Appels et contre-appels à la manifestation, interdiction des rassemblements, le samedi 22 septembre débute dans l’incertitude… Un film et des caricatures détournant l’image et la personnalité du prophète Mahomet sont à l’origine de tensions qui font craindre, depuis une semaine, des débordements. Pour mieux comprendre les enjeux, JOL Press a interrogé une des autorités de la communauté musulmane de France. Entretien.
[image:1,l] L’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF) est née, en 1983, de la nécessité de se rencontrer et de coordonner leurs efforts qu’ont éprouvée une quinzaine d’associations musulmanes des plus grandes villes de France
Depuis sa création, l’UOIF s’est tracée une ligne de conduite grâce à laquelle elle s’est forgée une identité basée sur une lecture, une pratique ainsi qu’un discours et des prises de position conformes à l’islam et aux lois de la République.
Dans le contexte troublé, provoqué par la diffusion sur Internet du film «Innocence of Muslims» et la publication dans l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo de caricatures de Mahomet, JOL Press a sollicité un entretien avec le président de l’UOIF – une des voix importantes de l’Islam de France -, Dr Ahmed Jaballah. Il a bien voulu répondre à nos questions vendredi 21 septembre 2012.
JOL Press : Dans son dernier communiqué de presse, l’UOIF dénonce une campagne islamophobe à laquelle les musulmans assisteraient consternés. De quoi s’agit-il ? Quels sont les faits ?
Dr. Ahmed Jaballah, président de l’UOIF : Cette campagne islamophobe a commencé depuis plusieurs semaines, bien avant la diffusion sur la Toile de ce film abject ou de la publication de caricatures du prophète Mahomet par Charlie-Hebdo.
Depuis le début de ce mois, plusieurs mosquées à travers le pays ont fait l’objet de tags ou de profanations. Un observatoire a constaté depuis le début de l’été, une hausse de 14% des actes d’islamophobie, des actes qui se trouvent dans la même logique que le film ou les caricatures et qui sont des insultes, des injures aux musulmans.
JOL Press : Vous considérez que ce phénomène a débuté à quel moment ?
Dr. Ahmed Jaballah : Il y a quelques mois… on a constaté aussi au printemps de cette année, au cours de la campagne présidentielle, que la question de l’islam était très présente dans les discours politiques, utilisée, par certains, comme une surenchère. Et cela alors que, compte tenu de la crise que traverse notre pays, les questions économiques et sociales auraient dû être, de loin, les principales préoccupations. Parler de l’islam est devenu un positionnement stratégique pour certains hommes ou femmes politiques.
JOL Press : Selon vous, cette campagne islamophobe serait orchestrée. Orchestrée par qui ?
Dr. Ahmed Jaballah : Des gens probablement mal à l’aise avec le fait que la plupart des musulmans sont aujourd’hui des citoyens. Nous avons encore des résidents musulmans, mais les jeunes générations sont constituées de citoyens français à part entière.
Certaines personnes trouveraient leur intérêt dans l’entretien d’une situation de tension.
JOL Press : Dans ces circonstances, comment jugez-vous l’attitude des pouvoirs publics ?
Dr. Ahmed Jaballah : Nous avons salué les déclarations d’apaisement, les appels à la raison. Mais, dans le même temps, la situation demeure difficile. Nous comprenons l’interdiction de manifester mais, en compensation, ils doivent adresser un message fort aux musulmans et prendre des mesures efficaces.
Nous demandons ainsi la constitution d’une commission parlementaire sur l’islamophobie. L’islamophobie est une réalité, il faut la traiter.
JOL Press : Vous avez donc compris l’interdiction de manifester…
Dr. Ahmed Jaballah : Nous avons compris qu’il y avait des risques de débordements. Mais, dans le même temps, il convient de rappeler que le droit de manifester est le droit de tous les citoyens. Si on a le droit, en France, de manifester en soutien à Charlie-Hebdo, on devrait aussi avoir le droit de manifester pour dénoncer des propos et des gestes jugés islamophobes.
JOL Press : Une distinction est souvent faite entre l’immense majorité des musulmans – dits modérés – et une frange radicalisée, extrémiste, fondamentaliste… Vous souscrivez à cette distinction ? N’est-elle pas une clé pour une meilleure compréhension ?
Dr. Ahmed Jaballah : La diversité n’est pas le propre de la communauté musulmane. Comme dans toutes les communautés, certains sont plus rigoureux.
Mais, attention, s’il est vrai que la plupart de ceux qui ont tenté de manifester samedi dernier ou qui appellent à manifester, samedi 22 septembre, se réfèrent plutôt aux mouvements radicaux, les faits dénoncés ne sont que des faits, qui ne concernent que cette minorité.
Insulter le prophète, cela touche, affecte, insulte tous les musulmans – même si la grande majorité ressent une tristesse sans, pour autant, décider d’en rajouter.
JOL Press : Est-ce que ça ne suffit pas de dénoncer comme stupide, par exemple, les caricatures de Charlie-Hebdo ?
Dr. Ahmed Jaballah : Il faut voir, il faut comprendre l’indignation que suscitent ces caricatures chez tous les musulmans. Il convient que nous soyons aidés, que cela ne puisse être toléré le fait que nous soyons ridiculisés, insultés. Si rien n’est fait pour nous venir en aide, alors, atteints par le désespoir, beaucoup d’entre nous ne résisteront pas au besoin de s’exprimer. Dans ce sens, s’il y a un devoir d’intelligence, il doit aussi y avoir quelques restrictions à la liberté d’expression.
JOL Press : Concrètement, que demandez-vous ?
Dr. Ahmed Jaballah : Ce n’est pas la liberté d’expression qui est en jeu. Nous sommes pour, et elle est fondamentale.
Pourtant, peut-être faudrait-il y apporter quelques aménagements et limites pour qu’elle ne devienne pas liberté de parole. On ne peut pas tout dire, n’importe comment.
Nous vivons dans une société française marquée, désormais, par la diversité religieuse. Il faut veiller à ce qu’un équilibre soit atteint pour permettre de préserver les conditions du « vivre ensemble ».
Il y a déjà des dispositions intéressantes dans la loi française. Par exemple, on ne peut pas insulter une personne, un individu. Il faut comprendre que, pour un musulman, insulter le prophète, c’est encore pire que de l’insulter personnellement.
JOL Press : La situation française peut-elle être déconnectée du contexte international ?
Dr. Ahmed Jaballah : C’est lié. C’est bien en souvenir des événements tragiques en Libye, et ailleurs, que nous comprenons la nécessité de ne pas manifester.
JOL Press : Vous restez optimiste ?
Dr. Ahmed Jaballah : Par principe, je le suis. C’est dans la difficulté que la lumière peut jaillir. Ce qu’il faut en France, c’est discuter, échanger et poursuivre le dialogue pour mieux se connaître et mieux vivre ensemble.
Propos recueillis vendredi 21 septembre par Franck Guillory pour JOL Press