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Cuba tentée par la révolution capitaliste?

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Un basculement irrévocable

Il n’y a plus de doutes : le parti communiste cubain a déclaré que le basculement de l’île vers un régime socialiste était « irrévocable ».

Mais le feu vert du président Raul Castro concernant les réformes économiques a créé une véritable ambiguïté idéologique dans le pays, et nombre de Cubains se demandent dans quel système économique ils vivent.

Alors que les autorités semblent prêtes à adopter de nouvelles réformes concernant les entreprises privées (mais pas une démocratie libérale), des observateurs pointent les similitudes avec la Chine et le Vietnam. Dans ces pays, le parti unique, maintenu par un système politique autoritaire, a perduré en développant une économie dynamique et mondialisée, et donc une croissance positive.

S’inspirer de ses homologues asiatiques

À 81 ans, Raul Castro a d’ailleurs effectué un voyage en Chine et au Vietnam. Il avait alors déclaré que Cuba avait la volonté d’adopter un modèle de développement similaire à celui des pays communistes asiatiques.

Mais le pays est bien loin de vivre l’émulation économique de ses homologues asiatiques. C’est en tout cas ce qu’explique Julio Vazquez Diaz, un économiste qui a fait ses études en Union Soviétique et connait bien la situation de la Chine et du Vietnam d’aujourd’hui.

« À Cuba, il y a une prise de conscience sur le fait que nous devons construire de nouvelles bases économiques », explique-t-il. « Mais la mentalité de l’ancien modèle est toujours présente. Alors, comment conserver nos entrepreneurs ? »

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Encourager les entreprises privées

Trois ans après l’annonce des réformes (les « mises à jour », selon l’euphémisme officiel), Cuba a pris des mesures importantes en vue de donner un rôle plus importants aux entreprises privées.

Près de 400 000 Cubains possèdent désormais une licence d’auto-employeur, qui leur permet de travailler de manière indépendante. Le gouvernement a tenté d’accroitre la production alimentaire en louant près de trois millions d’hectares appartenant à l’État à des agriculteurs privés et à des coopératives indépendantes. Tout ceci sur des prêts à long terme sans coûts supplémentaires.
Des milliers de petits snack-bars et restaurants ont transformé l’apparence physique des villes et des villages de Cuba. Les Cubains peuvent acheter et vendre leurs maisons et leurs appartements pour la première fois depuis un demi-siècle.

Un système sclérosé par le passé

Toutes ces mesures ont apporté des changements importants et a modifié la façon dont les Cubains perçoivent leur avenir, mais aussi leurs relations avec le gouvernement. En revanche, les dirigeants du parti communiste et l’immense bureaucratie gouvernementale restent coincés dans les dogmes de l’ère soviétique. Un problème que la Chine et le Vietnam ont traité il y a plusieurs décennies.

Selon Julio Diaz Vazquez, la principale différence est que la Chine et le Vietnam suivent un modèle de productivité élevée, dans lequel l’État encourage (plutôt que ne gêne) les entrepreneurs et les professionnels. Des torrents d’investissements étrangers, ainsi qu’une explosion des exportations ont fait de ces pays des acteurs économiques mondiaux. Ce qui a ensuite permis de relever le niveau de vie des populations, et d’assurer une stabilité politique. Alors que l’État intervient pour modérer les inégalités qui en résultent, il ne considère pas la prospérité individuelle avec suspicion.

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Le profit encore mal vu à Cuba

Les autorités cubaines sont donc loin d’approuver la maxime de Deng Xiaoping : « Devenir riche est glorieux ». Gagner de l’argent à Cuba est encore essentiellement considéré comme un crime. Certains entrepreneurs malchanceux l’ont encore récemment découvert. « Les réformes de Raul Castro continuent d’être écrasées par un vieux modèle, qui prend les entrepreneurs à la gorge et leur dit : « Vous pouvez monter une entreprise, mais on peut vous la prendre à tout moment », explique Diaz Vazquez.

78% de la population active cubaine est toujours employée par l’État. Les travailleurs luttent pour survivre avec des salaires qui tournent aux alentours de 20 dollars par mois et sont loin de subvenir à leurs besoins fondamentaux. Beaucoup se mettent à voler, ou à vendre de la marchandise dans le vaste marché noir de Cuba. Des activités que le gouvernement veut réduire en déplaçant ces travailleurs hors de la masse salariale de l’État.

Créer de l’emploi, mais à quel prix?

Les fonctionnaires cubains affirment que leur objectif est de créer des millions de nouveaux emplois dans les entreprises privées et les coopératives, mentionnées sur l’île comme « non-étatiques ». L’année dernière, 22% des Cubains possédaient un emploi « non-gouvernemental ». Ils étaient 16% en 2010, d’après le bureau national des statistiques de l’île.

Mais, à ce jour, les Cubains qui veulent travailler à leur compte doivent choisir parmi une liste de 181 professions. Une liste étonnamment circonscrite, où l’on trouve des métiers comme tailleur de palmier, clown d’anniversaire, muletier, aiguiseur de couteaux ou encore arrangeur de fleur pour les funérailles… Une liste qui ferait rire à la fois les Chinois et les Américains.

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Une fuite des entrepreneurs

Les Cubains qui voudraient monter une entreprise de logiciels, d’architecture ou de fabrication de tracteurs doivent quitter l’île. Et les plus brillants du pays s’en vont à l’étranger.

Les nouvelles start-up de Cuba ne peuvent toujours pas importer de fournitures ou de matériel directement de l’étranger. Elles continuent à faire face à des obstacles bureaucratiques complexes concernant les besoins opérationnels les plus simples, comme les services bancaires et la publicité. Les capitaux de partenaires étrangers ne peuvent arriver qu’en secret.

Un changement  « sans hâte, mais sans pause »

Tous ces obstacles sont profondément ancrés dans le modèle économique cubain. Ils datent des années 1960 et ont longtemps été assimilés à la « perfection » socialiste, qui s’est illustrée par un contrôle maximum de l’État.
Ce modèle est défaillant depuis des décennies, mais c’est seulement sous l’ère de Raul Castro que le gouvernement a commencé à le reconnaître ouvertement. La production économique catastrophique ne peut plus soutenir les systèmes de santé et d’éducation, perçus comme le couronnement des réalisations de Fidel Castro depuis la révolution de 1959.

Mais la situation cubaine continue doucement d’évoluer. Raul Castro lui-même a déclaré « que le changement viendrait sans hâte, mais sans pause ».

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Hugo Chavez, l’homme par qui rien ne change

Alors que les dirigeants octogénaires de Cuba n’ont peut-être plus le temps de leur côté, il leur reste Hugo Chavez. Le président vénézuélien fournit à l’île des milliards en devise, et apporte les deux-tiers des besoins énergétiques du pays. Une situation qui réduit considérablement la nécessité d’un changement urgent.

Chavez affirme avoir vaincu le cancer avec l’aide de Cuba, et il bat son rival Henrique Capriles dans la plupart des sondages. Avec le soutien continu de Chavez, les dirigeants cubains n’ont pas encore besoin d’embrasser le modèle économique chinois. Et ils garderont le leur aussi longtemps que possible.

Global Post / Henri Lahera pour JOL Press

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