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Allemagne: querelle d’experts sur la crise de la zone euro

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Sympathies nazies, évasion fiscale, abus de confiance : la crise de la zone euro a mis en lumière ce qu’il y a de pire chez les Européens depuis ces deux dernières années.

Duels d’économistes en Allemagne

L’Europe s’est jetée dans un véritable fleuve de critiques acerbes et les Allemands ont largement accusé leurs voisins endettés d’être des paresseux, tandis que ces même paresseux accusaient Angela Merkel d’être à la tête du Quatrième Reich.

En Allemagne, la colère s’est également diffusée dans le pays, parmi les chercheurs engagés dans un débat étonnamment conflictuel sur la gestion de la crise, qui a particulièrement attiré l’attention du public.

« Je ne vois pas d’autre pays dans l’Union européenne où les économistes débattent de ce genre de choses avec autant d’intensité qu’en Allemagne », a déclaré Bert Van Roosebeke, économiste du Centre de politique européenne à Fribourg.

Les débats tournent autour du rôle que doit jouer leur pays, l’Allemagne, dans le processus qui vise à sauver la zone euro. Alors que les prêteurs internationaux prennent une série de décisions cruciales pour les semaines à venir, le pays le plus riche de l’Union européenne a son mot à dire.

Alors que la plupart des Allemands sont opposés à créer une rupture qui pourrait, selon de nombreux experts, être catastrophique pour les économies européennes et particulièrement pour le secteur bancaire, d’autres estiment le contraire.

La lettre de Walter Kramer met le feu aux poudres

 « Les banques doivent être autorisées à échouer », pouvait-on lire dans une lettre ouverte publiée dans l’un des quotidiens les plus influents d’Allemagne, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, le mois dernier.

Une attaque à l’encontre de la chancelière allemande Angela Merkel, rédigée par un statisticien économique du nom de Walter Kramer et signée par plus de 170 économistes opposés à sa politique européenne d’intégration bancaire, telle qu’elle l’a proposée en juin dernier, lors d’un sommet européen.

« Les contribuables, les retraités et les épargnants des pays européens encore stables ne peuvent pas être tenus responsables de cette dette », affirmaient-ils alors, estimant que la « mutualisation » des mauvaises créances aideraient principalement les grandes banques.

À la suite de cette lettre, beaucoup de ceux qui croient fermement que le renforcement de l’intégration bancaire est crucial afin de sauver l’euro ont été choqués par ce qu’ils ont appelés du « populisme bon marché ».

Les politiques s’en mêlent

Les intellectuels se sont rapidement mobilisés afin de ne pas laisser s’étendre un mouvement « antisauvetage ». Ainsi, le ministre des Finances Wolfgang Schaeuble a qualifié la litigieuse lettre « d’outrageuse ».

Angela Merkel a également fustigé les économistes coupables qui, selon elle, n’ont pas compris ses propositions, les exhortant à « regarder de plus près et ensuite parler de ce qui a vraiment été décidé. »

Cette lettre a créé un grand mouvement et incité des centaines de chercheurs à se distancer de leurs collègues les plus radicaux. Deux réfutations ont été publiées, chacune signée par d’éminents universitaires et experts financiers.

« Déstabiliser le public avec des hypothèses et des arguments discutables en utilisant un langage truffé de clichés nationaux ne doit pas être le travail des économistes », estime l’un des experts, dans une réponse publiée dans le quotidien économique Handelsblatt.

Pour ou contre sauver la zone euro

Le véritable point de discorde est de savoir si l’Allemagne doit débourser plus d’argent pour remettre la Grèce mais aussi l’Espagne, le Portugal et l’Irlande à flot, comme cela devrait être fait sous une autorité bancaire plus unifiée.

Certains experts, ainsi que la majorité du public, estiment aujourd’hui que l’Allemagne a déjà porté une trop grande partie du fardeau.

« Ni l’euro, ni l’idée européenne ne seront sauvés par une extension de la responsabilité des banques », estime la lettre originale de Walter Kramer.

Le public allemand manipulé

Pourtant, si les Allemands sont en première ligne de la crise européenne, étant parmi les plus riches, leurs préoccupations en sont loin.

Les protestations et la colère grondent à Athènes et Madrid, mais les Allemands restent indifférents. Alors qu’Angela Merkel a passé son année à courir d’un sommet européen à l’autre, les actualités autour d’un scandale médical, un projet d’aéroport échoué et les Jeux Olympiques de Londres ont dominé les unes des magazines.

Lorsque les Allemands s’adressent aujourd’hui à Angela Merkel, c’est pour parler égalité des salaires, éducation normalisée et mobilité professionnelle, mais jamais de la crise ou de l’avenir de l’Europe.

Certains voient dans ce phénomène une erreur d’Angela Merkel, qui n’aurait pas assez expliqué l’importance de l’euro pour les Allemands, ni comment celui-ci a été bénéfique pour l’économie allemande durant toute la dernière décennie.

Le risque serait alors que le débat public sème la confusion et divise la population un an avant les prochaines élections.

L’élite allemande est universitaire

Hans-Werner Sinn fait partie de ceux qui ont signé la lettre de Walter Kramer. Il est l’un des chercheurs les plus connus du pays, et a longtemps critiqué la politique allemande de renflouement des caisses européennes en détresse.

Hans-Werner Sinn a approuvé à plusieurs reprises la sortie de la Grèce de la zone euro, justifiant sa thèse par ses calculs selon lesquels garder la Grèce dans la zone euro coûterait plus cher que lui permettre de rester. Une opinion fortement impopulaire pour le ministre des Finances allemand.

« Lorsque vous avez l’autorité des instituts académiques qui sont subventionnés par l’argent des contribuables allemands, vous avez une responsabilité particulière », a fustigé Wolfgang Schaeuble dans le quotidien allemand Welt am Sonntag.

C’est particulièrement vrai en Allemagne, où les professeurs sont considérés comme faisant partie de l’élite d’une noblesse académique starifiée dans les journaux et magazines.

Un divertissement pour les Allemands

Ce duel des élites a particulièrement été apprécié.

« C’est amusant et divertissant », juge l’analyste Carsten Brzeski, un Allemand installé à Bruxelles.

Pourtant, Carsten Brzeski estime que ce vacarme n’a pas vraiment participé à solutionner le problème de la zone euro.

« La substance du débat est très dogmatique », explique-t-il. « Il n’y a pas vraiment d’économiste pragmatique essayant de trouver une vraie solution. »

Une querelle exagére par les médias ?

Michael Burda estime de son côté que la querelle publique a été exagérée par les médias.

« Cela a été très sain pour l’Allemagne, de mettre tous ces problèmes sur la table », explique-t-il. « Ce que je n’aime pas, c’est qu’ils sont devenus personnels et certains journaux ont essayé de faire une grande affaire de petites divergences de personnalités sans vraiment obtenir de réponses à ces questions. »

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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