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Sommet de la Francophonie : qu’attendre de François Hollande ?

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Le président de la République française, François Hollande, a longtemps maintenu le suspens avant d’annoncer, lors du discours de politique étrangère inaugurant la XXème conférence des ambassadeurs, sa participation au sommet de la Francophonie prévu à Kinshasa du 12 au 14 octobre. Si la politique a horreur du vide, il est évident que les affaires d’État ne se gèrent pas sur la base des sentiments. Les intérêts de la France et le courage politique ne pouvaient que conduire François Hollande, n’en déplaise aux participants du boycott dudit sommet, à prendre une telle décision. Mais le président français saura-t-il redonner espoir, à cette occasion, aux millions de Congolais sans pour autant cautionner un pouvoir non accepté par la grande majorité d’entre eux ?

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Le sommet de Kinshasa devra en principe constituer le cadre idéal, pour le président français, en vue de faire des propositions concernant un nouveau partenariat avec les pays francophones d’Afrique. Après le discours de Dakar[1]François Hollande devra chausser les bottes à la fois du général de Gaulle et de François Mitterrand, car une allocution fondatrice des relations constructives avec les pays du Sud, après celles de Phnom Penh[2] et de La Baule[3], est plus que jamais nécessaire.

Le courage politique et les intérêts de la France

En dépit de moult prises de position préconisant le boycott du sommet de Kinshasa, il faut reconnaître le courage politique de François Hollande dont l’absence dans la capitale congolaise aurait pu avoir plusieurs conséquences. Cela aurait fragilisé davantage la République Démocratique du Congo, le plus grand bastion francophone, au point de l’exposer aux menaces du Rwandais Paul Kagamé et de l’Ougandais Yoweri Museveni dont les parrains anglophones jouent un rôle important dans la crise humanitaire en cours dans la région des grands lacs. Cela aurait aussi porté préjudice aux velléités des entreprises françaises, intéressées par les énormes potentialités économiques de ce pays, au profit de sociétés chinoises et d’autres puissances indifférentes aux droits fondamentaux de la personne humaine que la France a toujours défendus avec « force et vigueur ». Si François Hollande a affiché les ambitions françaises sur le plan européen dès son élection, il ne pouvait pas ignorer la géopolitique planétaire dans laquelle l’Afrique représentera un enjeu considérable [4]. Ainsi était-il contraint de tenir compte de la realpolitik.

Faire oublier l’ambiguïté mitterrandienne

Le discours de Cancún prononcé le 20 octobre 1981 à Mexico avait marqué les orientations progressistes que le président François Mitterrand entendait donner à la politique extérieure de la France : plus précisément une attention accrue aux problèmes des pays en développement. Saluant les humiliés, les émigrés, les exilés sur leur propre terre, les personnes bâillonnées, persécutées ou torturées, séquestrées, disparues et assassinées, les prêtres brutalisés, les syndicalistes emprisonnés, les chômeurs vendant leur sang pour survivre, les travailleurs sans droits, les paysans, les résistants sans armes qui voulaient seulement vivre et vivre libres, il leur avait promis la victoire de la liberté.

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Lors du XVIème Sommet des chefs d’État d’Afrique et de France qui s’est tenu en 1990 à La Baule, François Mitterrand avait osé dire à ses paires qu’« il [fallait] parler de démocratie […] un principe universel [apparu] aux peuples d’Europe centrale et orientale comme une évidence absolue, au point qu’en l’espace de quelques semaines les régimes considérés comme les plus forts [avaient] été bouleversés. » À Kinshasa, François Hollande devra avoir le courage de confirmer ses propos de campagne, tout en évitant d’apparaître comme un donneur de leçon, s’agissant de sa vision et de son attitude par rapport à la Françafrique. De plus, tout propos ambigu serait préjudiciable à celui qui a toujours été considéré comme « l’homme de la synthèse ».

