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Crédit immobilier de France: acte manqué ou nationalisation larvée?

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Tout se sera déroulé si rapidement… entre l’annonce d’une dégradation de trois crans par l’agence de notation Moody’s, le 28 août, et un communiqué de presse du ministre Pierre Moscovici, le 1er septembre, à peine trois jours : l’État accordera sa garantie au Crédit immobilier de France.

Avec cette garantie, le verdict est sans appel : une extinction progressive de l’activité par la cessation de la production de nouveaux crédits. Pour Philippe Riès, la décision de la direction du Trésor, prise avec l’aval du ministre de l’Économie et des finances, est « un ‘casse’ financier sur le portefeuille de prêts et les fonds propres de cet établissement spécialisé dans le financement de l’accession à la propriété de ménages modestes, et l’annonce d’une casse sociale, puisque quelque 1 500 salariés au bas mot pourraient perdre leur emploi dans une opération qui réjouira les concurrents du CIF. »

La gestion de cette opération et le traitement réservé au Crédit immobilier de France soulève effectivement un certain nombre de questions et l’on partage le point de vue de notre confrère Philippe Riès (Mediapart) selon lequel « la gestion du dossier par le Trésor, sous l’ancien gouvernement de droite comme sous le nouveau de gauche, apparaît pour le moins suspecte ».

La crise a condamné le modèle de financement du CIF

En annonçant dans la soirée du samedi 1er septembre qu’il accordait sa garantie financière au CIF, l’État a tenu à éviter que l’établissement de crédit ne fasse faillite. Lundi 3 septembre, il devait faire face à une échéance de renouvellement de financement de 4,3 milliards d’euros de la part d’investisseurs institutionnels. La dégradation de la note de l’établissement par Moody’s rendait irréalisable cette opération et seule une garantie de l’État pouvait éviter une faillite.

Rien de surprenant dans ce scénario. Depuis le début de la crise financière, le CIF était, d’une certaine manière, en sursis. Cas « isolé » au sein du système financier français, l’établissement se finance uniquement sur les marchés financiers dans la mesure où il ne collecte pas de dépôts. Depuis plusieurs mois, l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), régulateur des banques, veillait. Christian Noyer, président de l’ACP, et par ailleurs gouverneur de la Banque de France, avait estimé en mai que le CIF reposait sur « un business model qui est difficile à gérer ».

La situation paradoxale du CIF

L’ombre de la banque Northern Rock, qui fonctionnait, en partie, sur le même modèle et avait dû être secourue en 2007 par le Royaume-Uni, planait. Pourtant, la situation était un peu différente… c’est parce que la building society anglaise proposait aussi des livrets d’épargne que les épargnants s’étaient rués dans les agences pour retirer leurs économies.

Il y a bien un paradoxe dans le cas Crédit Immobilier de France : si la crise a condamné son modèle de financement, la situation de l’établissement est plutôt saine. C’est ce que démontre Philippe Riès, toujours dans Mediapart : « Ses actifs [NDLR – ceux du CIF], composés de prêts à des ménages peu fortunés mais respectueux de leurs obligations sont considérés comme solides. Et il dispose de 2,4 milliards de fonds propres, avec un ratio prudentiel de 14%, supérieur aux exigences du nouveau cadre réglementaire de Bâle III ».

L’attentisme des gouvernements successifs a empêché toute autre alternative

Philippe Riès reproche son attentisme au gouvernement Fillon.  L’absence de décision concrète au cours des six premiers mois de l’année 2012, alors même qu’une intervention de l’État apparaissait de plus en plus inévitable, et l’incapacité à mettre en œuvre une éventuelle solution alternative constituent des exemples flagrants de la paralysie dans laquelle la double campagne électorale quinquennale – présidentielle puis législative – plonge la France. Six mois tous les cinq ans, un dixième du temps !

En revanche, depuis l’alternance de mai et juin, il semble que Bercy n’ait pas été très efficace dans la recherche de solutions. Ainsi, une des options envisagées était l’adossement du CIF à la Banque Postale, qui gère aussi un portefeuille de clients parmi les moins favorisés. Tant Philippe Wahl, le président du directoire de la Banque Postale, que les membres de son conseil d’administration n’ont pas fait preuve d’un réel empressement. En juin, l’État avait demandé officiellement un rapprochement : il n’a pas été entendu et n’a pas su se faire entendre.

L’opération aurait-elle été si mauvaise pour la Banque Postale ?

Un « acte manqué » antisocial ou une nationalisation volontaire qui ne dit pas son nom…

La garantie de l’État interdit désormais, en vertu des règlements européens, toute procédure d’adossement. Le processus d’extinction du Crédit Immobilier de France sur le point d’être engagé signifierait donc qu’aucun autre nouveau prêt ne sera désormais accordé. Les victimes ne sont donc pas tant les ménages disposant de prêts auprès du CIF, que tous ceux qui auraient pu aspirer à en solliciter. Faute de solution appropriée, cela signifie que les ménages les plus modestes devront désormais se retourner vers les banques et établissements de crédits commerciaux qui ont rendu particulièrement difficiles les conditions d’obtention de prêts immobiliers. Idem pour les collectivités locales auxquelles le CIF permettait de financer, en partie, leur politique de logement social.

Le gouvernement pourrait donc se retrouver face à une situation politique particulièrement difficile – et, à première vue, en contradiction avec les objectifs affichés par le candidat François Hollande.

Pour Philippe Riès, le Trésor aurait cherché à récupérer, « via une nationalisation déguisée et sans risques », des sommes « pas négligeables par ces temps de disette ». Il poursuit : « La gestion du portefeuille existant (serait) vraisemblablement, selon une source proche du dossier, transmise à terme à la Caisse des dépôts ».

La Caisse des dépôts et son nouveau président, Jean-Pierre Jouyet, ami proche de François Hollande, Pierre Moscovici et la direction du Trésor, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault … toute la « Hollandie » semble à la manœuvre dans cette opération de « sauvetage » du Crédit immobilier de France : comme Philippe Riès, on peut s’interroger sur la gestion « pour le moins suspecte » du dossier.

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