraux ou les agences régionales de santé…

Ces spécialités qui n’attirent plus

De plus, la répartition des médecins sur le territoire est inégale avec une densité la plus faible en Picardie – 2,38 pour 1000 habitants – et la plus élevée en région PACA – 3,75 pour 1000 habitants – soit une différence maximale de 36% de densité médicale nationale. A l’échelon régional, on observe un gradient Nord/Sud croissant de la densité médicale mais une analyse plus locale montre que les territoires les plus sous-dotés sont certains bassins de population du centre de la France (très rural) et d’île de France (dans les banllieux). Outre la médecine générale, d’autres spécialités ne comptent plus ou peu d’inscriptions nouvelles : gynécologie obstétrique, psychiatrie, ophtalmologie, dermatologie, radiodiagnostic et radiothérapie, radiodiagnostic et imagerie médicale, avec de grandes disparités selon les régions. Le vieillissement des médecins en exercice va aussi accélérer l’apparition de déserts médicaux dans les zones déjà sous-dotées. L’âge moyen des médecins étant de 51 ans, un départ en retraite massif est à prévoir dans les 5 ans, surtout chez les médecins généralistes exclusivement libéraux dont 42% ont plus de 55 ans. Enfin, la féminisation du corps médical est en marche avec 39% des effectifs aujourd’hui et plus de la moitié dans 15 ans ; les femmes étant déjà majoritaire dans les nouveaux inscrits au tableau de l’ordre (52% en 2008). En synthèse, la situation tant décriée actuellement sur les déserts médicaux est pourtant très rose par rapport à ce qui nous attend dans les prochaines années. Les usagers doivent prendre conscience que les principales victimes de cette situation sont aujourd’hui les médecins libéraux qui pallient – par un allongement considérable de leur temps de travail et une dégradation de leurs conditions de vie personnelles et professionnelles –  afin d’assurer la continuité et la permanence des soins. Une fois l’ancienne génération partie à la retraite (dans les cinq prochaines années), des millions d’usagers n’auront plus de médecins à proximité.

Les solutions actuelles proposées pour pallier la désertification médicale sont inefficaces

La loi Bachelot de juillet 2009 a instauré un Contrat d’engagement de service public (CESP) à destination des étudiants en médecine, de la deuxième année des études médicales à la dernière année. Les signataires d’un CESP bénéficient d’une allocation brute mensuelle de 1 200 euros jusqu’à la fin de leurs études en contrepartie d’un engagement de pratiquer le même nombre d’années que leurs allocations dans une région sous-cotée et au tarif conventionnel. Pour un objectif de 200 contrats chez les étudiants et 200 chez les internes, on en était début 2012 à 143 contrats signés par des étudiants et 45 pour les internes. Des incitations fiscales, des hausses d’indemnités, des incitations financières pour créer des maisons de santé ont été mises en place sans résultat notoire. Si besoin en était, cela démontre que l’aspect financier n’est pas un levier suffisant pour mobiliser les jeunes médecins dans les régions en voie de désertification médicale.

La voie de la contrainte proposée par le Conseil de l’Ordre est ubuesque

Le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) a remis en cause fin mai 2012 la liberté d’installation des médecins (un des cinq principes fondateurs de la médecine libérale), préconisant de contraindre les jeunes praticiens à s’installer cinq ans dans la région où ils ont été formés. Ainsi, les jeunes médecins devraient démarrer leur carrière, après 12 ans d’études, dans des régions délaissées par leurs pairs. Cette injustice suffit déjà à condamner une idée bien étonnante de la part d’une institution qui a, dans tous ses rapports et déclarations précédents, condamné toute mesure contraignante. Outre cette injustice, faut-il rappeler que les territoires concernés  sont des lieux où les tous les autres services publics (écoles, postes, perceptions) ont disparu et où, pour certains, même la police n’y vas plus tant le niveau de violence et de non respect d’une autorité est manifeste. Rendre les jeunes médecins responsables des échecs de l’aménagement du territoire et des mesures incitatives des pouvoirs publics est déplorable de la part d’une organisation sensée défendre les intérêts et la dignité de la corporation médicale. Ce n’est que par l’incitation qu’on peut influer efficacement sur les décisions d’un agent économique dans la santé comme dans tout  autre secteur de la société. La ministre, Marisol Touraine, a récusé avec raison cette voie de la contrainte et préféré la concertation, qu’il serait cependant utile de nourrir d’un programme de propositions sur la refonte de la médecine générale.

Revaloriser la médecine générale pour rendre de nouveau attractif les conditions d’exercice du médecin généraliste

La perte d’attractivité de l’exercice libéral de la médecine générale représente le fond du problème du processus de désertification médicale. Or, la médecine libérale représente un pilier de notre système de santé qu’il faut redynamiser à l’aide de plusieurs moyens.

Les médecins généralistes, à partir d’une analyse des besoins de santé de la population d’un territoire et de l’offre de soins disponible, doivent posséder la capacité réelle de proposer aux agences régionales de santé une organisation territoriale pour mener à bien un  projet de santé adapté. C’est une approche bottom-up – du terrain vers les décideurs – et non top-down – des décideurs vers le terrain – qu’il faut adopter pour administrer l’offre de soins régionale. C’est malheureusement cette dernière qui est appliquée aujourd’hui avec des directives de la direction centrale de Paris appliquées indistinctement par les toutes les ARS, avec une marge de manœuvre des acteurs locaux quasi nulle. Un bon exemple est le développement de la télémédecine en France dont le déploiement est une caricature de rigidité technocratique. Le résultat est une absence d’équipements en e-santé dans  les régions les plus désertiques alors que les gains de productivité des soins pourraient y être colossaux. Les initiatives locales multiples de médecins technophiles sont systématiquement refusées pour cause de non conformité avec le projet central !

Laisser aux médecins le choix de leur mode d’exercice

Les médecins libéraux doivent se réapproprier le domaine de la prévention et de la santé publique en général actuellement pilotés par les pouvoirs publics ce qui nécessite de travailler en transversalité avec les médecins scolaires, les médecins du travail et le personnel paramédical. Les résultats désastreux en matière de santé publique ces dernières années (grippe H1N1, éducation pour la santé…) en témoignent. Tout en favorisant financièrement et juridiquement le regroupement des médecins, il est essentiel de laisser aux médecins le choix de leur mode d’exercice afin de répondre au mieux aux besoins de santé de la population. De plus, la création de nouvelles fonctions autour du médecin est nécessaire afin d’augmenter son temps médical et alléger son travail administratif. De nombreuses tâches peuvent être déléguées à un « assistant de santé » sur le plan administratif, médico-social ou paramédical. Ainsi, une redéfinition du champ d’activité des médecins généralistes est nécessaire, ce qui pose la question de la délégation de tâches avec les autres professionnels de santé. Enfin, la revalorisation et la révision des modes de rémunérations est un élément important du chantier, avec une évolution vers plus de diversification et de forfaitisation. Celui-ci doit être engagé qu’une fois les autres réformes opérées pour bien intégrer les nouvelles responsabilités du médecin traitant.

La profession médicale travers une période de crise si profonde qu’elle touche à son identité et son existence même. Si les dirigeants politiques et syndicaux ne prennent pas la mesure de cette crise, voire l’aggravent par des décisions inadaptées, ils donneront le coup de grâce à notre système de santé.  

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