La guerre dans la région du Kivu

Dans le discours de Cancún, François Mitterrand avait évoqué le droit d’ingérence humanitaire, ayant qualifié la non-assistance aux peuples en danger de « faute morale et politique » qu’il ne faudrait en aucun cas accepter de commettre. De plus, celle-ci « [avait] déjà coûté trop de morts et trop de douleurs à trop de peuples abandonnés […] pour que [la France n’accepte, à [son] tour, de la commettre ».

François Hollande ne peut nullement rester indifférent à la tragédie humaine qui se déroule dans la région du Kivu, dans la mesure où la France porte la responsabilité morale dans la mise en place de l’opération Turquoise[5], indépendamment du fait que la tenue régulière des sommets franco-africains et le flux continu de contacts bilatéraux ont donné naissance – avant, avec et après Mitterrand – à plusieurs initiatives prometteuses, tel le processus de réconciliation en République Démocratique du Congo consacré plus tard par les accords de Lusaka[6] signés le 10 juillet 1999 dans la capitale zambienne. Ainsi l’occasion serait-il donnée à l’actuel président de redorer le blason de la France aux yeux du peuple congolais.

Une nouvelle vision francophone

On peut affirmer que, dans l’ensemble, les bonnes intentions des discours de Cancún et de La Baule ne sont pas venues à bout des pesanteurs historiques et étatiques dues à un long passé mûri et reproduit de manière tacite, après les indépendances, par la coopération. Tant que les hommes et les femmes politiques, en France, agiront toujours de connivence avec les pouvoirs pétrolier et militaire, les bons sentiments montreront leurs limites – consacrant l’immobilisme tant décrié dans les relations franco-africaines. Dans l’intérêt du maintien de la France en Afrique, il fallait instaurer les sommets de la Francophonie en alternance avec les sommets France-Afrique et multiplier les rencontres pour consolider davantage les liens. François Mitterrand n’avait-il pas proposé à ses compatriotes, à cet effet, « d’être avec [lui] les inventeurs d’une culture […], d’un modèle français de civilisation »[7], tout en arguant que : « le socialisme de la liberté [était] avant tout un projet culturel, un choix de civilisation. »[8] ? Avec un socialiste à l’Élysée en 1981, la Francophonie avait fini par servir d’outil au néocolonialisme afin de malmener encore plus les droits élémentaires des Africains contrairement aux principes du Parti Socialiste relatifs aux valeurs humanistes.

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Il est certain que François Mitterrand n’a pas essayé d’innover les relations franco-africaines. Indépendamment du fait que ses rapports avec certains chefs d’État africains n’étaient pas toujours au beau fixe, il n’a pas du tout hésité à remettre en selle le maréchal Mobutu Sese Seko grâce à l’opération TurquoiseFrançois Hollande devra à tout prix condamner ce système opaque en faveur d’un nouveau partenariat sur les plans politique, économique et culturel.

Le discours de Kinshasa

Dans l’allocution qu’il prononcera devant ses pairs francophones, on espère que François Hollande affichera un vibrant soutien aux peuples du tiers-monde. Ainsi endossera-t-il le double héritage de l’Internationale socialiste et de la mondialisation à visage humain, primordial à la réduction de l’écart entre le Nord et le Sud. Il ne faudra surtout pas que le discours de Kinshasa soit un malentendu – l’objectif étant d’éviter les incompréhensions possibles sur la volonté politique de son auteur [9]. La tâche de François Hollande au regard des pays en développement consistera, dans l’absolue, à matérialiser les bonnes intentions de son prédécesseur socialiste qui sont restées lettre morte. Voilà ce que le peuple congolais attend réellement du président français.

