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François Hollande sera-t-il le Gerhard Schröder français?

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Gerhard SchröderGerhard Schröder ? Pas sûr que le souvenir du prédécesseur social-démocrate d’Angela Merkel ait été présent à l’esprit de beaucoup de Français jusqu’à il y a encore quelques jours. L’intervention du président de la République, François Hollande, dimanche 9 septembre, au journal de 20 heures de Claire Chazal sur TF1, aura suffi pour ramener sur le devant de la scène celui qui, battu en 2005, est depuis le V.R.P. du géant gazier russe, GazpromFrançois Hollande deviendra-t-il le Gerhard Schröder français ? On se pose la question. Mais pour y répondre ou pouvoir, à terme, y répondre, encore faut-il se rappeler ce que c’est que « d’être Gerhard Schröder »

Les sirènes de la « troisième voie »

À l’automne 1997, Gerhard Schröder, leader de l’opposition sociale-démocrate allemande, sur le point de défier aux élections générales de l’année suivante l’indéboulonnable Helmut Kohl, est à Paris pour rendre visite au ministre français de l’Économie et des finances, Dominique Strauss-Kahn : « J’espère que la France décidera de passer à la semaine de 35 heures à salaire constant. Ce sera très bon pour l’industrie allemande ». Son propos est à peine relevé, assimilé à une boutade.

Le gouvernement de Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry adopte la semaine de 35 heures sans perte de salaire et crée les emplois-jeunes, des centaines de milliers d’emplois aidés. La croissance est revenue et il suffit de partager ses fruits. Les cigales françaises raillent leur camarade travailliste, Tony Blair, qui se pique d’inventer une « troisième voie », version rénovée du socialisme empruntant largement aux théories libérales.

En 1998, Gerhard Schröder accède à son tour au pouvoir. Les relations avec Paris sont bonnes, mais avec Londres aussi – il se garde au cours de son premier mandat de mettre en avant un programme qui trancherait trop avec la tradition sociale-démocrate, même si, depuis son congrès de Bad Godesberg en 1959, celle-ci a rompu avec l’idéal révolutionnaire marxiste…

2002 : Lionel Jospin est battu, Gerhard Schröder est réélu. Vient le temps des réformes profondes en Allemagne.

L’Agenda 2010, un programme de réformes structurelles

Le 14 mars 2003, Gerhard Schröder fait voter par sa coalition rouge-verte le principe d’une série de réformes structurelles visant à restaurer la compétitivité de l’économie allemande. L’ambition était ni plus ni moins la modernisation du capitalisme rhénan – alors que la France s’obstinait à préserver le Colbertisme « à la française ».

Pour cela, Gerhard Schröder a orchestré la libéralisation du marché du travail, la baisse des prestations sociales et la réforme des retraites. Revue de détails.

Premier volet : les lois Hartz pour la modernisation du marché du travail

Les lois Hartz – du nom de l’ancien DRH de Volkswagen et conseiller de Gerhard Schröder, Peter Hartz – sont au nombre de quatre. Elles réforment le marché du travail ainsi que le système de prestations sociales.

Hartz I oblige les chômeurs à accepter l’emploi qui leur est proposé, même si le salaire est inférieur au montant de leur indemnité chômage.

Hartz II institue des « mini-jobs » à moins de 400 euros mensuels avec exonération des charges sociales, et facilite la création des « Ich-AG », entreprises individuelles, par les chômeurs.

Hartz III limite à un an le versement des allocations chômage pour les travailleurs âgés et durcit les conditions d’attribution d’une indemnité chômage – avoir occupé un emploi d’un an au cours des deux dernières années. Cette loi fusionne aussi l’agence pour l’emploi et les services d’allocation chômage.

Hartz IV fusionne l’allocation chômage de longue durée – l’équivalent du RSA pour les chômeurs français en fin de droits -et les aides sociales, le tout étant plafonné à 345 euros par mois – au lieu des 57% du dernier salaire précédemment. De plus, il est prévu un complément de moins de trois euros par enfant à charge et par mois – une disposition à l’époque très critiquée et ayant fait l’objet d’un recours devant le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe.

Deuxième volet : la réforme des retraites et du système d’assurance-maladie

Le gouvernement de Gerhard Schröder a entrepris à la fois la hausse des cotisations, le report de l’âge minimal pour la liquidation des retraites des chômeurs, ainsi que celui de l’âge légal de départ à la retraite – de 63 ans à 65 ans, prolongé depuis pour atteindre 67 ans en 2017. Déjà en 2000, avant l’Agenda 2010, la même coalition avait introduit la retraite par capitalisation ou « retraite Riester ».

Du côté de l’assurance-maladie, les cotisations augmentent, les prestations diminuent et une taxe fixe de 10 euros par trimestre est créée.

Des résultats incontestables et des compensations

Si l’Agenda 2010 apparaît aujourd’hui comme un modèle de réformes économiques structurelles, a fortiori en réponse à la crise de la dette que traverse la zone euro, c’est parce qu’indéniablement des résultats probants ont été obtenus.

De là provient le renouveau industriel allemand et ses succès à l’importation, le maintien d’un niveau de chômage faible et le maintien, en conséquence, du pouvoir d’achat moyen.

Gerhard Schröder avait aussi tenu à compenser les mesures contraignantes prises par une réduction de la pression fiscale à travers un abaissement de tous les taux de l’impôt sur le revenu. La conjoncture économique étant globalement favorable et la croissance au rendez-vous, il pouvait se le permettre. Ensuite, à partir de 2005, Angela Merkel, à la tête d’abord d’une grande coalition CDU-SPD – sans Gerhard Schröder – a tenu à augmenter le taux de TVA de 16 à 19% – une « TVA sociale » permettant pour un tiers de compenser la réduction des charges sociales et pour les deux tiers restants, de diminuer les déficits publics. Une intuition, quelques années avant la crise, qui explique les contextes différents quelques années plus tard entre les deux rives du Rhin…

Agenda 2010 – Agenda 2014…

Agenda 2010 – Agenda 2014, la proximité lexicale est troublante. Mieux encore, la présentation de François Hollande, dimanche 9 septembre, reprenait bien les différents aspects de la politique de Gerhard Schröder : réforme du marché du travail et relance de la compétitivité. « Merkelien », mais surtout conscient de la gravité de la crise, le président de la République a aussi fixé pour objectif la réduction des déficits publics, vantant les mérites de la « discipline ». Vers un aggiornamento ?

La sclérose historique de la gauche française

Les deux précédentes expériences de la gauche en France sous la Vème République ont été marquées par un profond conservatisme idéologique – ce sont des faits historiques suffisamment documentés. Au cours de la deuxième et la troisième cohabitation de 1997 à 2002, Lionel Jospin a usé – et abusé – profitant d’une conjoncture économique favorable – mais aussi par conviction – des recettes colbertistes d’un État toujours plus providentiel – quoi qu’il en coûte – et tournant volontairement le dos aux sirènes de la « troisième voie » en vogue à Berlin ou à Londres. Qu’aurait-il fait, Lionel Jospin, de cinq années supplémentaires à la tête de l’État, depuis l’Élysée ? Conjectures… post-21 avril 2002…

Au cours de la première décennie – de 1981 à 1986 puis de 1988 à 1993 – durant lesquels François Mitterrand a disposé d’une majorité parlementaire, le parti socialiste n’avait pas effectué une mue idéologique comparable à celle de ses homologues sociaux-démocrates allemands. Certes, le tournant de la rigueur en 1983 a été l’occasion de tourner le dos aux lubies marxistes dans lesquelles s’enferraient les communistes, encore influents ; certes, le début du second quinquennat, sous Michel Rocard et Pierre Bérégovoy, a posé les jalons à l’approfondissement de l’intégration européenne, mais rien n’a été formalisé d’un point de vue idéologique. François Mitterrand n’était, après tout, pas particulièrement piqué d’économie.

Le Hollandisme, un « Schroderisme » à la Française ?

François Hollande dispose d’une expertise reconnue en économie. Son programme, ses 100 premiers jours, les premières dispositions en discussion au Parlement – emplois d’avenir, contrat de génération, recrutement dans l’éducation nationale – ne sont pas les signes d’un prochain changement idéologique du socialisme « à la française ». Pourtant – est-ce pour brouiller les pistes, pour ménager ses camarades ou, simplement, rassurer les marchés ? -, le président de la République laisse apparaître la possibilité d’une évolution majeure de la gauche française – de l’apologie de la sociale-démocratie lors de la conférence sociale du début de l’été au flou « artistique » de son exposé du 9 septembre face à Claire Chazal. Les dispositions du prochain budget pour 2013 devraient apporter un début de réponse…   

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