Quant aux Africains en général, ils espèrent que François Hollande manifestera le souhait de voir la novation supplanter l’immobilisme dans les relations entre les pays francophones. Ils attendent une vraie rupture. Ils ne veulent plus du tout que les pratiques de la politique de ses prédécesseurs – dont la continuité aggravera davantage les conséquences actuelles – soient le maître mot de la politique africaine de la France. À Kinshasa, François Hollande devra faire table rase de la vision passéiste. Il devra plutôt rappeler à ses pairs africains qu’il mettra en pratique les propositions mitterrandiennes, faites lors du sommet de La Baule, ayant conditionné « une aide normale de la France à l’égard des pays africains, mais [qui serait] plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation […] », à savoir « un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure… » Désormais, il ne reste plus au président français qu’à vaincre le conservatisme et à préconiser des idées audacieuses. Il dispose de tous les atouts en main pour changer à jamais les relations franco-africaines.

Documentation

– François Hollande devra-t-il boycotter le XIVe Sommet de la Francophonie à Kinshasa ?

– Mitterrand l’Africain ?


[1] Allocution prononcée  le 26 juillet 2007 par le président de la République française, Nicolas Sarkozy, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, devant des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques. Un discours qui avait suscité de nombreuses réactions en France et dans le monde. Juste un extrait : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. »

[2] Allusion au discours prononcé par le général de Gaulle le 1er septembre 1967, incitant ainsi les États-Unis à cesser leur intervention au Vietnam : « S’il est invraisemblable que l’appareil guerrier américain vienne à être anéanti sur place, il n’y a, d’autre part, aucune chance pour que les peuples d’Asie se soumettent à la loi de l’étranger venu de l’autre Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et si puissantes que soient ses armes. »

[3] Tous les spécialistes du continent africain soutiendront aisément que l’on ne peut guère débattre des relations franco-africaines sans évoquer ce que la majorité d’observateurs avertis considère, indépendamment de sa finalité, comme un acte progressiste : c’est-à-dire le discours de La Baule prononcé le 20 juin 1990 par le président de la République française, François Mitterrand, dans le cadre de la XVIe conférence des chefs d’État d’Afrique et de France qui s’est déroulée dans la commune française de La Baule-Escoublac (Loire-Atlantique).

[4] Une croissance du PIB de 5,3% en 2012 (FMI) et un formidable potentiel économique font de l’Afrique le deuxième continent en termes de croissance, après l’Asie. Les investissements directs étrangers s’y sont envolés : + 25% en 2011.

[5] L’opération Turquoise s’est déroulée du 22 juin au 21 août 1994 sous mandat des Nations Unies par le vote de la résolution 929. Cette résolution prévoyait un déploiement français avec des objectifs humanitaires en coopération avec la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR), qui devait à court terme relever les troupes françaises engagées. Dès le vote de la résolution, un pont aérien fut réalisé entre Paris et Goma, projetant ainsi hommes et matériels au Zaïre (actuellement République Démocratique du Congo). Parallèlement, l’armée française de l’Air installa une base aérienne à Kisangani, toujours dans le territoire zaïrois. Le dispositif interarmées Turquoise, sous les ordres du général Lafourcade, se déploya à Gikongoro, Kibuye, Cyangugu au Rwanda. La première mission des unités françaises avait consisté à assurer la protection des camps des réfugiés, en rétablissant un climat de confiance favorable au déploiement de l’aide humanitaire.

[6] Ces accords ont abouti au traité de paix dit « Accord Global et Inclusif » signé en 2003 entre Kinshasa, Kigali et Kampala en vue de la pacification de la région des Grands Lacs.

[7] In Abdoulaye Élimane Kane, Mitterrand, l’Afrique et la Francophone – article paru dans Mitterrand et l’Afrique – colloque de Dakar du 11 au 12 février 1998, p. 188.

[8] Ibidem.

[9] Contrairement aux discours de La Baule, à propos de François Mitterrand, et de Brazzaville, s’agissant du général de Gaulle, lesquels ont permis à ces deux grands présidents de marquer de leur empreinte l’histoire des relations franco-africaines.

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